LE CHRIST, VIE
DE L' AME
La
Foi en Jésus-Christ, fondement de la Vie chrétienne
Extraits
Par le Bienheureux Dom Columba Marmion
Toute notre sainteté,
vous ai-je dit - et mon plus grand désir est que cette vérité soit gravée
au fond de vos âmes, - revient pour nous à participer à la sainteté du
Christ Jésus, Fils de Dieu.
Mais comment y participer?
- En recevant Jésus-Christ qui en est la source unique. S. Jean nous dit,
en parlant de l'Incarnation, que « tous ceux qui ont reçu le Christ sont
devenus enfants de Dieu » : Quotquot autem receperunt eum dedit
eis potestatem filios Dei fieri. Et comment reçoit-on le Christ, Verbe
incarné? - D'abord et avant tout, par la foi: His qui credunt in nomine
ejus.
S. Jean nous dit
donc que c'est la foi en Jésus-Christ qui nous rend enfants de Dieu. C'est
également la pensée de S. Paul: « Vous êtes tous fils de Dieu par la foi
dans le Christ Jésus» : Omnes filii Dei estis per fidem, quae est in
Christo Jesu ». Parce que par la foi en la divinité de Jésus-Christ,
nous nous identifions avec lui; nous l'acceptons tel qu'il est, Fils de
Dieu et Verbe Incarné; la foi nous livre au Christ; et le Christ, nous
introduisant dans le domaine surnaturel, nous livre à son Père. - Et plus
la foi en la divinité du Christ est parfaite, profonde, vive et constante,
plus nous avons, comme enfants de Dieu, un droit à la communication de
la vie divine. En recevant le Christ par la foi, nous devenons par grâce
ce qu'il est par nature: enfants de Dieu; et alors notre état appelle
de la part du Père céleste un influx de la vie divine; notre état d'enfant
de Dieu est comme une prière continuelle: « Oh ! Père saint, donnez-nous
notre pain de chaque jour, c'est-à-dire la vie divine, dont votre Fils
a la plénitude ».
C'est de cette foi
que je vais vous entretenir. - La foi constitue la première attitude que
nous devons avoir dans nos relations avec Dieu: Prima conjunctio hominis
ad Deum per fidem. S. Augustin dit la même chose: «La foi est la première
qui soumet l'âme à Dieu »: Fides est prima quae subjugat animam
Deo. « Il faut, dit S. Paul, que ceux qui veulent approcher de Dieu
commencent par croire, parce que sans la foi il est impossible de plaire
à Dieu »: Sine fide impossibile est placere Deo ; à plus
forte raison, de parvenir à son amitié et de rester son enfant: Impossibile
est ad filiorum ejus consortium pervenire.
Vous sentez tout
de suite que ce sujet est non seulement important, mais vital. - Nous
ne comprendrons rien à la vie surnaturelle, à la vie divine dans nos
âmes, si nous ne saisissons pas qu'elle est tout entière fondée sur cette
foi, In fide FUNDATI, sur cette conviction intime et profonde de
la divinité de Jésus-Christ. Car, comme le dit le saint Concile de Trente,
« la foi est la racine et le fondement de toute justification » et
par conséquent de toute sainteté: Fides est humanae salutis initium,
fundamentum et radix omnis justificationis.
Voyons donc ce qu'est
cette foi, quel est son objet, et comment elle se manifeste.
‑
I ‑
Considérons ce qui
se passait quand Notre-Seigneur vivait en judée. - Lorsque nous parcourons
le récit de sa vie dans les Évangiles, nous voyons que c'est la foi qu'il
réclame tout d'abord de ceux qui s'adressent à lui.
Nous lisons qu’un
jour deux aveugles le suivaient en criant : « Fils de David,
ayez pitié de nous ». Jésus les laisse s'approcher, et leur dit:
«Croyez-vous que je puisse vous guérir »? Et ils répondent: « Oui,
Seigneur ». Alors, il touche leurs yeux et leur rend la vue, en disant:
« Qu'il vous soit fait selon votre foi ». - De même, après sa Transfiguration,
il trouve, au bas de la montagne du Thabor, un père qui lui demande la
guérison de son enfant possédé du démon. Et que lui dit Jésus? « Si tu
peux croire, tout est possible à celui qui croit ». Aussitôt le père
de l'enfant de s'écrier: « Je crois, Seigneur, mais aidez la faiblesse
de ma foi ». Et Jésus délivre l'enfant. - Quand le chef de la synagogue
lui demande de ressusciter sa fille, c'est encore la même réponse que
Notre-Seigneur lui donne: « Croyez seulement, et elle sera sauvée ».
