Monseigneur Fellay
répond
au cardinal Castrillon Hoyos
Mgr
Fellay, supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, vient
d’adresser – le 22 juin dernier – une réponse à la lettre du cardinal
Castrillon Hoyos du 7 mai (dont les pricipaux extraits sont donnés à la
fin).
Eminentissime Seigneur,
Le regard fixé sur
le Sacré‑Coeur, dont nous célébrons la fête en ce jour, selon ses
propres désirs, j'implore de Sa miséricorde qu'Il daigne imprégner de
sa lumière et de sa charité les lignes qui suivent.
Le jésuite Mgr Pierre
Henrici, alors secrétaire de Communio, disait dans une conférence sur
la maturation du Concile, qu'au Concile Vatican II deux traditions théologiques
étaient entrées en collision, qui fondamentalement ne peuvent pas se comprendre.
Votre lettre du 7
mai a causé un sentiment similaire d'incompréhension et de déception.
Nous avons l'impression
qu'elle nous impose un dilemme: soit nous entrons dans la pleine communion,
et alors nous devons nous taire sur les grands malheurs qui frappent l'Eglise
; à défaut de cage dorée, on nous impose une muselière ; soit nous restons
« au dehors».
Ce dilemme, nous
le récusons. Car d'une part nous n'avons jamais quitté l'Eglise, d'autre
part notre situation actuelle inconfortable, certes, n'est pas le résultat
d'une action coupable de notre part, mais la conséquence d'une situation
désastreuse dans l'Eglise contre laquelle nous avons tant bien que mal
essayé de nous protéger. Les différentes décisions prises par Mgr Lefebvre
ont été dictées par la volonté de ne pas perdre la foi catholique et de
survivre au milieu d'une débâcle universelle dont Rome n'est pas étrangère.
Nous appelons cela un "état de nécessité."
Si nous voulons dépasser
l'impasse dans laquelle conduit votre lettre, il faudrait changer assez
profondément les perspectives, le status quaestionis.
En effet, pour son
Eminence,
1. Nous sommes
en rupture de communion
2. Les raisons
avancées pour justifier nos actions, entre autres les sacres, seraient
totalement insuffisantes. Car l’Eglise étant sainte et le magistère
toujours assisté par le Saint‑Esprit, les défaillances dont nous
nous plaignons seraient inexistantes ou seulement des abus limités.
Notre problème proviendrait d'une vue sur l'histoire de l'Eglise et
de ses crises bien trop fixiste, bornée, qui nous empêche de saisir
l'évolution homogène et justifiée des diverses adaptations au monde
d'aujourd'hui opérées par le Concile et le magistère subséquent.
3 Rome est suffisamment
bon prince en nous offrant la structure qu'elle nous a proposée. Il
est abusif d'en demander plus, peut‑être même injurieux envers
le St. Siège, dans ces circonstances où Rome fait le premier pas. Aucun
préalable ne sera accordé. Surtout pas la messe qui causerait du trouble
dans l'Eglise.
De notre côté, il
me semble pouvoir affirmer, en suivant les papes Pie XII et Paul VI, que
l'Eglise se trouve dans une situation littéralement apocalyptique. Il
est indéniable que les dysfonctionnements dans la Hiérarchie catholique,
‑ le cardinal Seper disait « la crise de l'Eglise est une crise
des évêques» ‑ les lacunes, les silences, les inductions, les tolérances
d'erreurs et même des actes positifs destructeurs se rencontrent jusque
dans la Curie et malheureusement jusque chez le Vicaire du Christ. Ce
sont des faits publics et constatables par le commun des mortels.
Affirmer l'existence
de ces faits n'est pas contradictoire avec la foi dans la Sainteté de
l'Eglise ni dans l'assistance du St Esprit. Mais nous touchons ici le
mystère de l'Eglise, de la conjonction et de la coordination de l'élément
divin et de l'élément humain dans le Corps Mystique. Pour rester dans
la vérité de la réalité, il nous faut tenir tout autant aux affirmations
de la foi qu'à la constatation des faits.
