Le
Sacrifice rédempteur
3ème
partie de l'étude de M. l'abbé Laisney sur la nouvelle messe face à la
Tradition
« Nous
vous adorons, Seigneur, et nous vous bénissons parce que vous avez racheté
le monde par votre sainte Croix ! »
Dans le dernier numéro
nous avons vu les trois fins du sacrifice qui auraient été les seules
si l’homme n’avait pas péché. Mais tel n’est pas le plan de Dieu :
« Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire
à tous miséricorde » (Rom. 11:32).2
Dieu n’a pas voulu positivement le péché lui-même, mais Il a voulu ne
pas empêcher le péché, afin de faire miséricorde, car « la miséricorde
est le comble de la charité » selon un très beau mot de Mgr Lefebvre.
Adam, le tout premier
homme, a péché, et par là a vicié la nature humaine qu’il a transmise
à ses descendants. Et chaque descendant, dès l’âge de raison, a ajouté
son propre lot de péchés, certains plus, d’autres moins, mais tous en
ont.
Or le péché a une
triple conséquence : 1/ la tache sur l’âme, les ténèbres d’une âme
détournée de Dieu ; 2/ la blessure de l’âme, car le péché cause dans
l’âme humaine une inclination à y retomber, inclination qui s’appelle
le vice, de même que les actes bons causent petit à petit une inclination
à faire le bien, qui s’appelle la vertu ; 3/ la peine due au péché.
En effet le pécheur n’est pas seul au monde, il avait été créé dans un
ordre admirable qu’il a troublé par le péché ; la permission du péché
ne serait pas sage, si le pécheur n’était pas remis dans l’ordre divin
par la peine infligée. Ce qui vient de Dieu doit retourner à Dieu ;
l’homme, étant créé par Dieu, doit vivre pour la gloire de Dieu. Par le
péché il manque à ce devoir ; sa dette de peine a un double aspect :
il doit réparer le dommage causé en offrant quelque chose de plus pour
honorer Dieu, et expier sa faute en souffrant quelque chose contre sa
volonté. Le premier aspect est réalisé par le sacrifice, en tant qu’acte
d’honneur suprême ; le deuxième aspect est aussi réalisé par le sacrifice
lorsqu’on offre quelque chose qui coûte, le plus grand sacrifice étant
le sacrifice de sa propre vie.
Le pécheur, loin
de mériter la faveur de Dieu, mérite le contraire, à savoir les châtiments
de Dieu. On voit ainsi combien le père Emmanuel, O.S.B. (du monastère
du Barroux en France), se trompe dans La Nef lorsqu’il prétend :
« l’homme, déchu de sa splendeur première par le péché originel,
est inévitablement pécheur, et par conséquent il était infiniment juste
que Dieu soit pour lui infiniment miséricordieux. »3
La justice consiste à rendre un dû ; ce qui est dû au pécheur c’est
le châtiment, non pas la miséricorde. Sous prétexte de ne pas opposer
les attributs divins, il ne faut tout de même pas tout confondre !
Dira-t-il alors que Dieu pardonne dans sa justice et châtie dans sa miséricorde ?!
L’homme avait pu
détruire, mais ne pouvait pas payer seul. Dieu aurait pu simplement remettre
la dette sans qu’aucun homme ne la paye, cela aurait été une œuvre de
Miséricorde mais laissant la Justice d’une certaine manière insatisfaite.
Il a choisi de nous racheter « d’une manière plus merveilleuse »
en « donnant son Fils Unique » comme « victime de propitiation
pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du
monde entier ».4 Selon l’enseignement
de l’Eglise, fondé sur l’Ecriture et les Pères, c’est par le Sacrifice
de la Croix que Notre Seigneur Jésus Christ a racheté le monde. Par ce
sacrifice, le Christ a mérité toutes les grâces surabondamment pour tous
les hommes.
St. Pierre nous enseigne :
« ce n’est par rien de corruptible, argent ou or, que vous avez été
rachetés de la vaine conduite héritée de vos pères, mais par le sang précieux
du Christ, comme d’un agneau sans reproche et sans tache » (1 Pet.
