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Communicantes: Août 2001
 

LE CHRIST, VIE DE L' AME

 

La Foi en Jésus-Christ, fondement de la Vie chrétienne
Extraits
Par le Bienheureux Dom Columba Marmion

 

Toute notre sainteté, vous ai-je dit - et mon plus grand désir est que cette vérité soit gravée au fond de vos âmes, - revient pour nous à participer à la sainteté du Christ Jésus, Fils de Dieu.

Mais comment y participer? - En recevant Jésus-Christ qui en est la source unique. S. Jean nous dit, en parlant de l'Incarnation, que « tous ceux qui ont reçu le Christ sont devenus enfants de Dieu » : Quotquot autem receperunt eum dedit eis potestatem filios Dei fieri. Et comment reçoit-on le Christ, Verbe incarné? - D'abord et avant tout, par la foi: His qui credunt in nomine ejus.

S. Jean nous dit donc que c'est la foi en Jésus-Christ qui nous rend enfants de Dieu. C'est également la pensée de S. Paul: « Vous êtes tous fils de Dieu par la foi dans le Christ Jésus» : Omnes filii Dei estis per fidem, quae est in Christo Jesu ». Parce que par la foi en la divinité de Jésus-Christ, nous nous identifions avec lui; nous l'acceptons tel qu'il est, Fils de Dieu et Verbe Incarné; la foi nous livre au Christ; et le Christ, nous introduisant dans le domaine surnaturel, nous livre à son Père. - Et plus la foi en la divinité du Christ est parfaite, profonde, vive et constante, plus nous avons, comme enfants de Dieu, un droit à la communication de la vie divine. En recevant le Christ par la foi, nous devenons par grâce ce qu'il est par nature: enfants de Dieu; et alors notre état appelle de la part du Père céleste un influx de la vie divine; notre état d'enfant de Dieu est comme une prière continuelle: « Oh ! Père saint, donnez-nous notre pain de chaque jour, c'est-à-dire la vie divine, dont votre Fils a la plénitude ».

C'est de cette foi que je vais vous entretenir. - La foi constitue la première attitude que nous devons avoir dans nos relations avec Dieu: Prima conjunctio hominis ad Deum per fidem. S. Augustin dit la même chose: «La foi est la première qui soumet l'âme à Dieu »: Fides est prima quae subjugat animam Deo. « Il faut, dit S. Paul, que ceux qui veulent approcher de Dieu commencent par croire, parce que sans la foi il est impossible de plaire à Dieu »: Sine fide impossibile est placere Deo ; à plus forte raison, de parvenir à son amitié et de rester son enfant: Impossibile est ad filiorum ejus consortium pervenire.

Vous sentez tout de suite que ce sujet est non seulement important, mais vital. - Nous ne comprendrons  rien à la vie surnaturelle, à la vie divine dans nos âmes, si nous ne saisissons pas qu'elle est tout entière fondée sur cette foi, In fide FUNDATI, sur cette conviction intime et profonde de la divinité de Jésus-Christ. Car, comme le dit le saint Concile de Trente, « la foi est la racine et le fondement de toute justification » et par conséquent de toute sainteté: Fides est humanae salutis initium, fundamentum et radix omnis justificationis.

Voyons donc ce qu'est cette foi, quel est son objet, et comment elle se manifeste.

‑ I ‑

Considérons ce qui se passait quand Notre-Seigneur vivait en judée. - Lorsque nous parcourons le récit de sa vie dans les Évangiles, nous voyons que c'est la foi qu'il réclame tout d'abord de ceux qui s'adressent à lui.

Nous lisons qu’un jour deux aveugles le suivaient en criant : « Fils de David, ayez pitié de nous ». Jésus les laisse s'approcher, et leur dit: «Croyez-vous que je puisse vous guérir »? Et ils répondent: « Oui, Seigneur ». Alors, il touche leurs yeux et leur rend la vue, en disant: « Qu'il vous soit fait selon votre foi ». - De même, après sa Transfiguration, il trouve, au bas de la montagne du Thabor, un père qui lui demande la guérison de son enfant possédé du démon. Et que lui dit Jésus? « Si tu peux croire, tout est possible à celui qui croit ». Aussitôt le père de l'enfant de s'écrier: « Je crois, Seigneur, mais aidez la faiblesse de ma foi ». Et Jésus délivre l'enfant. - Quand le chef de la synagogue lui demande de ressusciter sa fille, c'est encore la même réponse que Notre-Seigneur lui donne: « Croyez seulement, et elle sera sauvée ». - Bien souvent, cette parole revient sur ses lèvres; bien souvent aussi, nous l'entendons dire: « Allez, votre foi vous a sauvé; votre foi vous a guéri ». Il le dit au paralytique, il le dit à la femme malade depuis douze ans et qui avait été guérie pour avoir touché avec foi son manteau.