Dans l'affirmation
de l'infaillibilité du Souverain Pontife, le Concile Vatican I a donné
explicitement une limite à l'assistance du Saint‑Esprit: « le Saint‑Esprit
n'a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu'ils fassent connaître
sous sa révélation une nouvelle doctrine, mais pour qu'avec son assistance
ils gardent saintement et exposent fidèlement la Révélation transmise
par les apôtres, c'est‑à‑dire le dépôt de la foi. » Denzinger‑Hünermann,
N. 3070.
Nous adhérons évidemment
de tout coeur aussi aux paragraphes suivants de Pastor Aeternus ainsi
qu'à Dei Filius.
Mais c'est précisément
là que nous touchons au plus profond du mystère actuel Ce sont précisément
les nouveautés de la nouvelle théologie, condamnées par l'Eglise sous
Pie XII, qui font leur entrée à Vatican II. Comment se fait‑il que
tous les grands ténors du Concile, les experts théologiens, sont tous
frappés de sanctions sous Pie XII ? De Lubac, Congar, Rahner, Courtney‑Murray,
Dom Beaudoin (mort juste avant le Concile). Et pour aller un peu plus
loin, Blondel, Teilhard de Chardin...
On voudrait nous
faire croire aujourd'hui que ces nouveautés seraient en développement
homogène avec le passé ? Elles ont été condamnées au moins dans leur principe.
Le Cardinal Ratzinger lui‑même nomme Gaudium et Spes un contre‑Syllabus.
(Theologische Prinzipienlehre, p.398, Erich Wewel Verlag, München, 1982.)
Il faut donc nécessairement choisir.
Que ces doctrines
soient ensuite sanctionnées par un Concile qui ne se veut pas dogmatique
n'est pas suffisant pour les blanchir. Le sceau d'un vote ne transforme
pas une erreur en vérité infaillible : en fait foi la réponse de Mgr Felici
au Concile sur la question de l'infaillibilité de celui‑ci. (Notification
du 16 nov 1964, DH 4350‑4351)
De plus, le problème
du Concile n'est pas d'abord du côté des interprétations individuelles,
il vient en outre de son manque de précision dans les termes, de ses ambiguïtés
voulues, (selon l'un des experts du Concile), et qui rendent possible
diverses interprétations.
Il vient ensuite
de certaines interprétations données par le Saint Siège lui‑même.
Si l'on suit les
indications de celui‑ci, on aboutit à Assise, dans la synagogue
et les forêts sacrées du Togo. « Voyez Assise à la lumière du Concile
» Jean Paul II, Audience du 22 août 1986.
Comment expliquer
à la lumière de la foi catholique cette phrase clé de la théologie de
Jean Paul II, qui éclaire beaucoup de passages sinon incompréhensibles
(tels « le chemin de l'Eglise, c'est l'homme », ou bien Gaudium et Spes
22) : « Dans l'Esprit Saint, chaque personne et chaque peuple sont devenus,
par la croix et la résurrection du Christ, des enfants de Dieu, des participants
de la nature divine et des héritiers de la vie éternelle » ?( Jean
Paul II, Message aux peuples d'Asie du 21 février 1981, DOC 1894, 15 mars
1981, p 281.)
Un magistère qui
contredit l'enseignement du passé (par exemple l'oecuménisme actuel et
Mortalium Animos), un magistère qui se contredit lui‑même (voir
la déclaration conjointe sur la Justification et la note précédente du
cardinal Cassidy, ou la condamnation et la louange du terme Eglises Soeurs),
là est le problème lancinant.
Cette crise magistérielle
pose un problème quasi impossible à résoudre pratiquement.
Comment opérer le
discernement nécessaire entre ce qui est vraiment le magistère et ce qui
n'en a que l'apparence ?
Et le cauchemar s'étend
de la Curie aux évêques résidentiels. Voici deux exemples tous récents,
pris entre mille.