1:18-19). St. Paul nous dit : « En lui nous trouvons la rédemption,
par son sang, la rémission des fautes, selon la richesse de sa grâce »
(Eph. 1:7). Et St. Jean entend le cantique que les élus chantent à l’Agneau :
« tu nous a racheté pour Dieu, au prix de ton sang, de toute race,
langue, peuple et nation » (Apoc. 5:9). Il faudrait citer presque
toute l’épître aux Hébreux, qui développe magnifiquement le Sacrifice
du Christ et la vertu rédemptrice de son Sang. « Selon la Loi, presque
tout est purifié par le sang, et sans effusion de sang il n’y a point
de rémission » (Heb. 9:22).
St. Thomas d’Aquin
explique lumineusement les causes de la Rédemption : la Cause Première,
c’est la Sainte Trinité, source de tout bien. Le Père envoie son Fils
par Amour dans le sein très pur de Notre Dame pour nous sauver ;
en Notre Seigneur Jésus-Christ, la Charité Divine cause la vertu de charité
dans son Cœur humain, vertu qui au niveau créé est le premier moteur de
la Rédemption ; cette charité du Cœur de Jésus inspire l’obéissance
au commandement du Père (Jn 10:18) et l’humilité (Phil. 2:8). Mais l’acte
sauveur lui-même est l’acte suprême de la vertu de religion, le sacrifice,
inspiré de ces vertus d’obéissance, humilité et charité. Ce Sacrifice
parfait plaît plus à la Sainte Trinité que tous les péchés du monde ne
Lui déplaisent ; Il répare donc pleinement, satisfaisant la Justice
Divine et devient source de miséricorde surabondante pour tous les hommes :
« et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à
moi » (Jn. 12:32). Cependant pas tous ne se laissent attirer à la
Croix ! « Il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent
principe de salut éternel » (Heb. 5:9).
Le Saint Sacrifice
de la Messe, c’est le Sacrifice de la Croix rendu présent sur tous les
autels du monde, de telle sorte que dans tous les pays et à tous les âges
tous les disciples de Notre Seigneur Jésus Christ puissent recevoir au
pied de l’autel les mêmes grâces qu’ils auraient reçus s’ils étaient avec
la Sainte Vierge, saint Jean et les saintes femmes au pied de la Croix.
En s’unissant au Sacrifice du Christ à la Messe, les fidèles reçoivent
les grâces qui découlent de ce sacrifice, grâces de guérison et de sanctification.
Par ces grâces ils peuvent et doivent à leur tour mériter le salut éternel,
de telle sorte que ce salut est à la fois œuvre de la Miséricorde qui
a donné de nombreuses grâces prévenantes, et œuvre de Justice qui récompense
les mérites acquis par les bonnes œuvres faites sous l’influence de la
grâce.
Le Sacrifice de la
Croix est donc le sommet vers lequel tend toute l’histoire humaine ;
même la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ tend vers ce sommet, et la
glorification de Notre Seigneur en est la conséquence, comme le dit St.
Paul : « il s’humilia se faisant obéissant jusqu’à la mort,
et à la mort de la croix ! C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui
a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom » (Phil. 2:8-9). De
même pour chaque fidèle, la vie chrétienne est une configuration au Christ
crucifié ici-bas afin de parvenir à sa gloire au Ciel : « héritiers
de Dieu, et cohéritiers du Christ, si cependant nous souffrons avec lui
pour être aussi glorifiés avec lui » (Rom. 8:17).
Nouvelle
théologie du Mystère Pascal
Au début de la veillée
pascale, la sainte Eglise chante Notre Seigneur Jésus-Christ « qui
pour nous paya au Père la dette contractée par Adam, et qui effaça par
son sang précieux la créance de l’antique péché. Car voici les fêtes de
Pâques où s’immole cet Agneau véritable dont le sang a marqué les fidèles
d’un signe sacré. » C’est là le vrai sens, le sens traditionnel du
mystère pascal. Mais, reprenant cette expression ancienne, la nouvelle
théologie lui a donné un sens tout à fait nouveau, qui change radicalement
le Mystère de la Rédemption rejetant ou faussant chaque point du court
exposé ci-dessus.
Pour elle, le
péché devient presque accidentel au plan de Dieu, qui est essentiellement
un plan d’amour, « que Dieu entend poursuivre … malgré les obstacles »5.
Pour la théologie traditionnelle, Dieu veut manifester son amour miséricordieux
précisément en rachetant les hommes pécheurs.