- Bien souvent, cette parole revient sur ses lèvres; bien souvent aussi,
nous l'entendons dire: « Allez, votre foi vous a sauvé; votre foi vous
a guéri ». Il le dit au paralytique, il le dit à la femme malade
depuis douze ans et qui avait été guérie pour avoir touché avec foi son
manteau.
Il fait de la foi
en lui la condition indispensable de ses miracles; même chez ceux qu'il
aime le plus, il réclame cette foi. Voyez quand Marthe, sœur de Lazare,
qui était son ami et qu'il allait ressusciter, lui laisse entendre qu'il
aurait bien pu empêcher son frère de mourir, Notre-Seigneur lui dit que
Lazare ressuscitera; mais il veut, avant d'opérer ce miracle, que Marthe
accomplisse un acte de foi en sa personne: « Je suis la Résurrection et
la Vie; le croyez-vous »?
Là où il ne rencontre
pas la foi, il limite délibérément les effets de sa puissance: l'Évangile
nous dit expressément qu'à Nazareth, « il ne fit pas beaucoup de miracles
à cause de l'incrédulité de ses habitants » : Et non fecit ibi virtutes
multas propter incredulitatem eorum. Il semble que le manque de foi
paralyse, si je puis ainsi m'exprimer, l'action du Christ.
Mais là où il la
trouve, il ne peut rien lui refuser; il se plaît à en faire publiquement
l'éloge, avec effusion. - Un jour que Jésus était à Capharnaüm, un païen,
un officier qui commandait à une compagnie de cent hommes, s'approcha
de lui et demanda la guérison d'un de ses serviteurs malade. Jésus lui
dit: « J'irai et je le guérirai ». Mais le centurion lui répondit
aussitôt: «Seigneur, ne prenez pas tant de peine, car je ne suis pas digne
que vous entriez sous mon toit; mais dites seulement une parole et mon
serviteur sera guéri. Voyez: j'ai des soldats sous mes ordres; je dis
à celui-ci: va, et il va ; à celui-là: viens, et il vient; à mon serviteur:
fais cela, et il le fait. De même, il vous suffira de dire une parole,
de commander à la maladie, et elle disparaîtra ». Quelle foi chez
ce païen ! Aussi le Christ Jésus, avant même de prononcer la parole
libératrice, manifeste-t-il la joie que lui cause cette foi: « En vérité,
même chez les fils d'Israël, je n'ai pas trouvé une telle foi. C'est à
cause d'elle que les gentils viendront prendre place au festin de la vie
éternelle dans le royaume des cieux, tandis que les fils d'Israël, qui
avaient été appelés les premiers à ce banquet, seront rejetés à cause
de leur incrédulité ». Et s'adressant au centurion, il lui dit: «Va,
et qu'il te soit fait selon ta foi ».
La foi est même si
agréable à Jésus qu'elle finit par obtenir de lui ce qu'il n'était pas
dans ses intentions premières d'accorder. - Nous avons de cela un exemple
frappant dans la guérison demandée par une femme chananéenne. Notre-Seigneur
était arrivé aux frontières de Tyr et de Sidon, région païenne. Une femme
de ces contrées, étant venue où il se trouvait, se met à crier à haute
voix: «Ayez pitié de moi, Seigneur, Fils de David; ma fille est cruellement
tourmentée par le démon ». Mais Jésus ne lui répond pas un mot. Alors
ses disciples s'approchent de lui et lui disent: «Renvoyez-la, après lui
avoir accordé ce qu'elle demande, car elle nous importune par ses cris ».
Et le Christ leur dit: « Ma mission est de ne prêcher qu'aux Juifs ».
Il réservait à ses apôtres l'œuvre de l'évangélisation des païens. Mais
voici que la femme vient se prosterner devant lui: « Seigneur, dit-elle,
secourez-moi ». Et Jésus lui réplique la même chose qu'aux apôtres,
mais en employant une locution proverbiale, en usage alors pour distinguer
les juifs des païens: « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants
et de le donner aux chiens ». Et la femme, animée par sa foi, de
s'écrier: « Il est vrai, Seigneur, mais les petits chiens mangent au moins
les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». Jésus est
si touché de cette foi qu'il ne peut s'empêcher de la louer et de lui
accorder aussitôt ce qu'elle sollicite: « O femme, votre foi est
grande; qu'il vous soit fait selon votre désir ». Et, à l'heure même,
sa fille fut guérie.
