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Lettres du Supérieur Général de la Fraternité Saint-Pie X

Homélie de Mgr Fellay
Écône le 29 juin 2001


Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Mes Chers confrères dans le sacerdoce,
Chers candidats au diaconat et à la prêtrise,
Chers séminaristes,
Chères Sœurs,
Bien chers fidèles,

Il nous est donné, encore une fois, en cette fête magnifique des saints Pierre et Paul, fête de la naissance de la Rome catholique, née du sang de deux martyrs qui ont donné leur vie, une vie pour Notre Seigneur Jésus Christ, pour faire ce que Notre Seigneur leur a demandé jusqu’au bout : sauver les âmes. Oui. C’est encore en ce jour et pour la vingt cinquième fois, sur ce terrain que nous est donné de conférer la grâce, grâce sacerdotale d’ordination.

Vingt cinq ans, c’est déjà une histoire et pour nous, il faut le dire, c’est toute une histoire.

Il me semble qu’il n’est pas mauvais, en ce jour, de faire le point surtout après les évènements de ces derniers mois.

Pourquoi sommes-nous ici, sur ce terrain ? Que faisons-nous ? Eh bien, nous essayons d’être fidèles à cette parole de l’apôtre dans son épître. Nous la recevons comme Mgr Lefebvre « depositum custodi » - « Garde le dépôt ». Nous avons reçu un héritage d’un Evêque catholique, cet héritage, il nous faut le garder, le transmettre. Il n’est pas nôtre mais il est nôtre quand même. Il n’est pas nôtre dans le sens où on n’en avons pas la propriété exclusive mais il est nôtre parce qu’il est tout notre être. Nous sommes ici parce que nous sommes catholiques et parce que nous voulons le rester.

Pour faire ce point, permettez-moi de vous lire quelques extraits de la dernière lettre que nous avons envoyée au cardinal Castrillon Hoyos, en réponse à la sienne du 7 Mai.

« Le jésuite Mgr Pierre Henrici, alors secrétaire de Communio disait dans une conférence sur la maturation du Concile, qu'au Concile Vatican II deux traditions théologiques étaient entrées en collision, qui fondamentalement ne peuvent pas se comprendre. Votre lettre du 7 mai a causé un sentiment similaire d'incompréhension et de déception. Nous avons l'impression qu'elle nous impose un dilemme : soit nous entrons dans la pleine communion, et alors nous devons nous taire sur les grands malheurs qui frappent l’Eglise ; à défaut de cage dorée, on nous impose une muselière ; soit nous restons « au dehors ».

Ce dilemme, nous le récusons. Car d'une part nous n'avons jamais quitté l’Eglise, d'autre part, notre situation actuelle inconfortable, certes, n'est pas le résultat d'une action coupable de notre part, mais la conséquence d'une situation désastreuse dans l'Eglise contre laquelle nous avons tant bien que mal essayé de nous protéger. Les différentes décisions prises par Mgr Lefebvre ont été dictées par la volonté de ne pas perdre 1a foi catholique et de survivre au milieu d'une débâcle universelle dont Rome n'est pas étrangère. Nous appelons cela un "état de nécessité "

Pour son Eminence,

1. Nous sommes en rupture de communion

2. Les raisons avancées pour justifier nos actions, entre autres les sacres, seraient totalement insuffisantes. Car l'Eglise étant sainte et le magistère toujours assisté par le Saint-Esprit, les défaillances dont nous nous plaignons seraient inexistantes ou seulement des abus limités. Notre problème proviendrait d'une vue sur l'histoire de 1'Eglise et de ses crises bien trop fixiste, bornée, qui nous empêche de saisir l’évolution homogène et justifiée des diverses adaptations au monde d'aujourd'hui opérées par le Concile et le magistère subséquent.

3. Rome est suffisamment bon prince en nous offrant la structure qu'elle nous a proposée.

Il est abusif d'en demander plus, peut-être même injurieux envers le St Siège, dans ces

circonstances où Rome fait le premier pas. Aucun préalable ne sera accordé. Surtout pas la messe qui causerait du trouble dans l'Eglise.

De notre côté, il me semble pouvoir affirmer, en suivant les papes Pie XII et même Paul VI, que l’Eglise se trouve dans une situation apocalyptique. Il est indéniable que les dysfonctionnements dans la hiérarchie catholique, - le cardinal Seper disait « la crise de l'Eglise est une crise des évêques » -, les lacunes, les silences, les inductions, les tolérances d'erreurs et même des actes positifs destructeurs se rencontrent jusque dans la  Curie et malheureusement jusque chez le Vicaire du Christ. Ce sont des faits publics et constatables par le commun des mortels.