La nouvelle théologie
rejette explicitement toute présentation « légaliste »6
ou « juridique »7
du mystère de la Rédemption, alors que l’Ecriture et les Pères parlent
abondamment de « rachat, rédemption ». En conséquence la
nouvelle théologie se tait sur la dette de l’homme envers Dieu, elle n’en
parle tout simplement pas ! Elle évite parfois le mot même Rédemption,
le remplaçant par l’expression mystère pascal, car le mot Rédemption
inclut l’idée de rachat, de payer une dette. Si elle mentionne
le péché c’est comme source de souffrance pour l’homme, ou tout au plus
comme atteinte à l’alliance avec Dieu, mais « Dieu se montra fidèle
à lui-même malgré l’infidélité de l’homme son partenaire (sic) »8
Elle rejette la
satisfaction vicaire, c’est-à-dire le fait que le Christ a pris sur
Lui la dette de nos péchés : « Sans être personnellement coupable
et sans devoir être châtié par Dieu pour les péchés des autres, Jésus
s’identifie par amour à l’humanité pécheresse… Cette obéissance ne
revient pas à apaiser un Dieu de colère mais à s’offrir soi-même librement… »9 Au contraire
l’Ecriture elle-même dit : « Yahvé a fait retomber sur lui nos
fautes à tous… Il a porté lui-même leurs iniquités » (Is. 53 :
6-11).
La Rédemption
devient une œuvre d’amour SANS être aussi une œuvre de Justice. On
ne comprend plus alors le cantique pascal : « O inestimable
tendresse de votre charité : pour racheter l’esclave, vous avez livré
le Fils ! »
Certains textes ont
certaines phrases qui font se demander si les auteurs croient en la divinité
du Christ : « Parce que le Christ a obéi à la volonté du Père
et qu’il a donné sa vie pour la multitude, sa personne et son œuvre de
rédemption dans le monde acquièrent une signification et une dignité qui
sont unique et incomparables. »10
Que la personne du Christ puisse acquérir une dignité, cela
implique qu’elle ne soit pas dès le début la Personne même du Verbe. « L’orientation
de Jésus de Nazareth indique que le don gratuit de soi aux voies de Dieu,
quel qu’en soit le prix, nous rend gloire à nous-mêmes (?) en même temps
qu’à Dieu. La mort de Jésus n’est pas le fait d’un Dieu impitoyable exaltant
le sacrifice suprême ; ce n’est pas le ‘coût du rachat’ à quelque
pouvoir aliénant qui asservit. C’est le temps et l’espace où un Dieu qui
est amour et qui nous aime est rendu visible. Jésus crucifié dit combien
Dieu nous aime et proclame qu’en ce geste d’amour un homme a consenti
inconditionnellement aux voies de Dieu. »11On
voit ici la technique de la nouvelle théologie qui déforme la doctrine
du rachat pour la rejeter. La vérité est que la dette du péché
est due à Dieu, car le pécheur a manqué à son devoir envers Dieu ;
mais à cause du péché, Dieu le « livre aux bourreaux » (Mt.
18:34) à savoir les démons ; le Christ paye à son Père la dette due
à cause de nos péchés, méritant ainsi notre délivrance ; par sa victoire
sur le démon, n’ayant pas cédé à la tentation d’éviter la Croix, le Christ
nous « arrache » du pouvoir du démon. On voit aussi combien
ce texte du CTI manque à la profession de foi en la divinité du Rédempteur.
Mais si le Christ
n’est pas Dieu, alors le Rédempteur, c’est le Père : « Le
Père a fait de nous ses enfants en ce sens qu’il nous a rachetés
grâce à la volonté humaine du Christ »12
On entrevoit ainsi
une hérésie très grave, que certains ne disent qu’en filigrane,
d’autres plus ouvertement : le Christ est DEVENU Fils de Dieu
dans sa mort/résurrection. Le père Durrwell écrit : « L’action
ressuscitante est un réel engendrement. L’homme qui meurt n’est plus rien,
à moins que Dieu ne le saisisse dans l’instant de son anéantissement,
ne le redresse en l’attirant à lui. Jésus accepte de mourir, consent à
ne plus être sinon par Dieu à qui il s’abandonne… La résurrection est
le divin engendrement du Fils par la puissance de l’Esprit Saint… dans
la mort, Jésus est né divinement… Engendré dans la mort, Jésus demeure
là où il est éternellement engendré : la vie filiale et la mort forment
l’unique mystère pascal… Par la mort et la résurrection, Jésus
passe de la chair à la vie filiale dans l’Esprit… » (op. cit. p.
