Itinéraire
spirituel
Mgr Marcel Lefebvre
I-Dieu
A l'image de saint
Thomas et à sa suite, nos considérations seront établies sur la foi, sur
la Révélation, même éventuellement sur les arguments de raison. "Justus
ex fide vivit": le juste, le saint, vit de la foi, parce que la foi
porte en elle comme en germe la vision béatifique; or nous avons été créés
dans ce but. La foi assume la lumière de notre intelligence et lui confère
une sagesse incomparable.
Le premier sujet
d'étude que présente la Somme théologique, c'est Dieu. C'est aussi le
premier sujet de la Prière de Notre-Seigneur: "Notre Père, qui êtes
aux Cieux". C'est la première affirmation de notre Credo: "Je
crois en Dieu..."; c'est le premier commandement: "Un seul Dieu,
tu adoreras".
Le premier bien de
l'homme et le dernier, son origine et sa fin, son bonheur de tous les
jours et 1'éternité, c'est Dieu. Dès ses premières heures de conscience
l'âme de l'enfant doit se tourner vers Dieu et s'épanouir au grand soleil
de Dieu "qui illuminat onmem hominem venientem in hunc mundum ? qui
illumine tout homme venant en ce monde." (Jn. I : 9)
Bienheureux les anges,
qui ont gardé inscrit dans leur coeur "quis ut Deus ? qui est comme
Dieu?" et qui n'ont pas bronché dans l'épreuve.
Bienheureuse Vierge
Marie, immaculée dans sa Conception, qui a tourné pour toujours son âme
vers Dieu dès sa plus tendre enfance.
Bienheureuse âme
de Notre-Seigneur illuminée par la vision béatiflque dès l'instant de
sa création.
Pourquoi ces atermoiements,
pourquoi ces retards, pourquoi cette cécité dans la connaissance et l'amour
de Dieu, même chez beaucoup de baptisés ?
Cette constatation
déclenche les lamentations de Notre-Seigneur, dans les Psaumes, dans les
impropères du Vendredi Saint, dans le premier chapitre de saint Jean.
On peut penser que son agonie au jardin des Oliviers était la constatation
de cet athéisme de fait. L'Amour n'est pas aimé: "Non requirunt Deum
... Non receperunt - ils n'ont pas cherché Dieu ... Ils ne l'ont par reçu".
Ce drame nous laisse-t-il
indifférents ? Nous sommes dépassés par cette réalité de l'ignorance de
Dieu. Qu'y pouvons-nous ? Toute la société moderne porte à cette ignorance.
Mais n'y aurait-il pas chez nous-mêmes trop d'ignorance de Dieu ? Faisons-nous
un effort pour méditer Dieu, pour approcher de ce mystère insondable,
de "l'Alpha et l'Omega", du "Principium et finis",
du Mystère d'amour exprimé dans le Verbe incarné?
Saint Thomas nous
invite à mieux connaître Dieu, dans son Unité, dans sa Trinité, dans ses
oeuvres.
Cette contemplation de la Trinité bienheureuse qui fera notre bonheur
éternel ne peut-elle, dans la foi et l'Esprit saint, nous procurer une
esquisse, une effluve de ce bonheur?
Voici quelques études
qui peuvent aider à compléter ou expliquer l'enseignement de la Somme:
- "Les Perfections
divines" du R.P. Garrigou-Lagrange.
- Les Commentaires
de la Somme théologique du Père Pègues et du Père Hugon.
- "Les Noms
divins" du Père Lessius.
- "Dieu",
"La Trinité" du Père Emmanuel.
- "Le Christ,
Idéal du Moine", ch. 1 de Dom Marmion.
Il ne s'agit pas
de faire une étude théologique mais d'approcher quelque peu la grande
réalité qu'est Dieu et devant ses attributs et ses perfections infinies,
de nous jeter dans l'adoration, l'humilité, l'oblation ardente en imitation
de Jésus-Christ et de la Vierge Marie.
Un peu plus de connaissance
de l'infinité de Dieu, de son infinie charité et miséricorde devrait nous
faire progresser dans la Charité de Dieu, nous éloigner du péché et nous
confirmer dans la vertu; et c'est d'ailleurs la voie qu'ont suivie toutes
les âmes saintes, sous l'influence de l'Esprit de Jésus.
Existence
de Dieu
La foi qui est la
science la plus certaine à laquelle nous nous référons, nous enseigne
l'existence de Dieu: "Credo in unum Deum Patrem omnipotentem, creatorem
coeli et terrae, visibilium et invisibilium".
Elle nous enseigne
qu'Il est esprit: "Deus spiritus est", c'est Notre-Seigneur
qui l'enseigne à la Samaritaine. C'est donc un Esprit tout-puissant qui
a tout créé.
Il fut donc un moment
où le monde n'existait pas, où Dieu seul existait éternellement, dans
sa sainteté et son bonheur parfaits et infinis, n'ayant nul besoin de
créer. Notre-Seigneur au début de sa prière sacerdotale fait allusion
à cette époque : "Et maintenant, Père, glorifiez-moi de la gloire
que j'avais auprès de vous avant que le monde fût" (Jn. XVII : 5).