Affirmer ces faits n'est pas contradictoire avec la foi dans la Sainteté de l'Église ni dans l'assistance du St Esprit.

Dans l'affirmation de l'infaillibilité du Souverain Pontife, le Concile Vatican I a donné explicitement une limite à l'assistance du Saint-Esprit. : «  le Saint-Esprit n'a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu'ils fassent connaître sous sa révélation une nouvelle doctrine, mais pour qu'avec son assistance, ils gardent saintement et exposent fidèlement la Révélation transmise par les apôtres, c'est à dire le dépôt de la foi »

Mais c'est précisément là que nous touchons au plus profond du mystère actuel. Ce sont précisément les nouveautés de la nouvelle théologie, condamnées par l'Eglise sous Pie XII, qui font leur entrée à Vatican II. Comment se fait-i1 que tous les grands ténors du Concile, les experts théologiens, sont tous frappés de sanctions sous Pie XII ? De Lubac, Congar, Rahner, Courtney-Murray, Dom Beaudoin

Et pour aller un peu plus loin, Blondel, 'Teilhard de Chardin…

On voudrait nous faire croire aujourd'hui que ces nouveautés seraient en développement homogène avec le passé ? Elles ont été condamnées au moins dans leur principe.

Le Cardinal Ratzinger lui-même nomme « Gaudium et Spes »  un contre-Syllabus.

Que ces doctrines soient ensuite sanctionnées par un Concile qui ne se veut pas dogmatique n'est pas suffisant pour les blanchir. Le sceau d'un vote ne transforme pas une erreur en vérité infaillible ; en fait foi la réponse de Mgr Felici au Concile sur la question de l'infaillibilité de celui-ci. ( Notification du 16 nov 1964, DH 4350-4351)

Dans sa lettre, le Cardinal nous faisait le reproche d’attaquer le Concile en nous basant sur des interprétations individuelles et de ne pas suivre les interprétations authentiques du magistère. Si l’on suit les indications de celui-ci, c’est à dire du Saint Siège au sujet de l’interprétation du Concile, on aboutit à Assise, dans la Synagogue, dans les forêts sacrées du Togo. Et comment expliquer, à la lumière de la Foi catholique, une telle phrase du Pape qui est une phrase clé et qui éclaire beaucoup, beaucoup de passages qui sinon restent extrêmement confus, incompréhensibles, des phrases comme « le chemin de l’Eglise, c’est l’homme » ou bien pour l’Incarnation « Notre Seigneur révèle l’homme à l’homme » (Gaudium et Spes, 22).

Mais nous pensons trouver l’explication, la lumière à ces phrases dans une phrase précisément du pape, en 1981 « Dans l’Esprit Saint, chaque personne, chaque peuple sont devenus par la Croix et la Résurrection  du Christ, des Enfants de Dieu, des participants de la nature divine, des héritiers de la vie éternelle. »

Un magistère qui contredit l’enseignement du passé (comme par exemple, l’œcuménisme actuel et Mortalium animos), un magistère qui se contredit lui-même (comme par exemple dans la condamnation et la louange de l’expression « Eglises sœurs »), comme la condamnation dans une note de Mgr Cassidy et ensuite, la signature et l’approbation du texte de la déclaration conjointe sur la Justification. Oui, un magistère qui se contredit, voilà le problème lancinant. Ce cauchemar s’étend de la Curie aux Evêques, aux Evêques résidentiels.

Deux exemples de la Curie tous récents : le substitut du Secrétaire d’Etat, Mgr Tauran, qui déclare qu’il serait énorme de considérer le fidèle d’autres religions comme quelqu’un à convertir et qui donne pour rôle aux religions : les religions ne doivent pas d’entrer en compétition les unes avec les autres mais doivent être plutôt comme des frères et sœurs qui marchent la main dans la main pour construire des canaux de fraternité, en bâtissant un monde beau dans lequel il soit possible de vivre et de travailler. Cela n’est plus catholique.

Et le Cardinal Kasper au sujet des Juifs : l’Eglise croit que le Judaïsme, c’est à dire la réponse fidèle du peuple juif à l’alliance irrévocable de Dieu, est salvifique pour eux parce que Dieu est fidèle à ses promesses.

On est bien là en pleine contradiction avec Notre Seigneur, saint Jean, saint Paul, tout l’Evangile, tout ce que l’Eglise a toujours dit. Il est impossible d’être en communion avec eux. Ils n’ont plus la foi. Et nous pourrions citer des dizaines et des dizaines de paroles épiscopales de la même teneur.

Que faire quand les gardiens de la foi défaillent ? Les suivre aveuglément ?  Est-ce cela l’obéissance ? Ne méritent-ils pas la qualification dont sainte Catherine de Sienne gratifiait certains princes de l’Eglise à son époque ?

