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Communicantes: Avril 2002
 

Itinéraire spirituel
Mgr Marcel Lefebvre

I-Dieu

A l'image de saint Thomas et à sa suite, nos considérations seront établies sur la foi, sur la Révélation, même éventuellement sur les arguments de raison. "Justus ex fide vivit": le juste, le saint, vit de la foi, parce que la foi porte en elle comme en germe la vision béatifique; or nous avons été créés dans ce but. La foi assume la lumière de notre intelligence et lui confère une sagesse incomparable.

Le premier sujet d'étude que présente la Somme théologique, c'est Dieu. C'est aussi le premier sujet de la Prière de Notre-Seigneur: "Notre Père, qui êtes aux Cieux". C'est la première affirmation de notre Credo: "Je crois en Dieu..."; c'est le premier commandement: "Un seul Dieu, tu adoreras".

Le premier bien de l'homme et le dernier, son origine et sa fin, son bonheur de tous les jours et 1'éternité, c'est Dieu. Dès ses premières heures de conscience l'âme de l'enfant doit se tourner vers Dieu et s'épanouir au grand soleil de Dieu "qui illuminat onmem hominem venientem in hunc mundum ? qui illumine tout homme venant en ce monde." (Jn. I : 9)

Bienheureux les anges, qui ont gardé inscrit dans leur coeur "quis ut Deus ? qui est comme Dieu?" et qui n'ont pas bronché dans l'épreuve.

Bienheureuse Vierge Marie, immaculée dans sa Conception, qui a tourné pour toujours son âme vers Dieu dès sa plus tendre enfance.

Bienheureuse âme de Notre-Seigneur illuminée par la vision béatiflque dès l'instant de sa création.

Pourquoi ces atermoiements, pourquoi ces retards, pourquoi cette cécité dans la connaissance et l'amour de Dieu, même chez beaucoup de baptisés ?

Cette constatation déclenche les lamentations de Notre-Seigneur, dans les Psaumes, dans les impropères du Vendredi Saint, dans le premier chapitre de saint Jean. On peut penser que son agonie au jardin des Oliviers était la constatation de cet athéisme de fait. L'Amour n'est pas aimé: "Non requirunt Deum ... Non receperunt - ils n'ont pas cherché Dieu ... Ils ne l'ont par reçu".

Ce drame nous laisse-t-il indifférents ? Nous sommes dépassés par cette réalité de l'ignorance de Dieu. Qu'y pouvons-nous ? Toute la société moderne porte à cette ignorance. Mais n'y aurait-il pas chez nous-mêmes trop d'ignorance de Dieu ? Faisons-nous un effort pour méditer Dieu, pour approcher de ce mystère insondable, de "l'Alpha et l'Omega", du "Principium et finis", du Mystère d'amour exprimé dans le Verbe incarné?

Saint Thomas nous invite à mieux connaître Dieu, dans son Unité, dans sa Trinité, dans ses oeuvres.
Cette contemplation de la Trinité bienheureuse qui fera notre bonheur éternel ne peut-elle, dans la foi et l'Esprit saint, nous procurer une esquisse, une effluve de ce bonheur?

Voici quelques études qui peuvent aider à compléter ou expliquer l'enseignement de la Somme:

  • "Les Perfections divines" du R.P. Garrigou-Lagrange.
  • Les Commentaires de la Somme théologique du Père Pègues et du Père Hugon.
  • "Les Noms divins" du Père Lessius.
  • "Dieu", "La Trinité" du Père Emmanuel.
  • "Le Christ, Idéal du Moine", ch. 1 de Dom Marmion.

Il ne s'agit pas de faire une étude théologique mais d'approcher quelque peu la grande réalité qu'est Dieu et devant ses attributs et ses perfections infinies, de nous jeter dans l'adoration, l'humilité, l'oblation ardente en imitation de Jésus-Christ et de la Vierge Marie.

Un peu plus de connaissance de l'infinité de Dieu, de son infinie charité et miséricorde devrait nous faire progresser dans la Charité de Dieu, nous éloigner du péché et nous confirmer dans la vertu; et c'est d'ailleurs la voie qu'ont suivie toutes les âmes saintes, sous l'influence de l'Esprit de Jésus.

 

Existence de Dieu

La foi qui est la science la plus certaine à laquelle nous nous référons, nous enseigne l'existence de Dieu: "Credo in unum Deum Patrem omnipotentem, creatorem coeli et terrae, visibilium et invisibilium".

Elle nous enseigne qu'Il est esprit: "Deus spiritus est", c'est Notre-Seigneur qui l'enseigne à la Samaritaine. C'est donc un Esprit tout-puissant qui a tout créé.

Il fut donc un moment où le monde n'existait pas, où Dieu seul existait éternellement, dans sa sainteté et son bonheur parfaits et infinis, n'ayant nul besoin de créer. Notre-Seigneur au début de sa prière sacerdotale fait allusion à cette époque : "Et maintenant, Père, glorifiez-moi de la gloire que j'avais auprès de vous avant que le monde fût" (Jn. XVII : 5).

