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Communicantes: Avril 2002
 

Le Sacrifice rédempteur
3ème partie de l'étude de M. l'abbé Laisney sur la nouvelle messe face à la Tradition

« Nous vous adorons, Seigneur, et nous vous bénissons parce que vous avez racheté le monde par votre sainte Croix ! »

Dans le dernier numéro nous avons vu les trois fins du sacrifice qui auraient été les seules si l’homme n’avait pas péché. Mais tel n’est pas le plan de Dieu : « Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde » (Rom. 11:32).2  Dieu n’a pas voulu positivement le péché lui-même, mais Il a voulu ne pas empêcher le péché, afin de faire miséricorde, car « la miséricorde est le comble de la charité » selon un très beau mot de Mgr Lefebvre.

Adam, le tout premier homme, a péché, et par là a vicié la nature humaine qu’il a transmise à ses descendants. Et chaque descendant, dès l’âge de raison, a ajouté son propre lot de péchés, certains plus, d’autres moins, mais tous en ont.

Or le péché a une triple conséquence : 1/ la tache sur l’âme, les ténèbres d’une âme détournée de Dieu ; 2/ la blessure de l’âme, car le péché cause dans l’âme humaine une inclination à y retomber, inclination qui s’appelle le vice, de même que les actes bons causent petit à petit une inclination à faire le bien, qui s’appelle la vertu ; 3/ la peine due au péché. En effet le pécheur n’est pas seul au monde, il avait été créé dans un ordre admirable qu’il a troublé par le péché ; la permission du péché ne serait pas sage, si le pécheur n’était pas remis dans l’ordre divin par la peine infligée. Ce qui vient de Dieu doit retourner à Dieu ; l’homme, étant créé par Dieu, doit vivre pour la gloire de Dieu. Par le péché il manque à ce devoir ; sa dette de peine a un double aspect : il doit réparer le dommage causé en offrant quelque chose de plus pour honorer Dieu, et expier sa faute en souffrant quelque chose contre sa volonté. Le premier aspect est réalisé par le sacrifice, en tant qu’acte d’honneur suprême ; le deuxième aspect est aussi réalisé par le sacrifice lorsqu’on offre quelque chose qui coûte, le plus grand sacrifice étant le sacrifice de sa propre vie.

Le pécheur, loin de mériter la faveur de Dieu, mérite le contraire, à savoir les châtiments de Dieu. On voit ainsi combien le père Emmanuel, O.S.B. (du monastère du Barroux en France), se trompe dans La Nef lorsqu’il prétend : « l’homme, déchu de sa splendeur première par le péché originel, est inévitablement pécheur, et par conséquent il était infiniment juste que Dieu soit pour lui infiniment miséricordieux. »3 La justice consiste à rendre un dû ; ce qui est dû au pécheur c’est le châtiment, non pas la miséricorde. Sous prétexte de ne pas opposer les attributs divins, il ne faut tout de même pas tout confondre ! Dira-t-il alors que Dieu pardonne dans sa justice et châtie dans sa miséricorde ?!

L’homme avait pu détruire, mais ne pouvait pas payer seul. Dieu aurait pu simplement remettre la dette sans qu’aucun homme ne la paye, cela aurait été une œuvre de Miséricorde mais laissant la Justice d’une certaine manière insatisfaite. Il a choisi de nous racheter « d’une manière plus merveilleuse » en « donnant son Fils Unique » comme « victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier ».4 Selon l’enseignement de l’Eglise, fondé sur l’Ecriture et les Pères, c’est par le Sacrifice de la Croix que Notre Seigneur Jésus Christ a racheté le monde. Par ce sacrifice, le Christ a mérité toutes les grâces surabondamment pour tous les hommes.

St. Pierre nous enseigne : « ce n’est par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez été rachetés de la vaine conduite héritée de vos pères, mais par le sang précieux du Christ, comme d’un agneau sans reproche et sans tache » (1 Pet. 1:18-19). St. Paul nous dit : « En lui nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce » (Eph. 1:7). Et St. Jean entend le cantique que les élus chantent à l’Agneau : « tu nous a racheté pour Dieu, au prix de ton sang, de toute race, langue, peuple et nation » (Apoc. 5:9). Il faudrait citer presque toute l’épître aux Hébreux, qui développe magnifiquement le Sacrifice du Christ et la vertu rédemptrice de son Sang. « Selon la Loi, presque tout est purifié par le sang, et sans effusion de sang il n’y a point de rémission » (Heb. 9:22).