Déclarer cela ne nous mettra pas dans les bonnes grâces du Saint Siège. Mais nous avons des soucis bien plus graves. Les milliers et millions de fidèles catholiques qui déchoient de la foi et se damnent à cause de ces défaillances de Rome, voilà notre souci.

Et nous citons alors le début du Symbole de saint Athanase : « Quiconque veut être sauvé, doit avant tout garder la foi catholique. A moins qu’il ne la conserve intègre et irréprochable, sans doute, il périra pour l’éternité ».

Les paroles de Pie XII, alors Secrétaire d’Etat de Pie XI, résonnent à nos oreilles : « Supposez, cher ami, que le communisme ne soit que le plus visible des organes de subversion contre 1'Eglise et contre la tradition de la révélation divine, alors nous allons assister à l'invasion de tout ce qui est spirituel, la philosophie, la science, le droit, l'enseignement, les arts, la presse, la littérature, le théâtre et la religion. Je suis obsédé par les confidences de la Vierge à la petite Lucie de Fatima. Cette obstination de la Bonne Dame devant le danger qui menace l'Eglise, c'est un avertissement divin contre le suicide que représenterait l'altération de la foi, dans sa liturgie, sa théologie et son âme. J'entends autour de moi des novateurs qui veulent démanteler la Chapelle Sacrée, détruite la flamme universelle de l'Eglise, rejeter ses ornements, lui donner le remords de son passé historique. Eh bien, mon cher ami, j'ai la conviction que l'Eglise de Pierre doit assumer son passé ou alors elle creusera sa tombe. Un jour viendra où le monde civilisé reniera son Dieu, où l'Eglise doutera comme Pierre a douté. Elle sera tentée de croire que l'homme est devenu Dieu, que son Fils n'est qu'un symbole, une philosophie comme tant d'autres, et dans les églises les chrétiens chercheront en vain la lampe rouge où Dieu les attend »

A son ami Jean Guitton, Paul V1 disait en substance qu'il y a dans l'Eglise une pensée de type non catholique. Il se peut qu’elle prévale, mais elle ne sera jamais l'Eglise catholique.

Devant cette catastrophe, comment les fidèles doivent-ils réagir ? Leur est-il permis de réagir ? Nous suivons simplement le conseil de saint Vincent de Lérins dans son Commonitorium (N3) : « Que fera donc le chrétien catholique, si quelque parcelle de l'Eglise vient à se détacher de la communion de lu foi universelle ? Quel autre parti prendre, sinon de préférer au membre gangrené et corrompu, le corps dans son ensemble qui est sain ? Et si quelque contagion nouvelle s'efforce d'empoisonner non plus seulement une petite partie de l'Eglise, mais l’Eglise toute entière à 1a fois ? Alors encore, son plus grand souci sera de s'attacher à l'antiquité, c’est à dire au passé, qui, évidemment, ne peut plus être séduite par aucune nouveauté mensongère ».

Voilà un « status questionis » d'où il faudrait partir pour essayer de trouver une solution, lui dis-je. Nous  ne sommes qu'un signe marquant de la terrible tragédie que traverse l'Eglise, peut-être la plus terrible de toutes jusqu'ici, où non seulement un dogme mais tous sont attaqués et ceci au sein des universités pontificales elles-mêmes jusqu’au banc des écoles maternelles.

Nous ne pouvons pas ignorer ce problème gigantesque. De tout notre cœur, de toute notre âme, nous voulons travailler à la restauration de l’Eglise, mais nous ne pouvons pas simplement faire comme si tout allait bien ou s’il s’agissait de questions de détail.

Nous sommes prêts à rendre compte de notre foi à Rome, mais nous ne pouvons pas appeler ce qui est mal, ce qui est bien ».

Voilà, mes biens chers frères, la réponse que nous avons adressée au cardinal.

Nous vivons une tragédie, il ne nous est pas permis de laisser les choses passer sans réagir. Celui qui veut suivre le courant général, périra. A toutes les époques et nous le voyons aujourd’hui, en cette fête de saint Pierre et saint Paul, tous les chrétiens dans leur vie ont eu une épreuve de leur foi.

La nôtre est une des plus difficiles parce qu’il nous faut dire non, non pas à une autorité temporelle hostile mais précisément à ceux qui devraient nous conforter dans la foi. Voilà le mystère dans lequel nous sommes plongés mais nous voyons à travers notre petite histoire, combien Dieu nous soutient. Combien Dieu est là. Combien Il n’abandonne pas ceux qui se tournent vers lui, qui ne veulent pas l’abandonner.

