DE L’ŒCUMÉNISME
À L’APOSTASIE SILENCIEUSE
Chapitre
II
17. La pratique œcuménique de ce pontificat repose tout
entière sur la distinction Eglise du Christ / Eglise catholique,
laquelle permet d’avancer que, si la communion visible a
été blessée par les divisions ecclésiales, la communion
des saints, considérée comme partage des biens spirituels
dans la commune union au Christ, n’a pas été brisée. Or,
cette affirmation ne tient pas devant la foi catholique.
18.
On ne peut distinguer l’Eglise du Christ de l’Eglise catholique
ainsi que le suppose la pratique œcuménique. Par le fait
même qu’elle est considérée comme réalité intérieure, cette
“Eglise Corps du Christ”, distincte réellement de l’Eglise
catholique, rejoint la notion protestante d’une « Eglise
invisible pour nous, visible aux seuls yeux de Dieu.64 »
Elle est contraire aux enseignements constants de l’Eglise.
Léon XIII, parlant de l’Eglise, affirme par exemple :
« C’est parce que [l’Eglise] est corps qu’elle est
visible à nos regards.65 »
Pie XI ne dit pas autre chose : « Son Eglise,
le Christ Notre Seigneur l’a établie en société parfaite,
extérieure par nature et perceptible aux sens.66»
Pie XII conclura donc : « C’est s’éloigner de
la vérité divine que d’imaginer une Eglise qu’on ne pourrait
ni voir ni toucher, qui ne serait que “spirituelle” (pneumaticum),
dans laquelle les nombreuses communautés chrétiennes, bien
que divisées entre elles par la foi, seraient pourtant réunies
par un lien invisible.67 »
19.
La foi catholique oblige donc à affirmer l’identité
de l’Eglise du Christ et de l’Eglise catholique. C’est ce
que fait Pie XII en identifiant « le Corps mystique
de Jésus-Christ » à « cette véritable Eglise de
Jésus-Christ – celle qui est sainte, catholique, apostolique,
romaine.68»
Avant lui, le Magistère avait affirmé qu’» il n’y pas
d’autre Eglise que celle qui, bâtie sur Pierre seul, en
un corps joint et assemblé [entendez “visible” ], se dresse
dans l’unité de la foi et de la charité.69 »
Rappelons enfin l’exclamation de Pie IX : « Il
n’y a en effet qu’une seule religion vraie et sainte, fondée
et instituée par le Christ Notre-Seigneur. Mère et nourrice
des vertus, destructrice des vices, libératrice des âmes,
indicatrice du vrai bonheur ; elle s’appelle :
Catholique, Apostolique et Romaine.70 »
Suite à un magistère constant et universel, le 1er
schéma préparatoire de Vatican I était en droit d’avancer
ce canon condamnatoire : « Si quelqu’un dit que
l’Eglise, à qui ont été faites les promesses divines n’est
pas une société (cœtus) externe et visible
de fidèles, mais une société spirituelle de prédestinés
ou de justes connus de Dieu seul, qu’il soit anathème.71 »
20.
Par voie de conséquence, la proposition du cardinal Kasper
selon laquelle : « La véritable nature de l’Eglise
– l’Eglise en tant que corps du Christ – est cachée et n’est
saisissable que par la foi 72 »
est certainement hérétique. Ajouter que « cette nature
saisissable uniquement par la foi s’actualise sous des formes
visibles : dans la Parole proclamée, l’administration
des sacrements, les ministères et le service chrétien73 »
est insuffisant pour rendre compte de la visibilité de l’Eglise :
“se rendre visible” – qui plus est par de simples actes
– n’est pas “être visible”.
21.
Du fait que l’Eglise du Christ est l’Eglise catholique,
on ne peut affirmer avec les partisans de l’œcuménisme que
« la triple unité de foi, de sacrement et de communion
hiérarchique n’est nécessaire qu’à la seule communion visible
de l’Eglise », dans ce sens que l’absence d’un de ces
liens, si elle manifeste la rupture de la communion visible
de l’Eglise, ne signifie pas la séparation vitale d’avec
l’Eglise. Il faut au contraire affirmer que ces trois liens
sont constitutifs de l’unité de l’Eglise, non en
ce sens qu’un seul unirait à l’Eglise, mais du fait que
si un seul de ces trois liens n’était pas possédé in
re vel saltem in voto74,
celui à qui il ferait défaut serait séparé de l’Eglise et
ne bénéficierait pas de la vie surnaturelle. C’est ce que
la foi catholique oblige à croire, ainsi que le montre ce
qui suit.
