Chapitre
III
31.
Outre le fait qu’il s’appuie sur des thèses hétérodoxes,
l’œcuménisme est nocif pour les âmes, en ce sens qu’il
relativise la foi catholique pourtant indispensable
au salut et qu’il détourne de l’Eglise catholique, unique
arche de salut. L’Eglise catholique n’agit plus en phare
de la vérité qui illumine les cœurs et dissipe l’erreur,
mais plonge l’humanité dans la brume de l’indifférentisme
religieux, et bientôt dans les ténèbres de l’ « apostasie
silencieuse102 »
32.
Le dialogue œcuménique voile le péché contre la
foi que commet l’hérétique – raison formelle de la rupture
– pour mettre en avant le péché contre la charité, imputé
arbitrairement tant à l’hérétique qu’au fils de l’Eglise.
Il en arrive finalement à nier le péché contre
la foi que constitue l’hérésie. C’est ainsi que Jean-Paul
II, au sujet de l’hérésie monophysite, affirme :
« Les divisions qui se sont produites étaient dues
dans une large mesure à des malentendus103»,
ajoutant : « Les formulations doctrinales
qui se séparent des formules en usage […] recouvrent
un contenu identique.104»
De telles affirmations désavouent d’autant le Magistère
pourtant infaillible qui condamna ces hérésies.
33.
Même si le concile Vatican II précise, quoiqu’en
des termes bien modérés, la nature de l’ “enrichissement”
apporté par le dialogue – « une connaissance plus
conforme à la vérité, en même temps qu’une estime plus
juste, de l’enseignement et de la vie de chaque communion105 »
– la pratique œcuménique de ce pontificat déforme cette
affirmation pour en faire un enrichissement de la foi.
L’Eglise quitte un regard partiel pour saisir la réalité
intégralement : « Les polémiques et les controverses
intolérantes ont transformé en affirmations incompatibles
ce qui était en fait le résultat de deux regards scrutant
la même réalité, mais de deux points de vue différents.
Il faut trouver aujourd’hui la formule qui, saisissant
cette réalité intégralement, permette de dépasser des
lectures partielles et d’éliminer des interprétations
erronées.106 »
C’est ainsi que « l’échange des dons entre Eglises,
dans leur complémentarité, rend féconde la communion.107»
De telles affirmations, si elles présupposent que l’Eglise
n’est pas définitivement et intégralement dépositaire
du trésor de la foi, ne sont pas conformes à la doctrine
traditionnelle de l’Eglise. C’est pourquoi le Magistère
mettait en garde contre cette fausse valorisation des
supposées richesses de l’autre : « En revenant
à l’Eglise, ils ne perdront rien du bien qui, par la
grâce de Dieu, est réalisé en eux jusqu’à présent, mais
par leur retour ce bien sera plutôt (potius)
complété et amené à la perfection. On évitera pourtant
de parler sur ce point d’une manière telle que, en revenant
à l’Eglise, ils s’imaginent apporter à celle-ci un élément
essentiel qui lui aurait manqué jusqu’ici.108 »
34.
La supposée « hiérarchie des vérités de la
doctrine catholique109»
est certes bien resituée théologiquement par la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi : elle « signifie
que certains dogmes ont leur raison d’être en d’autres
qui occupent le premier rang et les éclairent. Mais
tous les dogmes puisqu’ils sont révélés, doivent également
être crus de foi divine.110»
Cependant, la pratique œcuménique de Jean-Paul II s’affranchit
de cette interprétation authentique. Par exemple dans
l’adresse à l’ “Eglise” évangélique, il souligne “ce
qui importe” : « Vous savez que, pendant
des dizaines d’années, ma vie a été marquée par l’expérience
des défis lancés au christianisme par l’athéisme et
l’incroyance. J’ai d’autant plus clairement devant les
yeux ce qui importe : notre commune profession
de Jésus-Christ. […] Jésus-Christ est notre salut à
tous. […] Par la force de l’Esprit-Saint, nous devenons
ses frères, véritablement et essentiellement des fils
de Dieu. […] Grâce à la réflexion sur la Confession
d’Augsbourg et à de multiples rencontres, nous avons
pris une nouvelle conscience du fait que nous croyons
et professons tout cela ensemble.111»
Léon XIII condamnait ce type de pratique œcuménique,
qui trouve son apogée dans la déclaration sur la Justification :
« Ils soutiennent qu’il est opportun, pour gagner
les cœurs des égarés, de relativiser certains points
de doctrine comme étant de moindre importance, ou de
les atténuer au point de ne plus leur laisser le sens
auquel l’Eglise s’est toujours tenue. Il n’est pas besoin
de long discours pour montrer combien est condamnable
une telle conception.112 »
Il
promeut une “réforme permanente” des formules de foi
35.