Il fait de la foi en lui la condition indispensable de ses miracles; même chez ceux qu'il aime le plus, il réclame cette foi. Voyez quand Marthe, sœur de Lazare, qui était son ami et qu'il allait ressusciter, lui laisse entendre qu'il aurait bien pu empêcher son frère de mourir, Notre-Seigneur lui dit que Lazare ressuscitera; mais il veut, avant d'opérer ce miracle, que Marthe accomplisse un acte de foi en sa personne: « Je suis la Résurrection et la Vie; le croyez-vous »?

Là où il ne rencontre pas la foi, il limite délibérément les effets de sa puissance: l'Évangile nous dit expressément qu'à Nazareth, « il ne fit pas beaucoup de miracles à cause de l'incrédulité de ses habitants » : Et non fecit ibi virtutes multas propter incredulitatem eorum. Il semble que le manque de foi paralyse, si je puis ainsi m'exprimer, l'action du Christ.

Mais là où il la trouve, il ne peut rien lui refuser; il se plaît à en faire publiquement l'éloge, avec effusion. - Un jour que Jésus était à Capharnaüm, un païen, un officier qui commandait à une compagnie de cent hommes, s'approcha de lui et demanda la guérison d'un de ses serviteurs malade. Jésus lui dit: « J'irai et je le guérirai ». Mais le centurion lui répondit aussitôt: «Seigneur, ne prenez pas tant de peine, car je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit; mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri. Voyez: j'ai des soldats sous mes ordres; je dis à celui-ci: va, et il va ; à celui-là: viens, et il vient; à mon serviteur: fais cela, et il le fait. De même, il vous suffira de dire une parole, de commander à la maladie, et elle disparaîtra ». Quelle foi chez ce païen ! Aussi le Christ Jésus, avant même de prononcer la parole libératrice, manifeste-t-il la joie que lui cause cette foi: « En vérité, même chez les fils d'Israël, je n'ai pas trouvé une telle foi. C'est à cause d'elle que les gentils viendront prendre place au festin de la vie éternelle dans le royaume des cieux, tandis que les fils d'Israël, qui avaient été appelés les premiers à ce banquet, seront rejetés à cause de leur incrédulité ». Et s'adressant au centurion, il lui dit: «Va, et qu'il te soit fait selon ta foi ».

La foi est même si agréable à Jésus qu'elle finit par obtenir de lui ce qu'il n'était pas dans ses intentions premières d'accorder. - Nous avons de cela un exemple frappant dans la guérison demandée par une femme chananéenne. Notre-Seigneur était arrivé aux frontières de Tyr et de Sidon, région païenne. Une femme de ces contrées, étant venue où il se trouvait, se met à crier à haute voix: «Ayez pitié de moi, Seigneur, Fils de David; ma fille est cruellement tourmentée par le démon ». Mais Jésus ne lui répond pas un mot. Alors ses disciples s'approchent de lui et lui disent: «Renvoyez-la, après lui avoir accordé ce qu'elle demande, car elle nous importune par ses cris ». Et le Christ leur dit: « Ma mission est de ne prêcher qu'aux Juifs ». Il réservait à ses apôtres l'œuvre de l'évangélisation des païens. Mais voici que la femme vient se prosterner devant lui: « Seigneur, dit-elle, secourez-moi ». Et Jésus lui réplique la même chose qu'aux apôtres, mais en employant une locution proverbiale, en usage alors pour distinguer les juifs des païens: « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens ». Et la femme, animée par sa foi, de s'écrier: « Il est vrai, Seigneur, mais les petits chiens mangent au moins les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». Jésus est si touché de cette foi qu'il ne peut s'empêcher de la louer et de lui accorder aussitôt ce qu'elle sollicite: « O femme, votre foi est grande; qu'il vous soit fait selon votre désir ». Et, à l'heure même, sa fille fut guérie.