Lorsque Mgr Tauran
déclare aux Philippines le 4 juin 2001: « Il serait erroné de considérer
le fidèle d'autres religions comme quelqu'un à convertir. Il est plutôt
une personne qu'il faut comprendre, en laissant à Dieu le rôle d'éclairer
sa conscience. Les religions ne doivent pas entrer en compétition les
unes avec les autres, mais doivent être plutôt comme des frères et soeurs
qui marchent la main dans la main pour construire des canaux de fraternité,
en bâtissant un monde beau dans lequel il soit possible de vivre et de
travailler », est‑il fidèle à la foi catholique ? Lorsque le Cardinal
Kasper déclare à New York : « L'ancienne théorie de la substitution n'a
plus cours depuis le Concile Vatican II. Pour nous, chrétiens d'aujourd'hui,
l'alliance avec le peuple juif est un héritage vivant... Il ne peut y
avoir une simple coexistence entre les deux alliances. Les juifs et les
chrétiens, de par leur identité respective spécifique, sont intimement
liés les uns aux autres. L'Eglise croit que le judaïsme, c'est‑à‑dire
la réponse fidèle du peuple juif à l'alliance irrévocable de Dieu, est
salvifique pour eux, parce que Dieu est fidèle à ses promesses », exprime‑t‑il
la foi catholique, est‑il fidèle à St Jean, à St Paul, à Notre Seigneur
lui‑même ?
Or, ils sont l'un,
intime collaborateurs du Pape, l'autre prince de l'Eglise, récemment honoré
de la pourpre cardinalice, électeur du futur Vicaire du Christ. Il est
impossible d'être en communion avec eux. Ils n'ont plus la foi.
Nous pourrions citer
des dizaines et des dizaines de paroles épiscopales de la même teneur.
Que faire lorsque les gardiens de la foi défaillent ? Les suivre aveuglément
? Ne méritent‑ils pas les qualificatifs dont Ste Catherine de Sienne
gratifiait certains princes de l'Eglise de l'époque ?
Déclarer cela ne
nous mettra pas dans les bonnes grâces du Saint Siège. Mais nous avons
des soucis bien plus graves. Les milliers et millions de fidèles catholiques
qui déchoient de la foi et se damnent à cause de ces défaillances de Rome,
voilà notre souci. "Quicumque vult salvus esse, ante omnia opus est,
ut teneat catholicam fidem: nisi quisque integram inviolatamque servaverit,
absque dubio in aeternum peribit." Symbole de St Athanase, DH 75
Il faut distinguer
Rome et Rome. Nous essayons de faire cela.
Les paroles de Pie
XII, alors Secrétaire d'Etat de Pie XI, résonnent à nos oreilles « Supposez,
cher ami, que le communisme ne soit que le plus visible des organes de
subversion contre l’Eglise et contre la tradition de la révélation divine,
alors nous allons assister à l'invasion de tout ce qui est spirituel,
la philosophie, la science, le droit, l'enseignement, les arts, la presse,
la littérature, le théâtre et la religion. Je suis obsédé par les confidences
de la Vierge à la petite Lucie de Fatima. Cette obstination de la Bonne
Dame devant le danger qui menace l'Eglise, c'est un avertissement divin
contre le suicide que représenterait l'altération de la foi, dans sa liturgie,
sa théologie et son âme...
J'entends autour
de moi des novateurs qui veulent démanteler la Chapelle Sacrée, détruire
la flamme universelle de l'Eglise, rejeter ses ornements, lui donner le
remords de son passé historique.
Eh bien, mon cher
ami, j'ai la conviction que l'Eglise de Pierre doit assumer son passé
ou alors elle creusera sa tombe.