La latitude que la pratique œcuménique s’octroie
avec les formules dogmatiques a déjà été dite. Reste
à montrer l’importance de ce procédé dans le processus
œcuménique : « L’approfondissement de la communion
dans une réforme constante, réalisée à la lumière de
la Tradition apostolique, est sans doute un des traits
distinctifs les plus importants de l’œcuménisme. […]
Le décret sur l’œcuménisme (UR n° 6) fait figurer la
manière de formuler la doctrine parmi les éléments de
réforme permanente.113»
Un tel procédé a été condamné par Pie XII : « Certains
entendent réduire le plus possible la signification
des dogmes et libérer le dogme lui-même de la manière
de s’exprimer en usage dans l’Eglise depuis longtemps
et des concepts philosophiques en vigueur chez les docteurs
catholiques. […] Il est clair […] que ces tentatives
non seulement conduisent à ce qu’ils appellent un “relativisme”
dogmatique, mais qu’elles le contiennent déjà en fait.
[…] Certes, il n’est personne qui ne voie que les termes
pour exprimer de telles notions, et qui sont utilisés
dans les écoles [théologiques] aussi bien que par le
magistère de l’Eglise lui-même, peuvent être améliorés
et perfectionnés. […] Il est clair également que l’Eglise
ne peut pas se lier à n’importe quel système philosophique,
dont le règne ne dure que peu de temps : mais ce
qui durant des siècles a été établi du consentement
commun des docteurs catholiques pour parvenir à une
certaine intelligence du dogme, ne repose assurément
pas sur un fondement aussi fragile. […] C’est pourquoi
il n’y a pas lieu de s’étonner si certaines de ces notions,
les conciles œcuméniques ne les ont pas seulement employées,
mais qu’ils les ont également sanctionnées, en sorte
qu’il n’est pas permis de s’en éloigner.114»
36.
Le postulat œcuménique selon lequel « la méthode
et la manière d’exprimer la foi catholique ne doivent
nullement faire obstacle au dialogue avec les frères115 »
aboutit à des déclarations communes signées solennellement,
mais équivoques et ambivalentes. Dans la déclaration
commune sur la Justification par exemple, jamais n’est
enseignée clairement l’infusion de la grâce sanctifiante116
dans l’âme du juste ; la seule phrase y faisant
allusion, des plus maladroites, peut même porter à croire
l’inverse : « La grâce justifiante ne devient
jamais une possession de la personne dont cette dernière
pourrait se réclamer face à Dieu.117»
De telles pratiques ne respectent plus le devoir d’exposer
intégralement et sans ambiguïté la foi catholique, comme
“devant être crue” : « La doctrine catholique
doit être proposée totalement et intégralement ;
il ne faut point passer sous silence ou voiler en des
termes ambigus ce que la vérité catholique enseigne
sur la vraie nature et les étapes de la justification,
sur la constitution de l’Eglise, sur la primauté de
juridiction du Pontife Romain, sur la seule véritable
union par le retour des chrétiens séparés à l’unique
véritable Eglise du Christ.118»
37.
En publiant un martyrologe commun aux différentes confessions
chrétiennes, Jean-Paul II met sur un pied d’égalité
les saints authentiques avec des “saints” supposés.
C’est oublier la phrase de saint Augustin : « Si,
restant séparé de l’Eglise, il est persécuté par un
ennemi du Christ […] et que cet ennemi du Christ lui
dise à lui, séparé de l’Eglise du Christ : “Offrez
de l’encens aux idoles, adorez mes dieux” et le tue
parce qu’il ne les adore pas, il pourra répandre son
sang, mais non recevoir la couronne.119»
Si l’Eglise espère pieusement que le frère séparé mort
pour le Christ a eu la charité parfaite, elle ne peut
l’affirmer. Dans son droit, elle présume que
l’ “obex” , l’obstacle de la séparation visible,
fut un obstacle à l’acte de charité parfaite que constitue
le martyre. Elle ne peut donc le canoniser ni l’inscrire
au martyrologe120
.
38.
Relativiste, évolutionniste et ambigu, cet œcuménisme
provoque directement la perte de la foi. La première
victime en est le Président du Conseil pontifical pour
la promotion de l’Unité des Chrétiens, le cardinal Kasper
lui-même, lorsqu’il affirme par exemple au sujet de
la justification que « notre valeur personnelle
ne dépend pas de nos œuvres, qu’elles soient bonnes
ou mauvaises. Avant même d’agir, nous sommes acceptés
et nous avons reçu le “oui” de Dieu121;
ou encore à propos de la messe et du sacerdoce, que
« ce n’est pas le prêtre qui opère la transsubstantiation :
le prêtre prie le Père afin que celle-ci ait lieu par
l’opération du Saint Esprit. […] La nécessité du ministère
ordonné est un signe qui suggère et fait aussi goûter
la gratuité du sacrement eucharistique.122 »
39.