Sans doute, dans
presque tous ces exemples, il s'agit de guérisons corporelles; mais c'est
aussi à cause de la foi que Notre-Seigneur remet les péchés et accorde
la vie éternelle. - Voyez: que dit-il à Madeleine, quand cette pécheresse
vient se jeter à ses pieds et les arroser de ses larmes? « Vos péchés
vous sont remis ». La rémission des péchés est assurément une grâce
d'ordre purement spirituel. Or, quelle est la raison pour laquelle le
Christ rend la vie de la grâce à Madeleine? A cause de sa foi. Le Christ
Jésus lui dit exactement les mêmes paroles qu'à ceux qu'il guérissait
de leurs maux corporels: « Allez, votre foi vous a sauvée ». Voyez
enfin au Calvaire. Quelle magnifique récompense il donne au bon larron
à cause de sa foi ! C'était probablement un brigand, que ce larron;
mais, sur la croix, alors que tous les ennemis de Jésus l'abreuvent de
sarcasmes et de moqueries : « S'il est le Fils de Dieu, comme il l'a dit,
qu'il descende donc de la croix, et nous croirons en lui », ce larron
confesse la divinité du Christ, abandonné de ses disciples, et mourant
sur un gibet. Car il parle à Jésus de « son royaume », au moment
où Jésus va mourir: il lui demande une place dans ce royaume. Quelle foi
en la puissance du Christ expirant ! Et comme Jésus est touché de
cette foi ! « En vérité, tu seras aujourd'hui même avec moi dans
le paradis ». Il lui remet, à cause de cette foi, tous ses péchés,
et lui assure une place au royaume éternel.
Ainsi donc, la foi
est la première vertu que Notre-Seigneur réclame de ceux qui s'approchent
de lui. Et cette conduite du Christ reste la même pour nous tous.
Quand, avant de remonter
au ciel, il envoie ses apôtres continuer sa mission à travers le monde,
c'est la foi qu'il exige; et il ramène, pour ainsi dire, à elle, toute
la réalisation de la vie chrétienne: « Allez, enseignez toutes les nations
... celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé; celui qui ne croira
pas, sera condamné ». - Est-ce que la foi seule suffit ? Non, les
sacrements et l'observation des commandements sont aussi nécessaires,
mais un homme qui ne croit pas en Jésus-Christ n'a que faire de ses commandements
et de ses sacrements. D'autre part, c'est parce que nous croyons en la
divinité de Jésus que nous observons ses préceptes et que nous nous approchons
des sacrements: la foi est donc la base de toute notre vie surnaturelle.
Dieu demande que,
durant l'étape de notre vie terrestre, nous le servions dans la foi; sa
gloire le veut ainsi. C'est l'hommage qu'il attend de nous et qui constitue
notre épreuve, avant de parvenir au but éternel. Un jour, nous verrons
Dieu sans voile, sa gloire consistera alors à se communiquer pleinement
dans toute la splendeur et la clarté de sa béatitude éternelle. Mais tant
que nous sommes ici-bas, il entre dans l'économie du plan divin que Dieu
soit pour nous le Dieu caché; ici-bas, Dieu veut être connu, adoré et
servi dans la foi; - et plus cette foi est étendue, vive et pratique,
plus nous sommes agréables à Dieu.
‑
II ‑
Mais, me direz-vous,
qu'est-ce que cette foi? -D'une façon générale, la foi est l'adhésion
de notre intelligence à la parole d'un autre. Quand un homme intègre,
loyal, nous dit une chose, nous l'admettons, nous avons foi en
sa parole ; donner sa parole à quelqu'un, c'est se donner soi-même.
La foi surnaturelle,
c'est l'adhésion de notre intelligence, non à la parole d'un homme, mais
à la parole de Dieu. - Dieu ne peut ni se tromper ni nous tromper ;
la foi est un hommage rendu à Dieu considéré comme vérité et autorité
suprêmes. Pour que cet hommage soit digne de Dieu, nous devons nous soumettre
à l'autorité de sa parole, quelles que soient les difficultés que notre
esprit rencontre. Cette parole divine nous affirme l'existence de mystères
qui dépassent notre raison ; la foi peut être exigée de nous en des
choses où nos sens, notre expérience semblent nous dire le contraire de
ce que Dieu dit ; mais Dieu demande que notre conviction en l'autorité
de sa révélation soit si absolue que si toute la création nous affirmait
le contraire, nous dirions à Dieu malgré tout: « Mon Dieu, je crois, parce
que vous le dites ».
