Lettre
aux Amis et Bienfaiteurs n°72
- Avril 2008 -
Chers Amis et Bienfaiteurs,
Le Motu Proprio Summorum
Pontificum qui a reconnu que la messe tridentine n’avait
jamais été abrogée pose un certain nombre
de questions en ce qui concerne le futur des relations de
la Fraternité Saint Pie X avec Rome. Plusieurs personnes,
dans les milieux conservateurs et à Rome même,
ont fait entendre leurs voix arguant que, le Souverain Pontife
ayant posé un acte d’une si grande générosité,
et donné par là même un signe évident
de bonne volonté à notre égard, il ne
resterait à notre Société qu’une
seule chose à faire : « signer un accord avec
Rome ». Malheureusement quelques uns de nos amis se
sont laissés prendre à ce jeu d’illusions.
Nous voudrions saisir l’occasion
de cette lettre du temps pascal pour rappeler une fois de
plus les principes qui gouvernent notre action en ces temps
troublés et signaler quelques événements
récents qui indiquent bien clairement que, au fond,
à part l’ouverture liturgique du Motu Proprio,
rien n’a vraiment changé, afin de tirer les conclusions
qui s’imposent.
Le principe fondamental qui
dicte notre action est la conservation de la foi, sans laquelle
nul ne peut être sauvé, nul ne peut recevoir
la grâce, nul ne peut être agréable à
Dieu, comme le dit le concile Vatican I. La question liturgique
n’est pas première, elle ne le devient que comme
expression d’une altération de la foi et corrélativement
du culte dû à Dieu.
Il y a un changement notable
d’orientation dans le Concile Vatican II par rapport
à la vision de l’Eglise, surtout par rapport
au monde, aux autres religions, aux Etats, mais aussi par
rapport à elle-même. Ces changements sont reconnus
par tous, mais ne sont pas évalués de la même
manière par tous. Jusqu’ici, ils étaient
présentés comme très profonds, révolutionnaires
: « la révolution de 89 dans l’Eglise »
a pu dire un des cardinaux du Concile.
Benoît XVI encore cardinal
présentait la question ainsi : « Le problème
des années soixante était d’acquérir
les meilleures valeurs exprimées de deux siècles
de culture “libérale”. Ce sont en fait
des valeurs qui, même si elles sont nées en dehors
de l’Eglise, peuvent trouver leur place – épurées
et corrigées – dans sa vision du monde. C’est
ce qui a été fait ». Et au nom de cette
assimilation, une nouvelle vision du monde et de ses composants
a été imposée : une vision fondamentalement
positive, qui a dicté non seulement un nouveau rite
liturgique, mais aussi un nouveau mode de présence
de l’Eglise dans le monde, beaucoup plus horizontal,
plus présente aux problèmes humains et terrestres
que surnaturels et éternels…
En même temps, la relation
aux autres religions se transformait : depuis Vatican II,
Rome évite tout jugement négatif ou dépréciateur
de ces autres religions. Par exemple, la dénomination
classique de « fausses religions » a complètement
disparu du vocabulaire ecclésiastique. Les termes «
hérétiques » et « schismatiques
», qui qualifiaient les religions plus proches de la
religion catholique, ont eux aussi disparu ; ils sont éventuellement
utilisés, surtout celui de schismatique, pour nous
désigner. Ainsi en est-il du terme « excommunication
». La nouvelle approche se nomme œcuménisme,
et contrairement à ce que tous croyaient, ce n’est
pas d’un retour à l’unité catholique
qu’il s’agit, mais de l’établissement
d’une nouvelle sorte d’unité qui ne requiert
plus de conversion.