La foi nous enseigne que la raison peut et doit parvenir à la conclusion de l'existence de Dieu, et saint Pierre dans sa première épître (I Pe. I : 18 sq.) reproche avec véhémence aux hommes de n'avoir pas connu le vrai Dieu qui se manifeste par ses oeuvres.

En effet tout ce qui est, tout ce que nous sommes, proclame l'existence de Dieu, et chante ses perfections divines. Tout l'Ancien Testament, et particulièrement les Psaumes et les Livres sapientiaux, chante la gloire du Créateur. C'est pourquoi dans la prière liturgique et sacerdotale les psaumes ont une place primordiale.

Il est bon de méditer sur la création "ex nihilo sui et subjecti ? fait de rien", par la simple décision du Créateur. "Qui putat se esse aliquid, cum nihil sit, ipse se seducit ? si quelqu'un se croit quelque chose, alors qu'il n'est rien, il se fait illusion" (Gal. VI : 5).

Plus on creuse cette réalité, plus on est stupéfait de la toute-puissance de Dieu et de notre néant, de la nécessité pour toute créature d'être constamment soutenue dans cette existence, sous peine de disparition, de retour au néant. C'est bien ce que nous enseignent et la foi et la philosophie.

Rien que cette méditation et cette constatation devraient nous jeter dans l'humilité, l'adoration profonde, et nous mettre dans cette attitude d'immutabilité semblable à Dieu, lui-même immuable. Nous devrions être remplis d'une confiance sans bornes, envers Celui qui est notre Tout et qui a décidé de nous créer, et de nous sauver.

Avec quelle dévotion et sincérité nous devrions tous les matins au début des Matines, réciter le Psaume XCIV : " Venite exsultemus... Venite adoremus... quoniam ipsius est mare et ipse fecit illud et aridam fundaverunt manus ejus, venite adoremus et procidamus ante Deum, ploremus coram Domino, qui fecit nos, quia ipse est Dominus Deus noster, nos autem populus ejus et oves pascuae ejus. " 1

Comment ne pas rendre grâces à l'Eglise qui met ces paroles sur nos lèvres pour exprimer les sentiments les plus profonds de nos âmes de créatures!

Si la création est un grand mystère, c'est que Dieu est pour nous le grand Mystère et le demeurera éternellement même dans la vision béatifique. "Nemo Deum vidit unquam, nisi qui ex Deo est", seul le Verbe et l'Esprit saint voient Dieu, étant de Dieu et un seul Dieu avec le Père. (Jn. VI : 46)

Effleurer les attributs et les perfections de Dieu, réalité spirituelle qui embrasse tout, qui vivifie tout, qui soutient tout dans l'existence, ne pourra qu'augmenter le Mystère divin, pour notre plus grande satisfaction, édification, sanctification.

Saint Thomas dit ceci: "Plus nous connaîtrons parfaitement Dieu ici-bas, mieux nous comprendrons qu'Il surpasse tout ce que l'intelligence comprend." (IIa IIae q.8, a3)

La foi venant au secours de la raison pour nous convaincre de l'existence de Dieu et nous ouvrant des horizons merveilleux sur l'intimité de Dieu par la Révélation et surtout par l'incarnation du Verbe divin, il nous faut l'interroger pour savoir si l'on peut donner à Dieu un nom qui serait propre à Dieu et nous aiderait à mieux le connaître.

Or c'est précisément ce que Dieu a fait tant dans l'Ancien Testament que dans le Nouveau. Voici les paroles de Dieu à Moïse: " Je leur dirai : le Dieu de vos pères m'envoie vers vous. S'ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai je? Et Dieu dit à Moïse: Je suis Celui qui suis. Et il ajouta: c'est ainsi que tu répondras aux enfants d'Israël : Celui qui est, m'envoie vers vous " (Ex. III : 13-14). Et Notre-Seigneur s'exprime de même vis-à-vis des Juifs qui lui disent " Vous n'avez pas encore cinquante ans et vous avez vu Abraham? Jésus leur répondit: En vérité en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, Je suis. " (Jn. VIII : 5-9)

On n'admirera jamais assez ces réponses lumineuses, qui correspondent d'ailleurs aux conclusions de notre raison. "Dieu est"; Il est "ens a se", l'être par lui-même; tous les autres êtres sont "ab alio", ils n'ont pas leur raison d'être par eux-mêmes.

Ces affirmations simples sont une source de méditation et de sanctification inépuisables. Que ce soit le regard sur Dieu qui s'épuise dans l'infini, que ce soit la constatation des rapports de la créature au Créateur, ou la vue du néant de la créature, nous sommes en face de ce qu'il y a de plus vrai, de plus profond et de plus mystérieux en Dieu et en nous.

(A suivre.)


1. " Venez, chantons avec allégresse ... Venez, adorons le Seigneur... A Lui est la mer, c'est Lui, en effet, qui l'a faite et ses mains ont formé le continent; venez, adorons, prosternons-nous devant Dieu, et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits, car Lui-même est le Seigneur notre Dieu, et nous sommes son peuple et les brebis de son pâturage."

 

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