... un jour viendra
où le monde civilisé reniera son Dieu, où l'Eglise doutera comme Pierre
a douté. Elle sera tentée de croire que l'homme est devenu Dieu, que son
Fils n'est qu'un symbole, une philosophie comme tant d'autres, et dans
les églises les chrétiens chercheront en vain la lampe rouge ou Dieu les
attend. » Mgr Roche et P. Saint Germain Pie XII devant l'histoire, pp.52‑53
A son ami Jean Guitton,
Paul VI disait en substance qu'il y a dans l'Eglise une pensée de type
non catholique. Il se peut qu'elle prévale, mais elle ne sera jamais l'Eglise
catholique. (Jean Guitton, Paul VI secret)
Devant cette catastrophe,
comment les fidèles doivent‑ils réagir ? Leur est‑il permis
de réagir ? Nous suivons simplement le conseil de Saint Vincent de Lérins
dans son Commonitorium (N3) : « Que fera donc le chrétien catholique,
si quelque parcelle de l'Eglise vient à se détacher de la communion de
la foi universelle ? Quel autre parti prendre, sinon de préférer au membre
gangrené et corrompu le corps dans son ensemble qui est sain ? Et si quelque
contagion nouvelle s'efforce d'empoisonner non plus seulement une petite
partie de l'Eglise, mais l'Eglise toute entière à la fois ? Alors encore,
son plus grand souci sera de s'attacher à l'antiquité, qui, évidemment,
ne peut plus être séduite par aucune nouveauté mensongère. »
Voilà un status quaestionis
d'où il faudrait partir pour essayer de trouver une solution. Nous ne
sommes qu'un signe marquant de la terrible tragédie que traverse l'Eglise,
peut-être la plus terrible de toutes jusqu'ici, où non seulement un dogme
mais tous sont attaqués, au sein des universités pontificales elles‑mêmes
jusqu'au bancs des écoles maternelles.
Le problème liturgique
est un peu semblable. Et d'ailleurs les fidèles sont mis en demeure de
prendre sur eux‑mêmes de chercher une liturgie convenable. Ils ne
peuvent plus aller simplement à la paroisse. C'est un fait qui ne touche
pas seulement les traditionalistes.
D'où une grande transformation
dans le monde catholique, en tous cas dans l'ancien monde: la désagrégation
de la vie de la paroisse ; la croissance des mouvements ecclésiaux sont
dus en grande partie au fait que les fidèles ne trouvent plus la nourriture
dont ils ont besoin pour vivre de la foi et de la grâce dans leur paroisse.
La nouvelle liturgie n'est pas étrangère à ce phénomène.
Nous ne pouvons pas
ignorer ce problème gigantesque. De tout notre coeur, de toute notre âme,
nous voulons travailler à la restauration de l’Eglise, mais nous ne pouvons
pas simplement faire comme si tout allait bien ou s'il s'agissait de questions
de détail.
Nous sommes prêts
à rendre compte de notre foi à Rome, mais nous ne pouvons pas appeler
bien ce qui est mal, mal ce qui est bien.
Daignez, Eminence,
excuser la longueur de cette lettre, ses généralités et certaines affirmations
qui demanderaient à être étayées bien davantage. Nous sommes tout à fait
disposés à continuer ce travail, si Rome veut bien...
Nous voulons rester
catholiques, nous voulons conserver toute notre foi sans rien abandonner,
voilà la cause de notre combat, de nos peines, des oppositions dont nous
souffrons. Nous sommes persuadés que nous ne causons pas de mal à l'Eglise
en faisant cela, même si les apparences parlent contre nous.
Veuillez recevoir,
Eminence, l'expression de mes sentiments dévoués et religieux in Cordibus
Jesu et Mariae ».
Voici les points
essentiels de la lettre du cardinal Hoyos à Mgr Fellay :
« En ce qui
concerne la première condition, un certain nombre de cardinaux, évêques
et fidèles jugent qu'une telle permission ne doit pas être concédée :
ce n'est pas que le rite sacré précédent ne mérite pas tout le respect,
ou qu'on méconnaisse sa solidité théologique, sa beauté et son apport
à la sanctification pendant des siècles et dans l'Eglise, mais parce que
cette permission pourrait créer une confusion dans l'esprit de beaucoup
de personnes qui la comprendraient comme une dépréciation de la valeur
de la Sainte Messe que célèbre l'Eglise aujourd'hui. II est clair que,
dans les statuts de votre réinsertion, on offre toutes les garanties pour
que les membres de la Fraternité, et tous ceux qui ont un attrait spécial
pour cette noble tradition liturgique, puissent la célébrer librement
dans vos églises et lieux de culte. On peut également la célébrer dans
les autres églises avec la permission des Ordinaires diocésains.
En ce qui concerne
la deuxième condition, le Saint‑Père a la claire volonté de la concéder
au moment où sera formalisé le retour ». "
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