St. Thomas d’Aquin explique lumineusement les causes de la Rédemption : la Cause Première, c’est la Sainte Trinité, source de tout bien. Le Père envoie son Fils par Amour dans le sein très pur de Notre Dame pour nous sauver ; en Notre Seigneur Jésus-Christ, la Charité Divine cause la vertu de charité dans son Cœur humain, vertu qui au niveau créé est le premier moteur de la Rédemption ; cette charité du Cœur de Jésus inspire l’obéissance au commandement du Père (Jn 10:18) et l’humilité (Phil. 2:8). Mais l’acte sauveur lui-même est l’acte suprême de la vertu de religion, le sacrifice, inspiré de ces vertus d’obéissance, humilité et charité. Ce Sacrifice parfait plaît plus à la Sainte Trinité que tous les péchés du monde ne Lui déplaisent ; Il répare donc pleinement, satisfaisant la Justice Divine et devient source de miséricorde surabondante pour tous les hommes : « et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn. 12:32). Cependant pas tous ne se laissent attirer à la Croix ! « Il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel » (Heb. 5:9).

Le Saint Sacrifice de la Messe, c’est le Sacrifice de la Croix rendu présent sur tous les autels du monde, de telle sorte que dans tous les pays et à tous les âges tous les disciples de Notre Seigneur Jésus Christ puissent recevoir au pied de l’autel les mêmes grâces qu’ils auraient reçus s’ils étaient avec la Sainte Vierge, saint Jean et les saintes femmes au pied de la Croix. En s’unissant au Sacrifice du Christ à la Messe, les fidèles reçoivent les grâces qui découlent de ce sacrifice, grâces de guérison et de sanctification. Par ces grâces ils peuvent et doivent à leur tour mériter le salut éternel, de telle sorte que ce salut est à la fois œuvre de la Miséricorde qui a donné de nombreuses grâces prévenantes, et œuvre de Justice qui récompense les mérites acquis par les bonnes œuvres faites sous l’influence de la grâce.

Le Sacrifice de la Croix est donc le sommet vers lequel tend toute l’histoire humaine ; même la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ tend vers ce sommet, et la glorification de Notre Seigneur en est la conséquence, comme le dit St. Paul : « il s’humilia se faisant obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix ! C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Phil. 2:8-9). De même pour chaque fidèle, la vie chrétienne est une configuration au Christ crucifié ici-bas afin de parvenir à sa gloire au Ciel : « héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, si cependant nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui » (Rom. 8:17).

 

Nouvelle théologie du Mystère Pascal

Au début de la veillée pascale, la sainte Eglise chante Notre Seigneur Jésus-Christ « qui pour nous paya au Père la dette contractée par Adam, et qui effaça par son sang précieux la créance de l’antique péché. Car voici les fêtes de Pâques où s’immole cet Agneau véritable dont le sang a marqué les fidèles d’un signe sacré. » C’est là le vrai sens, le sens traditionnel du mystère pascal. Mais, reprenant cette expression ancienne, la nouvelle théologie lui a donné un sens tout à fait nouveau, qui change radicalement le Mystère de la Rédemption rejetant ou faussant chaque point du court exposé ci-dessus.

Pour elle, le péché devient presque accidentel au plan de Dieu, qui est essentiellement un plan d’amour, « que Dieu entend poursuivre … malgré les obstacles »5. Pour la théologie traditionnelle, Dieu veut manifester son amour miséricordieux précisément en rachetant les hommes pécheurs.