Sans doute, dans presque tous ces exemples, il s'agit de guérisons corporelles; mais c'est aussi à cause de la foi que Notre-Seigneur remet les péchés et accorde la vie éternelle. - Voyez: que dit-il à Madeleine, quand cette pécheresse vient se jeter à ses pieds et les arroser de ses larmes? « Vos péchés vous sont remis ». La rémission des péchés est assurément une grâce d'ordre purement spirituel. Or, quelle est la raison pour laquelle le Christ rend la vie de la grâce à Madeleine? A cause de sa foi. Le Christ Jésus lui dit exactement les mêmes paroles qu'à ceux qu'il guérissait de leurs maux corporels: « Allez, votre foi vous a sauvée ». Voyez enfin au Calvaire. Quelle magnifique récompense il donne au bon larron à cause de sa foi ! C'était probablement un brigand, que ce larron; mais, sur la croix, alors que tous les ennemis de Jésus l'abreuvent de sarcasmes et de moqueries : « S'il est le Fils de Dieu, comme il l'a dit, qu'il descende donc de la croix, et nous croirons en lui », ce larron confesse la divinité du Christ, abandonné de ses disciples, et mourant sur un gibet. Car il parle à Jésus de « son royaume », au moment où Jésus va mourir: il lui demande une place dans ce royaume. Quelle foi en la puissance du Christ expirant ! Et comme Jésus est touché de cette foi ! « En vérité, tu seras aujourd'hui même avec moi dans le paradis ». Il lui remet, à cause de cette foi, tous ses péchés, et lui assure une place au royaume éternel.

Ainsi donc, la foi est la première vertu que Notre-Seigneur réclame de ceux qui s'approchent de lui. Et cette conduite du Christ reste la même pour nous tous.

Quand, avant de remonter au ciel, il envoie ses apôtres continuer sa mission à travers le monde, c'est la foi qu'il exige; et il ramène, pour ainsi dire, à elle, toute la réalisation de la vie chrétienne: « Allez, enseignez toutes les nations ... celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé; celui qui ne croira pas, sera condamné ». - Est-ce que la foi seule suffit ? Non, les sacrements et l'observation des commandements sont aussi nécessaires, mais un homme qui ne croit pas en Jésus-Christ n'a que faire de ses commandements et de ses sacrements. D'autre part, c'est parce que nous croyons en la divinité de Jésus que nous observons ses préceptes et que nous nous approchons des sacrements: la foi est donc la base de toute notre vie surnaturelle.

Dieu demande que, durant l'étape de notre vie terrestre, nous le servions dans la foi; sa gloire le veut ainsi. C'est l'hommage qu'il attend de nous et qui constitue notre épreuve, avant de parvenir au but éternel. Un jour, nous verrons Dieu sans voile, sa gloire consistera alors à se communiquer pleinement dans toute la splendeur et la clarté de sa béatitude éternelle. Mais tant que nous sommes ici-bas, il entre dans l'économie du plan divin que Dieu soit pour nous le Dieu caché; ici-bas, Dieu veut être connu, adoré et servi dans la foi; - et plus cette foi est étendue, vive et pratique, plus nous sommes agréables à Dieu.

‑ II ‑

Mais, me direz-vous, qu'est-ce que cette foi? -D'une façon générale, la foi est l'adhésion de notre intelligence à la parole d'un autre. Quand un homme intègre, loyal, nous dit une chose, nous l'admettons, nous avons foi en sa parole ; donner sa parole à quelqu'un, c'est se donner soi-même.

La foi surnaturelle, c'est l'adhésion de notre intelligence, non à la parole d'un homme, mais à la parole de Dieu. - Dieu ne peut ni se tromper ni nous tromper ; la foi est un hommage rendu à Dieu considéré comme vérité et autorité suprêmes. Pour que cet hommage soit digne de Dieu, nous devons nous soumettre à l'autorité de sa parole, quelles que soient les difficultés que notre esprit rencontre. Cette parole divine nous affirme l'existence de mystères qui dépassent notre raison ; la foi peut être exigée de nous en des choses où nos sens, notre expérience semblent nous dire le contraire de ce que Dieu dit ; mais Dieu demande que notre conviction en l'autorité de sa révélation soit si absolue que si toute la création nous affirmait le contraire, nous dirions à Dieu malgré tout: « Mon Dieu, je crois, parce que vous le dites ».