22.
Si la nécessité de la foi est admise par tous75,
il faut encore préciser la nature de cette foi qui est nécessaire
au salut, et donc constitutive de l’appartenance à l’Eglise.
Elle n’est pas « ce sentiment intime engendré par le
besoin divin » dénoncé par saint Pie X 76,
mais bien cette foi décrite par le concile Vatican I :
« une vertu surnaturelle par laquelle, sous l’inspiration
et avec le secours de la grâce de Dieu, nous croyons que
ce qui nous a été révélé par lui est véritable : nous
le croyons, non point à cause de la vérité intrinsèque des
choses vues dans la lumière naturelle de notre raison, mais
à cause de l’autorité même de Dieu qui nous révèle ces vérités,
et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper.77»
C’est pourquoi celui qui refuse ne serait-ce qu’une vérité
de foi connue comme révélée perd totalement la foi indispensable
au salut : « Celui qui, même sur un seul point,
refuse son assentiment aux vérités divinement révélées très
réellement abdique tout à fait la foi, puisqu’il refuse
de se soumettre à Dieu en tant qu’il est la souveraine vérité
et le motif propre de foi.78 »
23.
« Afin de maintenir toujours en son Eglise cette unité
de foi et de doctrine, il [le Christ] choisit un homme parmi
tous les autres, Pierre…79 » :
c’est ainsi que Pie IX introduit la nécessité de l’unité
à la chaire de Pierre, « dogme de notre divine religion
[qui] a toujours été prêché, défendu, affirmé d’un cœur
et d’une voix unanimes par les Pères et les Conciles de
tous les temps. » A la suite des Pères, le même Pape
développe : « C’est d’elle [la chaire de Pierre]
que découlent sur tous les droits à l’union divine80 ;
[…] celui qui la quitte ne peut espérer rester dans l’Eglise81,
celui qui mange l’Agneau en dehors d’elle n’a pas de part
avec Dieu82 »
D’où la célèbre parole que saint Augustin adresse aux schismatiques :
« Ce qui est vôtre, c’est que vous avez eu l’impiété
de vous séparer de nous ; car, si pour tout le reste,
vous pensiez et possédiez la vérité, en persévérant néanmoins
dans votre séparation […] il ne vous manque que ce qui manque
à celui à qui la charité fait défaut.83 »
24.
« Celui croira et sera baptisé sera sauvé.84 »
A travers cette parole de Notre-Seigneur, tous reconnaissent
la nécessité, outre de l’unité de foi et de but, d’une « communauté
[…] de moyens appropriés au but85»
pour constituer l’unité de l’Eglise : les sacrements.
Telle est donc « l’Eglise catholique [que le Christ
institua], acquise par son sang, comme l’unique demeure
du Dieu vivant […] le corps unique animé et vivifié par
un Esprit unique, maintenu dans la cohésion et la concorde
par l’unité de foi, d’espérance et de charité, par les liens
des sacrements, du culte et de la doctrine.86 »
25.
La nécessité de ce triple lien oblige donc à croire
que « celui qui refuse d’écouter l’Eglise doit être
considéré, selon l’ordre du Seigneur, “comme un païen et
un publicain” (Mt 18, 17) et ceux qui sont divisés pour
des raisons de foi ou de gouvernement ne peuvent vivre dans
ce même Corps ni par conséquent de ce même Esprit divin.87 »
26.
En conséquence de ce qui vient d’être dit, la proposition
suivante : « Ceux [nés hors de l’Eglise catholique
et donc ne pouvant “être accusés de péché de division”]
qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême,
se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite,
avec l’Eglise catholique » au point que « justifiés
par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ, ils portent
à juste titre le nom de chrétiens, et les fils de l’Eglise
catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères
dans le Seigneur » alors que « des divergences
variées entre eux et l’Eglise catholique sur des questions
doctrinales, parfois disciplinaires, ou sur la structure
de l’Eglise, constituent nombre d’obstacles, parfois fort
graves88»
doit être soigneusement pesée ; si cette proposition
entend parler de ceux qui demeurent dans ces divergences
pourtant connues d’eux-mêmes, elle est contraire à la foi
catholique. L’incise affirmant que « ils ne peuvent
être accusés de péché de division » est pour le moins téméraire :
restant extérieurement dans la dissidence, rien n’indique
qu’ils n’adhèrent pas à la division de leurs prédécesseurs,
l’apparence portant plutôt à croire le contraire. Présumer
la bonne foi n’est pas ici possible89,
ainsi que le rappelle Pie IX : « Il faut admettre
de foi que, hors de l’Eglise apostolique romaine, personne
ne peut être sauvé. […] Cependant, il faut aussi reconnaître
d’autre part, avec certitude, que ceux qui sont à l’égard
de la vraie religion dans une ignorance invincible n’en
portent point la faute devant le Seigneur. Maintenant, à
la vérité, qui ira dans sa présomption, jusqu’à marquer
les frontières de cette ignorance90? »
27.