Outre qu’il détruit la foi catholique, l’œcuménisme
détourne encore de l’Eglise les hérétiques, les schismatiques
et les infidèles.
40.
Le mouvement œcuménique ne cherche plus leur conversion
et leur retour à « l’unique bercail du Christ,
hors duquel se trouve certainement quiconque n’est point
uni à ce Saint-Siège de Pierre.123
» Cela est clairement affirmé : « Nous le
rejetons [l’uniatisme] comme méthode de recherche d’unité.
[…] L’action pastorale de l’Eglise catholique tant latine
qu’orientale ne tend plus à faire passer les fidèles
d’une Eglise à l’autre.124 »
D’où la suppression de la cérémonie d’abjuration en
cas de retour d’un hérétique à l’Eglise catholique.
Le cardinal Kasper va très loin dans ce type d’affirmations :
« L’œcuménisme ne se fait pas en renonçant à notre
propre tradition de foi. Aucune Eglise ne peut pratiquer
ce renoncement.125»
Il ajoute encore : « Nous pouvons décrire
l’ “ethos” propre à l’œcuménisme de vie de la façon
suivante : renoncement à toute forme de prosélytisme
ouvert ou camouflé.126»
Tout cela est radicalement opposé à la pratique constante
des papes à travers les siècles, qui ont toujours œuvré
au retour des dissidents à l’unique Eglise127.
41.
La pratique œcuménique engendre un égalitarisme
entre les catholiques et autres chrétiens, lorsque par
exemple Jean-Paul II se réjouit du fait que, « à
l’expression frères séparés, l’usage tend à substituer
aujourd’hui des termes plus aptes à évoquer la profondeur
de la communion liée au caractère baptismal. […] La
conscience de l’appartenance commune au Christ s’approfondit.
[…] La “fraternité universelle” des chrétiens est devenue
une ferme conviction œcuménique.128»
Plus encore, c’est l’Eglise catholique elle-même qui,
pratiquement, est mise à pied d’égalité avec les Communautés
séparées : nous avons déjà mentionné l’expression
“Eglises-sœurs” ; Jean-Paul II se réjouit également
de ce que « le Directoire pour l’application
des principes et des normes sur l’œcuménisme appelle
les Communautés auxquelles appartiennent ces chrétiens
des “Eglises et [des] Communautés ecclésiales qui ne
sont pas en pleine communion avec l’Eglise catholique”
. […] Reléguant dans l’oubli les excommunications du
passé, les Communautés, un temps rivales, s’aident aujourd’hui
mutuellement.129»
Se réjouir de cela, c’est oublier que « reconnaître
la qualité d’Eglise au schisme de Photius et à l’Anglicanisme
[…] favorise l’indifférentisme religieux […] et arrête
la conversion des non-catholiques à la véritable et
unique Eglise.130 »
42.
La pratique œcuménique des repentances dissuade les
infidèles de se tourner vers l’Eglise catholique, en
raison de la fausse image qu’elle y donne d’elle-même.
S’il est possible de porter devant Dieu la faute de
ceux qui nous ont précédés131,
en revanche la pratique des repentances telle que nous
la connaissons laisse croire que c’est l’Eglise catholique
en tant que telle qui est pécheresse, puisque c’est
elle qui demande pardon. Le premier à le croire est
le cardinal Kasper : « Il [le concile Vatican
II] reconnut que l’Eglise catholique avait une responsabilité
dans la division des chrétiens et souligna que le rétablissement
de l’unité supposait une conversion des uns et des autres
au Seigneur. 132»
Les textes justificatifs n’y font donc rien : la
note ecclésiale de sainteté, si puissante pour attirer
les âmes égarées à l’unique bercail, a été ternie. Ces
repentances sont donc gravement imprudentes, car elles
humilient l’Eglise catholique et enorgueillissent les
dissidents. D’où la mise en garde du Saint-Office :
« Ils [les évêques] empêcheront soigneusement et
avec une réelle insistance qu’en exposant l’histoire
de la Réforme et des Réformateurs, on n’exagère tellement
les défauts des catholiques et on ne dissimule tellement
les fautes des Réformateurs ou bien qu’on mette tellement
en lumière des éléments plutôt accidentels que l’on
ne voie et ne sente presque plus ce qui est essentiel,
la défection de la foi catholique.133»
43.
Considéré sous l’angle pastoral, on doit dire de
l’œcuménisme de ces dernières décennies qu’il mène les
catholiques à l’ « apostasie silencieuse »
et qu’il dissuade les non-catholiques d’entrer dans
l’unique arche de salut. Il faut donc réprouver « l’impiété
de ceux qui ferment aux hommes l’entrée du Royaume des
cieux.134»
Sous couvert de rechercher l’unité, cet œcuménisme disperse
les brebis ; il ne porte pas la marque du Christ,
mais celle du diviseur par excellence, le diable.