La nouvelle théologie rejette explicitement toute présentation « légaliste »6 ou « juridique »7 du mystère de la Rédemption, alors que l’Ecriture et les Pères parlent abondamment de « rachat, rédemption ». En conséquence la nouvelle théologie se tait sur la dette de l’homme envers Dieu, elle n’en parle tout simplement pas ! Elle évite parfois le mot même Rédemption, le remplaçant par l’expression mystère pascal, car le mot Rédemption inclut l’idée de rachat, de payer une dette. Si elle mentionne le péché c’est comme source de souffrance pour l’homme, ou tout au plus comme atteinte à l’alliance avec Dieu, mais « Dieu se montra fidèle à lui-même malgré l’infidélité de l’homme son partenaire (sic) »8

Elle rejette la satisfaction vicaire, c’est-à-dire le fait que le Christ a pris sur Lui la dette de nos péchés : « Sans être personnellement coupable et sans devoir être châtié par Dieu pour les péchés des autres, Jésus s’identifie par amour à l’humanité pécheresse… Cette obéissance ne revient pas à apaiser un Dieu de colère mais à s’offrir soi-même librement… »9 Au contraire l’Ecriture elle-même dit : « Yahvé a fait retomber sur lui nos fautes à tous… Il a porté lui-même leurs iniquités » (Is. 53 : 6-11).

La Rédemption devient une œuvre d’amour SANS être aussi une œuvre de Justice. On ne comprend plus alors le cantique pascal : « O inestimable tendresse de votre charité : pour racheter l’esclave, vous avez livré le Fils ! »

Certains textes ont certaines phrases qui font se demander si les auteurs croient en la divinité du Christ : « Parce que le Christ a obéi à la volonté du Père et qu’il a donné sa vie pour la multitude, sa personne et son œuvre de rédemption dans le monde acquièrent une signification et une dignité qui sont unique et incomparables. »10 Que la personne du Christ puisse acquérir une dignité, cela implique qu’elle ne soit pas dès le début la Personne même du Verbe. « L’orientation de Jésus de Nazareth indique que le don gratuit de soi aux voies de Dieu, quel qu’en soit le prix, nous rend gloire à nous-mêmes (?) en même temps qu’à Dieu. La mort de Jésus n’est pas le fait d’un Dieu impitoyable exaltant le sacrifice suprême ; ce n’est pas le ‘coût du rachat’ à quelque pouvoir aliénant qui asservit. C’est le temps et l’espace où un Dieu qui est amour et qui nous aime est rendu visible. Jésus crucifié dit combien Dieu nous aime et proclame qu’en ce geste d’amour un homme a consenti inconditionnellement aux voies de Dieu. »11On voit ici la technique de la nouvelle théologie qui déforme la doctrine du rachat pour la rejeter. La vérité est que la dette du péché est due à Dieu, car le pécheur a manqué à son devoir envers Dieu ; mais à cause du péché, Dieu le « livre aux bourreaux » (Mt. 18:34) à savoir les démons ; le Christ paye à son Père la dette due à cause de nos péchés, méritant ainsi notre délivrance ; par sa victoire sur le démon, n’ayant pas cédé à la tentation d’éviter la Croix, le Christ nous « arrache » du pouvoir du démon. On voit aussi combien ce texte du CTI manque à la profession de foi en la divinité du Rédempteur.

Mais si le Christ n’est pas Dieu, alors le Rédempteur, c’est le Père : « Le Père a fait de nous ses enfants en ce sens qu’il nous a rachetés grâce à la volonté humaine du Christ »12

On entrevoit ainsi une hérésie très grave, que certains ne disent qu’en filigrane, d’autres plus ouvertement : le Christ est DEVENU Fils de Dieu dans sa mort/résurrection. Le père Durrwell écrit : « L’action ressuscitante est un réel engendrement. L’homme qui meurt n’est plus rien, à moins que Dieu ne le saisisse dans l’instant de son anéantissement, ne le redresse en l’attirant à lui. Jésus accepte de mourir, consent à ne plus être sinon par Dieu à qui il s’abandonne… La résurrection est le divin engendrement du Fils par la puissance de l’Esprit Saint… dans la mort, Jésus est né divinement… Engendré dans la mort, Jésus demeure là où il est éternellement engendré : la vie filiale et la mort forment l’unique mystère pascal… Par la mort et la résurrection, Jésus passe de la chair à la vie filiale dans l’Esprit… » (op. cit. p. 31, 37, 49, 53, 71)