Cette parole n’est pas nouvelle. C’est Notre Seigneur qui le disait à ses apôtres et que nous pouvons vous répéter aujourd’hui, à vous, Chers ordinants : « Nous vous envoyons comme des agneaux au milieu des loups ». C’est bien ainsi et il est impressionnant de voir précisément chez les diacres combien l’Eglise parle et insiste sur la force. Dans la forme même du sacrement, il est parlé du saint Esprit juste avant, pendant l’imposition de la main, l’évêque vous dit « accipe », recevez le Saint Esprit « ad robur » pour être fortifié. Et vous avez besoin de cette force pour parler dans ce monde qui voudrait que vous vous taisiez. Pour dire et être convaincus avec saint Paul, « non est alligatum », il n’est pas lié, il n’est pas attaché ce nom de Dieu, « Verbum Dei », la parole de Dieu. Il vous est confié, aujourd’hui, avec la prédication. C’est un grand trésor que vous recevez aujourd’hui car l’Evangile, c’est ce qui sauve les âmes « fides ex auditu ». Et cette prédication pour être efficace, dépend davantage de votre exemple que de votre parole. Cela, l’Eglise nous le rappelle aussi. Elle veut que vous soyez l’Evangile, qu’on puisse lire l’Evangile en vous regardant et cette prédication là convertit davantage les âmes que l’Ecriture seule. Vous recevrez, aujourd’hui, un titre. L’Eglise vous le donne, qui vous rappelle s’il le faut, la grandeur dans laquelle vous êtes établis aujourd’hui : « Co-ministri et co-opérators corporis et sanguinis domini ».

Les coopérateurs et les co-ministres du Corps et du Sang du Christ.

Oui, vous approchez tellement Notre Seigneur qu’à vous qui recevez aujourd’hui une première partie du caractère sacerdotal, à vous, il vous est permis en de rares occasions, comme ministres extraordinaires de la Sainte Eucharistie, de toucher Notre Seigneur, le corps sacré de Notre Seigneur.

Et vous, mes biens chers amis, qui dans quelques instants allez recevoir le Sacerdoce, non seulement vous toucherez Notre Seigneur, vous le devenez « Sacerdos alter Christus ». A l’autel, vous n’êtes plus vous, vous êtes Jésus au point de dire : « Ceci est mon corps » et sur l’autel, ce sera le corps de Jésus. A votre voix, à votre parole, Notre Seigneur a donné cette puissance qu’on ne trouve qu’en Dieu, la Toute-Puissance. Car il n’y a que la Toute-Puissance de Dieu qui puisse faire cela. Par une parole, d’un bout de pain vous faites Jésus. Et non seulement cela, mais vous renouvelez son Sacrifice, ce pourquoi il s’est fait homme, ce pour quoi il s’est anéantit, ce pour quoi il s’est sacrifié. Oui, le sacrifice de la Croix dans toute sa grandeur, dans toute sa valeur. Ce sacrifice, vous le renouvelez, vous le perpétuez à l’autel « imitamum quod tractatis ».

C’est l’invitation de l’Eglise : « Imitez,  imitez, faites entrer dans votre vie ce que vous faites

à l’autel ». Avant tout, le prêtre doit croire, il doit croire à son sacerdoce. C’est tellement grand. Il est en contact avec ce que Notre Seigneur appelle lui-même le « mysterium fidei », le mystère de la foi et plus que tous, il est en contact avec ce mystère. Et tous les jours, vous devez nourrir cette foi, cette foi qui sauve et la principale des nourritures de cette foi, c’est votre union au sacrifice. Je ne vous apprends rien mais je ne suis pas prophète en vous annonçant que Dieu vous fera participer d’une manière ou d’une autre, à sa Croix. Cela fait partie du programme. Vous aurez la Croix dans votre vie de prêtre, d’une manière ou d’une autre et plus que tout le reste. C’est dans cette union au sacrifice de Jésus que vous apporterez votre part. Il y a là quelque chose de mystérieux. D’un côté, les sacrements, la messe opère « ex opere operato » et Dieu merci, c’est à dire indépendamment des qualités, des mérites du ministre et d’autre part aussi, dans le mystère de la communion des Saints, nous le savons bien et c’est l’Eglise qui nous le dit, par exemple Pie XII, que le salut d’un certain nombre d’âmes, Dieu sait combien, repose entre vos mains, dans les mains du prêtre et de sa réponse personnelle.

Demandons, aujourd’hui, à Notre Dame, Mère du Prêtre, qu’Elle nous fasse grandir dans ce mystère, dans cette foi, dans cette réponse d’amour qui vous est demandé, aujourd’hui ».