44. Si attirant qu’il puisse paraître au premier
abord, si spectaculaires que puissent apparaître ses
cérémonies à la télévision, aussi nombreuses que puissent
être les foules qu’il rassemble, la réalité demeure :
l’œcuménisme a fait de cette cité sainte qu’est l’Eglise
une ville en ruine. Marchant à la suite d’une utopie
– l’unité du genre humain – le pape n’a pas réalisé
combien l’œcuménisme qu’il poursuivait était proprement
et tristement révolutionnaire : il renverse l’ordre
voulu par Dieu.
45.
Révolutionnaire il l’est, révolutionnaire il s’affirme.
On reste impressionné par la succession des textes le
rappelant : « L’approfondissement de la communion
dans une réforme constante […] est sans doute
un des traits distinctifs les plus importants de l’œcuménisme.135 »
« En reprenant l’idée que le Pape Jean XXIII avait
exprimée à l’ouverture du concile, le Décret sur l’œcuménisme
fait figurer la manière de reformuler la doctrine parmi
les éléments de la réforme permanente.136 »
Par moments, cette affirmation se pare d’onction ecclésiastique
pour devenir “conversion” . En l’occurrence, la différence
importe peu. Dans les deux cas, ce qui préexistait est
rejeté : « “Convertissez-vous”. Il n’est aucun
rapprochement œcuménique sans conversion et sans
renouvellement. Non la conversion d’une confession
à l’autre. […] Tous doivent se convertir. Nous ne devons
donc pas demander d’abord “Qu’est-ce qui ne va pas avec
l’autre ?” , mais “Qu’est-ce qui ne va pas chez
nous ; par où commencer, chez nous, le ménage ?”137»
Trait caractéristique de son aspect révolutionnaire,
l’appel au peuple que clame cet œcuménisme : « Dans
l’action œcuménique, les fidèles de l’Eglise catholique
[…] considéreront surtout avec loyauté et attention
tout ce qui, dans la famille catholique elle-même, a
besoin d’être rénové.138 »
Oui, vraiment, en cette ivresse d’aggiornamento, la
tête a besoin d’être dépassée par les membres :
« Le mouvement œcuménique est un processus quelque
peu complexe, et ce serait une erreur de s’attendre,
du côté catholique, à ce que tout soit fait par Rome.
[…] Les intuitions, les défis doivent aussi venir des
Eglises locales, et beaucoup doit être fait au niveau
local avant que l’Eglise universelle le fasse sien.139 »
46.
Comment, en ces tristes circonstances, ne pas entendre
le cri de l’Ange à Fatima : « Pénitence, Pénitence,
Pénitence » ? En cette marche utopique, le
demi-tour doit être radical. Il est urgent de revenir
à la sage expérience de l’Eglise, synthétisée ici par
le Pape Pie XI : « L’union des chrétiens ne
peut être procurée autrement qu’en favorisant le retour
des dissidents à la seule véritable Eglise du Christ,
qu’ils ont eu jadis le malheur d’abandonner.140»
Telle est la véritable et charitable pastorale à l’endroit
des égarés, telle doit être la prière de l’Eglise :
« Nous désirons que monte vers Dieu la commune
supplication de tout le Corps mystique [c’est-à-dire
de toute l’Eglise catholique] afin que toutes les brebis
errantes rejoignent au plus tôt l’unique bercail de
Jésus-Christ.141 »
47.
En attendant l’heure heureuse de ce retour à la
raison, nous gardons pour notre part le sage avis et
la ferme sagesse reçus de notre fondateur : « Nous
voulons être dans une unité parfaite avec le Saint-Père,
mais dans l’unité de la foi catholique, parce qu’il
n’y a que cette unité qui peut nous réunir, et non pas
une espèce d’union œcuménique, une sorte d’œcuménisme
libéral ; car je crois que ce qui définit le mieux
toute la crise de l’Eglise, c’est vraiment cet esprit
œcuménique libéral. Je dis œcuménisme libéral, parce
qu’il y a un certain œcuménisme qui, s’il est bien défini,
pourrait être acceptable. Mais l’œcuménisme libéral,
tel qu’il est pratiqué par l’Eglise actuelle et surtout
depuis le concile Vatican II, comporte nécessairement
de véritables hérésies142. »
Faisant de surcroît monter notre supplication vers le
Ciel, nous implorons le Christ pour son Corps qu’est
l’Eglise catholique, en disant : « Salvum
me fac, Domine, quoniam defecit sanctus, quoniam diminutæ
sunt veritates a filiis hominum. Vana locuti sunt unusquisque
ad proximum suum : labia dolosa in corde et corde
locuti sunt. Disperdat Dominus universa labia dolosa
et linguam magniloquam.143»