Certains diront que c’est là un théologien d’avant-garde. Mais des évêques écrivent la même chose. Mgr. Koch, évêque de Bâle, écrit: “Jésus Christ est le sacrement primordial de Dieu… Jésus-Christ est le ‘lieu’ où il est possible de faire l’expérience de Dieu… Selon cette formule primitive (Rom. 1 : 3-4), c’est au moment de la résurrection que le Christ est établi Fils de Dieu… [plus tard] le Christ peut être assimilé à un être divin préexistant… En ressuscitant le crucifié, en le faisant revivre auprès de lui, Dieu lui-même s’est reconnu dans le message et la personne de ce Jésus, qui passait pour un blasphémateur… La mort de Jésus en elle-même n’est dotée d’aucune force rédemptrice. Cette mort ne peut avoir un effet rédempteur que dans la mesure où le dernier mot ne lui appartient pas, où Pâques ajoute autre chose, où donc la mort de Jésus est vaincue par Dieu lui-même… »13

On comprend mieux alors l’importance que donnent ces théologiens à la résurrection : si elle est « le divin engendrement du Fils », alors elle est vraiment le moment le plus important de l’histoire. De plus, si le salut consiste à devenir enfant de Dieu, à l’image du Fils, alors le salut vient par la Résurrection.14« Ce salut prend la forme d’une filiation dans l’Esprit du Christ, Jésus le Fils. »15 La Croix du Christ est mise de côté !

Toute cette nouvelle théologie du mystère pascal, le père Emmanuel, du Barroux,16 l’ignore totalement. Comment après peut-il se permettre de juger « peu convaincante » l’analyse faite par le livre Le Problème de la Réforme Liturgique ?

Notre Dame, Gardienne de la Foi, priez pour nous !

Prochain numéro : la Messe Mémorial ? (suite et fin).

 


2. La très Sainte Vierge Marie est préservée du péché originel par un privilège tout spécial en vertu des mérites de Notre Seigneur Jésus Christ. Elle aussi a eu besoin de la Miséricorde prévenante de Dieu.

3. Ce qu’il y a de vrai dans la phrase de Ste Thérèse – dont nous aimerions voir l’expression originale, car le père ne donne pas sa référence – c’est que si Dieu n’avait pas voulu faire miséricorde, Il n’aurait pas donné du temps à l’humanité pécheresse, mais l’aurait châtiée immédiatement comme Il a fait pour les mauvais Anges avec parfaite justice et sagesse. Dieu a accordé du temps à l’humanité en vue de pouvoir faire miséricorde : « Ou bien méprises-tu ses richesses de bonté, de patience, de longanimité, sans reconnaître que cette bonté de Dieu te pousse au repentir ? » (Rom. 2:4). Une fois accordé ce temps, Il se doit de répandre cette miséricorde, sans pour autant qu’elle soit un dû pour chaque pécheur.

4. Offertoire de la Messe ; Jn. 3:16 ; 1 Jn. 2:2.

5. Le Dieu Rédempteur, questions choisies, document de la Commission Internationale de théologie (CTI) IV 42 , Documentation Catholique n 2143 du 4 et 18 août 1996 p. 726.

6. CTI, loc. cit. III 38 p. 721.

7. François Xavier Durrwell, Christ notre Pâque, éd. Nouvelle Cité mars 2001, p. 61 sqq. Le livre a l’imprimatur de l’évêque de Strasbourg du 18 oct. 2000.

8. CTI, loc. cit. IV 33 p. 726.

9. CTI, loc. cit. III 39 p. 722; II 12 p. 714.

10. CTI, loc. cit. IV 11 p. 723.

11. CTI, loc. cit. II 10 p. 714.

12. CTI, loc. cit. IV 11 p. 723.

13. Le Credo des Chrétiens, p.53, 49, 64.

14. Voir Durrwell, op. cit. p. 166-167.

15. CTI, loc. cit. IV 22 p. 725 : ne pas oublier que cette commission théologique internationale est présidée par le Card. Ratzinger !

16. La Nef n° 117, juin 2001, p. 19-23 ; voir D.I.C.I. n° 14.

 

 

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