Croire, dit S. Thomas, c'est donner, sous l'empire de la volonté, mue par la grâce, l'assentiment, l'adhésion de notre intelligence à la vérité divine: Ipsum autem credere est actus intellectus assentientis veritati divinae ex imperio voluntatis sub motu gratiae. C'est l'esprit qui croit, mais le cœur n'en est pas absent ; et pour que nous accomplissions cet acte de foi, Dieu met en nous, au baptême, une puissance, une force, une « habitude »: la vertu de foi, par laquelle notre intelligence est inclinée à admettre le témoignage de Dieu par amour pour sa véracité. C'est là l'essence même de la foi, mais cette adhésion et cet amour comprennent naturellement un nombre infini de degrés. - Quand l'amour, qui nous porte à croire, nous livre tout entiers à l'acceptation plénière, dans notre esprit et dans notre conduite, du témoignage de Dieu, alors notre foi est parfaite: elle opère et se traduit dans la charité.

Or quel est ce témoignage de Dieu que nous devons accepter par la foi? Ce témoignage se ramène à ceci: Que le Christ Jésus est son propre Fils, envoyé pour notre salut et donné pour notre sanctification.

Vous le savez, la voix du Père ne s'est fait entendre au monde que trois fois, et, chaque fois, c'est pour nous dire que le Christ est son Fils, Fils unique, digne de toute complaisance et de toute gloire: Hic est Filius meus dilectus... ipsum audite: « Écoutez-le ». C'est là, selon la parole même de Notre-Seigneur, le témoignage de Dieu au monde lorsqu'il lui a donné son Fils: Qui misit me Pater, ipse testimonium perhibuit de me. - Et pour confirmer ce témoignage, Dieu a donné à son Fils le pouvoir des miracles; il l'a ressuscité d'entre les morts. Notre-Seigneur nous dit lui-même que c'est à l'acceptation plénière de ce témoignage qu'est attachée pour nous la vie éternelle: Haec est autem voluntas Patris mei qui misit me, ut omnis qui videt Filium et credit in eum, habeat vitam aeternam. Le Christ Jésus appuie souvent sur ce point: « En vérité, je vous le dis, quiconque croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle ... il est passé de la mort à la vie ».

S. Jean écrit ces paroles que nous ne saurions trop méditer: « Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique ». Et pourquoi l' a-t-il donné ? « Afin, dit-il, que quiconque croit en lui ne périsse point, mais ait 1a vie éternelle ». Et il ajoute comme explication: « Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n'est pas jugé, mais celui qui ne croit pas en lui est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au Fils de Dieu ». « Juger » a, ici, le sens de condamner; or, S. Jean dit que celui qui ne croit pas dans le Christ est déjà condamné. Remarquez ce terme: « est déjà condamné ». Qu'est-ce que cela indique? Que celui qui n'a pas la foi en Jésus-Christ tente inutilement de se sauver: sa cause est, dès à présent, jugée. Le Père éternel fait de la foi en son Fils qu'il a envoyé, la première attitude de notre âme et la source de notre salut. Qui credit in Filium habet vitam aeternam; qui autem incredulus est Filio non videbit vitam, sed ira Dei manet super eum. Dieu attache tellement de prix à ce que nous croyions en son Fils que sa colère demeure - remarquez encore le temps présent: elle « demeure » dès maintenant, - sur celui qui ne croit pas en son Fils. Qu'est-ce que tout cela signifie? Que la foi en la divinité de Jésus, est, d'après les pensées mêmes du Père, la première œuvre à accomplir pour participer à la vie divine; croire à la divinité de Jésus-Christ emporte avec soi toutes les autres vérités révélées.

Toute la révélation, peut-on dire, est contenue dans ce témoignage suprême que Dieu nous donne que Jésus-Christ est son Fils; et toute la foi est contenue également dans l'acceptation de ce témoignage. Si nous croyons, en effet, à la divinité du Christ, du même coup nous croyons à toute la révélation de l'Ancien Testament qui trouve sa réalisation dans le Christ; nous croyons à toute la révélation du Nouveau Testament, car tout ce que les apôtres et l'Église nous enseignent n'est que le développement de la révélation du Christ.

Celui donc qui accepte la divinité du Christ embrasse, du même coup, l'ensemble de toute la révélation. Jésus est le Verbe incarné; le Verbe dit tout ce que Dieu est, tout ce qu'il connaît; ce Verbe s'incarne et révèle Dieu aux hommes: Unigenitus qui est in sinu Patris ipse enarravit. Et quand, par la foi, nous recevons le Christ, nous recevons toute révélation.

Aussi la conviction intime que Notre-Seigneur est véritablement Dieu constitue-t-elle le premier fondement de toute notre vie surnaturelle. Si nous avons compris cette vérité et si nous la mettons en pratique, notre vie intérieure sera pleine de lumière et de fécondité.

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