Croire, dit S. Thomas,
c'est donner, sous l'empire de la volonté, mue par la grâce, l'assentiment,
l'adhésion de notre intelligence à la vérité divine: Ipsum autem credere
est actus intellectus assentientis veritati divinae ex imperio voluntatis
sub motu gratiae. C'est l'esprit qui croit, mais le cœur n'en est
pas absent ; et pour que nous accomplissions cet acte de foi, Dieu
met en nous, au baptême, une puissance, une force, une « habitude »:
la vertu de foi, par laquelle notre intelligence est inclinée à admettre
le témoignage de Dieu par amour pour sa véracité. C'est là l'essence même
de la foi, mais cette adhésion et cet amour comprennent naturellement
un nombre infini de degrés. - Quand l'amour, qui nous porte à croire,
nous livre tout entiers à l'acceptation plénière, dans notre esprit et
dans notre conduite, du témoignage de Dieu, alors notre foi est parfaite:
elle opère et se traduit dans la charité.
Or quel est ce témoignage
de Dieu que nous devons accepter par la foi? Ce témoignage se ramène à
ceci: Que le Christ Jésus est son propre Fils, envoyé pour notre salut
et donné pour notre sanctification.
Vous le savez, la
voix du Père ne s'est fait entendre au monde que trois fois, et, chaque
fois, c'est pour nous dire que le Christ est son Fils, Fils unique, digne
de toute complaisance et de toute gloire: Hic est Filius meus dilectus...
ipsum audite: « Écoutez-le ». C'est là, selon la parole même de Notre-Seigneur,
le témoignage de Dieu au monde lorsqu'il lui a donné son Fils: Qui
misit me Pater, ipse testimonium perhibuit de me. - Et pour confirmer
ce témoignage, Dieu a donné à son Fils le pouvoir des miracles; il l'a
ressuscité d'entre les morts. Notre-Seigneur nous dit lui-même que c'est
à l'acceptation plénière de ce témoignage qu'est attachée pour nous la
vie éternelle: Haec est autem voluntas Patris mei qui misit me, ut
omnis qui videt Filium et credit in eum, habeat vitam aeternam.
Le Christ Jésus appuie souvent sur ce point: « En vérité, je vous
le dis, quiconque croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle ...
il est passé de la mort à la vie ».
S. Jean écrit ces
paroles que nous ne saurions trop méditer: « Dieu a tant aimé le monde
qu'il lui a donné son Fils unique ». Et pourquoi l' a-t-il donné ?
« Afin, dit-il, que quiconque croit en lui ne périsse point, mais ait
1a vie éternelle ». Et il ajoute comme explication: « Car Dieu n'a
pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le
monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n'est pas jugé, mais
celui qui ne croit pas en lui est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au
Fils de Dieu ». « Juger » a, ici, le sens de condamner; or,
S. Jean dit que celui qui ne croit pas dans le Christ est déjà condamné.
Remarquez ce terme: « est déjà condamné ». Qu'est-ce que cela indique?
Que celui qui n'a pas la foi en Jésus-Christ tente inutilement de se sauver:
sa cause est, dès à présent, jugée. Le Père éternel fait de la foi en
son Fils qu'il a envoyé, la première attitude de notre âme et la source
de notre salut. Qui credit in Filium habet vitam aeternam; qui autem
incredulus est Filio non videbit vitam, sed ira Dei manet super eum. Dieu
attache tellement de prix à ce que nous croyions en son Fils que sa colère
demeure - remarquez encore le temps présent: elle « demeure » dès
maintenant, - sur celui qui ne croit pas en son Fils. Qu'est-ce que tout
cela signifie? Que la foi en la divinité de Jésus, est, d'après les pensées
mêmes du Père, la première œuvre à accomplir pour participer à la vie
divine; croire à la divinité de Jésus-Christ emporte avec soi toutes les
autres vérités révélées.
Toute la révélation,
peut-on dire, est contenue dans ce témoignage suprême que Dieu nous donne
que Jésus-Christ est son Fils; et toute la foi est contenue également
dans l'acceptation de ce témoignage. Si nous croyons, en effet, à la divinité
du Christ, du même coup nous croyons à toute la révélation de l'Ancien
Testament qui trouve sa réalisation dans le Christ; nous croyons à toute
la révélation du Nouveau Testament, car tout ce que les apôtres et l'Église
nous enseignent n'est que le développement de la révélation du Christ.
Celui donc qui accepte
la divinité du Christ embrasse, du même coup, l'ensemble de toute la révélation.
Jésus est le Verbe incarné; le Verbe dit tout ce que Dieu est, tout ce
qu'il connaît; ce Verbe s'incarne et révèle Dieu aux hommes: Unigenitus
qui est in sinu Patris ipse enarravit. Et quand, par la foi, nous
recevons le Christ, nous recevons toute révélation.
Aussi la conviction
intime que Notre-Seigneur est véritablement Dieu constitue-t-elle le premier
fondement de toute notre vie surnaturelle. Si nous avons compris cette
vérité et si nous la mettons en pratique, notre vie intérieure sera pleine
de lumière et de fécondité.
|