L’affirmation selon laquelle « de nombreux éléments
de sanctification et de vérité91 »
se trouvent hors de l’Eglise est équivoque. Elle suppose
en effet l’efficacité sanctifiante des moyens de salut matériellement
présents dans les Communautés séparées. Or ce présupposé
ne peut être affirmé sans distinction. Parmi ces éléments,
ceux qui ne réclament pas de disposition spécifique de la
part du sujet – le baptême d’un enfant – sont effectivement
salvifiques en ce sens qu’ils produisent efficacement la
grâce dans l’âme du baptisé, qui alors appartient à l’Eglise
catholique de plein droit tant qu’il n’a pas atteint l’âge
des choix personnels92.
Pour les autres éléments, qui réclament des dispositions
de la part du sujet pour être efficaces, on doit dire qu’ils
sont salvifiques seulement dans la mesure où le sujet est
déjà membre de l’Eglise par son désir implicite. C’est ce
qu’affirme la doctrine des conciles : « Elle [l’Eglise]
professe que l’unité du corps de l’Eglise a un tel pouvoir
que les sacrements de l’Eglise n’ont d’utilité en vue du
salut que pour ceux qui demeurent en elle.93»
Or en tant qu’elles sont séparées, ces communautés s’opposent
à ce désir implicite qui seul rend les sacrements fructueux.
On ne peut donc dire de ces communautés qu’elles possèdent
des éléments de sanctification et de vérité, sinon matériellement.
28.
On ne peut affirmer que « l’Esprit du Christ ne refuse
pas de se servir d’elles [des communautés séparées] comme
de moyens de salut.94 »
Saint Augustin affirme en effet : « Il n’y a qu’une
seule véritable Eglise, appelée Eglise catholique; autour
d’elle circulent un certain nombre de sectes séparées de
son unité; et s’il arrive que ces sectes engendrent, ce
n’est pas elles qui engendrent, c’est l’Eglise catholique
qui engendre en elles et par elles.95 »
La seule chose que ces communautés séparées peuvent réaliser
par leur propre vertu, c’est la séparation de ces âmes de
l’unité ecclésiale, comme l’indique encore saint Augustin :
« Il n’est point vôtre [le baptême], ce qui est vôtre
c’est que vous avez des sentiments mauvais et des pratiques
sacrilèges, et que vous avez eu l’impiété de vous séparer
de nous.96»
Dans la mesure où elle remet en cause l’affirmation selon
laquelle l’Eglise catholique est l’unique détentrice des
moyens de salut, l’assertion du document conciliaire est
proche de l’hérésie : si, en leur accordant une « signification
et une valeur dans le mystère du salut97 »,
elle reconnaît à ces communautés séparées une quasi-légitimité
– ainsi que le laisse entendre l’expression “ Eglises-sœurs” 98–
elle va dans un sens opposé à la doctrine catholique parce
qu’elle nie l’unicité de l’Eglise catholique.
29.
La proposition reste vraie matériellement, en ce sens que
tous ces éléments sont autant de points pouvant servir de
base à des discussions visant à les ramener dans l’unique
bercail. Si les Communautés séparées ne sont pas formellement
détentrices des éléments de sanctification et de vérité
– ainsi qu’il a été dit plus haut – la proposition selon
laquelle « ce qui unit les catholiques aux dissidents
est plus grand que ce qui les sépare » ne peut être
vraie formellement, et c’est pourquoi saint Augustin dit :
« En beaucoup de points ils sont avec moi, en quelques-uns
seulement ils ne sont pas avec moi ; mais à cause de
ces quelques points dans lesquels ils se séparent de moi,
il ne leur sert de rien d’être avec moi en tout le reste.99 »
30.
L’œcuménisme ne peut être que rapproché de la “théorie
des branches”100
condamnée par le Magistère : « Son fondement […]
est tel qu’il renverse de fond en comble la constitution
divine de l’Eglise » et sa prière pour l’unité, selon
« une intention profondément souillée et infectée par
l’hérésie, ne peut absolument pas être toléré[e].101 »