31, 37, 49, 53, 71)
Certains diront que
c’est là un théologien d’avant-garde. Mais des évêques écrivent la même
chose. Mgr. Koch, évêque de Bâle, écrit: “Jésus Christ est le sacrement
primordial de Dieu… Jésus-Christ est le ‘lieu’ où il est possible
de faire l’expérience de Dieu… Selon cette formule primitive (Rom. 1 :
3-4), c’est au moment de la résurrection que le Christ est établi Fils
de Dieu… [plus tard] le Christ peut être assimilé à un être divin
préexistant… En ressuscitant le crucifié, en le faisant revivre auprès
de lui, Dieu lui-même s’est reconnu dans le message et la personne de
ce Jésus, qui passait pour un blasphémateur… La mort de Jésus en elle-même
n’est dotée d’aucune force rédemptrice. Cette mort ne peut avoir un effet
rédempteur que dans la mesure où le dernier mot ne lui appartient pas,
où Pâques ajoute autre chose, où donc la mort de Jésus est vaincue par
Dieu lui-même… »13
On comprend mieux
alors l’importance que donnent ces théologiens à la résurrection :
si elle est « le divin engendrement du Fils », alors elle est
vraiment le moment le plus important de l’histoire. De plus, si le salut
consiste à devenir enfant de Dieu, à l’image du Fils, alors le salut vient
par la Résurrection.14« Ce
salut prend la forme d’une filiation dans l’Esprit du Christ, Jésus
le Fils. »15 La
Croix du Christ est mise de côté !
Toute cette nouvelle
théologie du mystère pascal, le père Emmanuel, du Barroux,16 l’ignore
totalement. Comment après peut-il se permettre de juger « peu convaincante »
l’analyse faite par le livre Le Problème de la Réforme Liturgique ?
Notre Dame, Gardienne
de la Foi, priez pour nous !
Prochain numéro :
la Messe Mémorial ? (suite et fin).
2. La très Sainte Vierge Marie est préservée du péché originel par
un privilège tout spécial en vertu des mérites de Notre Seigneur Jésus
Christ. Elle aussi a eu besoin de la Miséricorde prévenante de Dieu.
3. Ce qu’il y a de vrai dans la phrase de Ste Thérèse
– dont nous aimerions voir l’expression originale, car le père ne donne
pas sa référence – c’est que si Dieu n’avait pas voulu faire miséricorde,
Il n’aurait pas donné du temps à l’humanité pécheresse, mais l’aurait
châtiée immédiatement comme Il a fait pour les mauvais Anges avec parfaite
justice et sagesse. Dieu a accordé du temps à l’humanité en vue de pouvoir
faire miséricorde : « Ou bien méprises-tu ses richesses de bonté,
de patience, de longanimité, sans reconnaître que cette bonté de Dieu
te pousse au repentir ? » (Rom. 2:4). Une fois accordé ce temps,
Il se doit de répandre cette miséricorde, sans pour autant qu’elle soit
un dû pour chaque pécheur.
4.
Offertoire de la Messe ; Jn. 3:16 ; 1 Jn. 2:2.
5.
Le Dieu Rédempteur, questions choisies, document de la Commission
Internationale de théologie (CTI) IV 42 , Documentation Catholique n 2143
du 4 et 18 août 1996 p. 726.
6.
CTI, loc. cit. III 38 p. 721.
7.
François Xavier Durrwell, Christ notre Pâque, éd. Nouvelle Cité
mars 2001, p. 61 sqq. Le livre a l’imprimatur de l’évêque de Strasbourg
du 18 oct. 2000.
8.
CTI, loc. cit. IV 33 p. 726.
9.
CTI, loc. cit. III 39 p. 722; II 12 p. 714.
10.
CTI, loc. cit. IV 11 p. 723.
11.
CTI, loc. cit. II 10 p. 714.
12.
CTI, loc. cit. IV 11 p. 723.
13.
Le Credo des Chrétiens, p.53, 49, 64.
14.
Voir Durrwell, op. cit. p. 166-167.
15.
CTI, loc. cit. IV 22 p. 725 : ne pas oublier que cette commission
théologique internationale est présidée par le Card. Ratzinger !
16.
La Nef n° 117, juin 2001, p. 19-23 ; voir D.I.C.I. n° 14.
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