La foi nous enseigne
que la raison peut et doit parvenir à la conclusion de l'existence de
Dieu, et saint Pierre dans sa première épître (I Pe. I : 18 sq.) reproche
avec véhémence aux hommes de n'avoir pas connu le vrai Dieu qui se manifeste
par ses oeuvres.
En effet tout ce
qui est, tout ce que nous sommes, proclame l'existence de Dieu, et chante
ses perfections divines. Tout l'Ancien Testament, et particulièrement
les Psaumes et les Livres sapientiaux, chante la gloire du Créateur. C'est
pourquoi dans la prière liturgique et sacerdotale les psaumes ont une
place primordiale.
Il est bon de méditer
sur la création "ex nihilo sui et subjecti ? fait de rien",
par la simple décision du Créateur. "Qui putat se esse aliquid, cum
nihil sit, ipse se seducit ? si quelqu'un se croit quelque chose, alors
qu'il n'est rien, il se fait illusion" (Gal. VI : 5).
Plus on creuse cette
réalité, plus on est stupéfait de la toute-puissance de Dieu et de notre
néant, de la nécessité pour toute créature d'être constamment soutenue
dans cette existence, sous peine de disparition, de retour au néant. C'est
bien ce que nous enseignent et la foi et la philosophie.
Rien que cette méditation
et cette constatation devraient nous jeter dans l'humilité, l'adoration
profonde, et nous mettre dans cette attitude d'immutabilité semblable
à Dieu, lui-même immuable. Nous devrions être remplis d'une confiance
sans bornes, envers Celui qui est notre Tout et qui a décidé de nous créer,
et de nous sauver.
Avec quelle dévotion
et sincérité nous devrions tous les matins au début des Matines, réciter
le Psaume XCIV : " Venite exsultemus... Venite adoremus... quoniam
ipsius est mare et ipse fecit illud et aridam fundaverunt manus ejus,
venite adoremus et procidamus ante Deum, ploremus coram Domino, qui fecit
nos, quia ipse est Dominus Deus noster, nos autem populus ejus et oves
pascuae ejus. " 1
Comment ne pas rendre
grâces à l'Eglise qui met ces paroles sur nos lèvres pour exprimer les
sentiments les plus profonds de nos âmes de créatures!
Si la création est
un grand mystère, c'est que Dieu est pour nous le grand Mystère et le
demeurera éternellement même dans la vision béatifique. "Nemo Deum
vidit unquam, nisi qui ex Deo est", seul le Verbe et l'Esprit saint
voient Dieu, étant de Dieu et un seul Dieu avec le Père. (Jn. VI : 46)
Effleurer les attributs
et les perfections de Dieu, réalité spirituelle qui embrasse tout, qui
vivifie tout, qui soutient tout dans l'existence, ne pourra qu'augmenter
le Mystère divin, pour notre plus grande satisfaction, édification, sanctification.
Saint Thomas dit
ceci: "Plus nous connaîtrons parfaitement Dieu ici-bas, mieux nous
comprendrons qu'Il surpasse tout ce que l'intelligence comprend."
(IIa IIae q.8, a3)
La foi venant au
secours de la raison pour nous convaincre de l'existence de Dieu et nous
ouvrant des horizons merveilleux sur l'intimité de Dieu par la Révélation
et surtout par l'incarnation du Verbe divin, il nous faut l'interroger
pour savoir si l'on peut donner à Dieu un nom qui serait propre à Dieu
et nous aiderait à mieux le connaître.
Or c'est précisément
ce que Dieu a fait tant dans l'Ancien Testament que dans le Nouveau. Voici
les paroles de Dieu à Moïse: " Je leur dirai : le Dieu de vos pères
m'envoie vers vous. S'ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai
je? Et Dieu dit à Moïse: Je suis Celui qui suis. Et il ajouta: c'est ainsi
que tu répondras aux enfants d'Israël : Celui qui est, m'envoie vers vous
" (Ex. III : 13-14). Et Notre-Seigneur s'exprime de même vis-à-vis
des Juifs qui lui disent " Vous n'avez pas encore cinquante ans et
vous avez vu Abraham? Jésus leur répondit: En vérité en vérité, je vous
le dis, avant qu'Abraham fût, Je suis. " (Jn. VIII : 5-9)
On n'admirera jamais
assez ces réponses lumineuses, qui correspondent d'ailleurs aux conclusions
de notre raison. "Dieu est"; Il est "ens a se", l'être
par lui-même; tous les autres êtres sont "ab alio", ils n'ont
pas leur raison d'être par eux-mêmes.
Ces affirmations
simples sont une source de méditation et de sanctification inépuisables.
Que ce soit le regard sur Dieu qui s'épuise dans l'infini, que ce soit
la constatation des rapports de la créature au Créateur, ou la vue du
néant de la créature, nous sommes en face de ce qu'il y a de plus vrai,
de plus profond et de plus mystérieux en Dieu et en nous.
(A suivre.)
1. " Venez, chantons avec allégresse ... Venez, adorons
le Seigneur... A Lui est la mer, c'est Lui, en effet, qui l'a faite et
ses mains ont formé le continent; venez, adorons, prosternons-nous devant
Dieu, et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits, car Lui-même est
le Seigneur notre Dieu, et nous sommes son peuple et les brebis de son
pâturage."
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