Envers les confessions chrétiennes
s’est établie une nouvelle perspective, et cela
est encore plus clair avec les orthodoxes : dans l’accord
de Balamand, l’Eglise catholique s’engage officiellement
à ne pas convertir les orthodoxes et à collaborer
avec eux. Le dogme « hors de l’Eglise pas de salut
» rappelé dans le document Dominus Jesus
a connu une réinterprétation nécessaire
à la nouvelle vision des choses : on n’a pu maintenir
ce dogme sans élargir les limites de l’Eglise,
ce qui a été réalisé par la nouvelle
définition de l’Eglise donnée dans Lumen
Gentium. L’Eglise du Christ n’est plus l’Eglise
catholique, elle subsiste en elle. On a beau dire qu’elle
ne subsiste qu’en elle, il reste que l’on prétend
à une action du Saint Esprit et de cette « Eglise
du Christ » hors de l’Eglise catholique. Les autres
religions ne sont pas privées d’éléments
de salut… Les « églises orthodoxes »
deviennent d’authentiques églises particulières
dans lesquelles s’édifie « l’Eglise
du Christ. »
Ces nouvelles perspectives ont
évidemment bouleversé les rapports avec les
autres religions. Il est impossible de parler d’un changement
superficiel, c’est bien une nouvelle et très
profonde mutation que l’on prétend imposer à
l’Eglise de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce qui
fait que Jean-Paul II a pu parler de « nouvelle ecclésiologie
», admettant un changement essentiel dans cette partie
de la théologie qui traite de l’Eglise. Nous
ne comprenons tout simplement pas comment l’on peut
prétendre que cette nouvelle compréhension de
l’Eglise serait encore en harmonie avec la définition
traditionnelle de l’Eglise. Elle est nouvelle, elle
est radicalement autre et elle oblige le catholique à
avoir un comportement foncièrement différent
avec les hérétiques et schismatiques qui ont
tragiquement abandonné l’Eglise et bafoué
la foi de leur baptême. Ils ne sont désormais
plus des « frères séparés »,
mais des frères qui « ne sont pas en pleine communion
»… et nous sont « profondément unis
» par le baptême dans le Christ, d’une union
inamissible… La dernière mise au point de la
Congrégation de la Doctrine de la Foi sur le mot subsistit
est à ce propos très éclairante. Tout
en affirmant que l’Eglise ne peut pas enseigner de nouveauté,
elle confirme la nouveauté introduite au Concile…
De même pour l’évangélisation
: le devoir sacré de tout chrétien de répondre
à l’appel de Notre Seigneur Jésus-Christ
est d’abord affirmé, « Allez par tout le
monde, et prêchez l’Evangile à toute créature.
Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé
; celui qui ne croira pas, sera condamné. » Mais
il est ensuite allégué que cette évangélisation
ne concerne que les païens, et ainsi, ni les chrétiens,
ni les juifs ne sont concernés… Tout récemment
les cardinaux Kasper et Bertone, au sujet de la controverse
sur la nouvelle prière pour les Juifs, ont affirmé
que l’Eglise ne les convertirait pas.
Ajoutons à cela les positions
papales au sujet de la liberté religieuse et nous pouvons
aisément conclure que le combat de la foi n’a
en rien diminué ces dernières années.
Le Motu Proprio qui introduit une espérance de changement
vers le mieux au niveau liturgique, n’est pas accompagné
par des mesures logiquement corrélatives dans les autres
domaines de la vie de l’Eglise. Tous les changements
introduits au Concile et dans les réformes post-conciliaires
que nous dénonçons, parce que l’Eglise
les a précisément déjà condamnés,
sont confirmés. Avec la différence que désormais,
on affirme en même temps que l’Eglise ne change
pas… ce qui revient à dire que ces changements
seraient parfaitement dans la ligne de la Tradition catholique.
Le bouleversement au niveau des termes joint au rappel que
l’Eglise doit rester fidèle à sa Tradition
peuvent en troubler plus d’un. Tant que les faits ne
corroborent pas l’affirmation nouvelle, il faut conclure
que rien n’a changé dans la volonté de
Rome de poursuivre les orientations conciliaires, malgré
quarante années de crise, malgré les couvents
dépeuplés, les presbytères abandonnés,
les églises vides. Les universités catholiques
persistent dans leurs divagations, l’enseignement du
catéchisme reste une inconnue alors que l’école
catholique n’existe plus comme spécifiquement
catholique : c’est devenu une espèce éteinte…
Voici pourquoi la Fraternité
Saint Pie X ne peut pas « signer d’accord ».
Elle se réjouit franchement de la volonté papale
de réintroduire le rite ancien et vénérable
de la sainte Messe, mais découvre aussi la résistance
parfois farouche d’épiscopats entiers. Sans désespérer,
sans impatience, nous constatons que le temps d’un accord
n’est pas encore venu. Cela ne nous empêche pas
de continuer d’espérer, de continuer le chemin
défini dès l’an 2000. Nous continuons
de demander au Saint Père l’annulation du décret
d’excommunication de 1988, car nous sommes persuadés
que cela ferait le plus grand bien à l’Eglise
et nous vous encourageons à prier pour que cela se
réalise. Mais il serait très imprudent et précipité
de se lancer inconsidérément dans la poursuite
d’un accord pratique qui ne serait pas fondé
sur les principes fondamentaux de l’Eglise, tout spécialement
sur la foi.
La nouvelle croisade du Rosaire
à laquelle nous vous appelons, pour que l’Eglise
retrouve et reprenne sa Tradition bimillénaire, appelle
aussi quelques précisions. Voici comment nous la concevons
: que chacun s’engage à réciter un chapelet
à une heure assez régulière du jour.
Vu le nombre de nos fidèles et leur répartition
dans le monde entier, nous pouvons être assurés
que toutes les heures du jour et de la nuit auront leurs voix
vigilantes et orantes, de ces voix qui veulent le
triomphe de leur Mère céleste, l’avènement
du Règne de Notre Seigneur, « sur la terre comme
au ciel ».
+ Bernard Fellay
Menzingen, le 14 avril 2008
|
|