Présentation par
M. l’abbé François Laisney
Le
livre présenté au Pape et à tous les cardinaux par la Fraternité va jusqu’à
la racine du problème du missel de Paul VI. Le livre expose trois thèses
introduisant chacune une section séparée. D’abord il montre comment la
publication de la Nouvelle Messe de 1969 a constitué une rupture liturgique.
Deuxièmement il montre comment cette rupture est expliquée principalement
par une nouvelle théologie de la Rédemption que nous appelerons « la
théologie du Mystère Pascal ». Cette partie forme le coeur de l’étude.
La troisième partie essaye d’évaluer la nouvelle théologie à la lumière
des enseignements infaillibles de l’Eglise, et d’établir quelle attitude
on doit avoir face à ce Novus Ordo Missae. Pour défendre cette attitude,
un appendice traite du statut canonique et des droits de la Messe de saint
Pie V.
Dès 1969 le Bref
Examen Critique manifestait combien la réforme liturgique conciliaire
« s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans
le détail, de la théologie catholique de la sainte Messe, telle qu’elle
a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente. »
[1] Mais vers où se dirigeait-elle ? Quel en était le principe
directeur ?
Le 21 novembre 1974,
dans sa fameuse Déclaration, Mgr Lefebvre disait que « cette
Réforme, étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée ;
elle sort de l’hérésie et aboutit à l’hérésie, même si tous ses actes
ne sont pas formellement hérétiques. »
[2] Il dénonçait ainsi la gravité des nouveautés, le danger du poison
latent dans ces réformes. Mais il indiquait seulement les grandes lignes
de ces hérésies sans les préciser.
Une étape importante
dans le combat pour la fidélité à la Foi Catholique de toujours vient
d’être marquée par la publication aux Editions Clovis du livre Le Problème
de la Réforme Liturgique.
Ce livre expose la
« Théologie du Mystère Pascal » comme étant le principe qui
inspire toute la réforme liturgique. La première partie expose les faits
liturgiques qui manifestent cela le plus clairement. La deuxième partie
remonte aux principes eux-mêmes et expose cette nouvelle théologie. La
troisième partie en tire les conclusions canoniques.
C’est un livre qui
ne peut pas être ignoré. A cause de son importance, il vient d’être envoyé
par « la lettre à nos frères prêtres » à plus de 17 000 prêtres
français et à tous les évêques francophones. Il sera édité aussi en Anglais,
Allemand, Espagnol et Italien, et envoyé aux évêques et à de nombreux
prêtres de ces langues ! Cela a causé beaucoup de réactions, les
unes très intéressées par ce livre, les autres attaquant ce livre qui
– ils le sentent bien – a frappé juste. En général ces derniers concèdent
que la « Théologie du Mystère Pascal » est bien sous-jacente
à la réforme liturgique conciliaire, mais ils défendent cette théologie :
là ils se distinguent en deux camps, les uns prétendant que cette théologie
est « en évolution homogène » avec la théologie passée sans
aucune opposition ni contradiction, les autres rejetant la théologie passée
avec des critiques acerbes, proches du blasphème. Citons comme exemple
de ces derniers l’article paru dans La Croix du 22 avril, présentant
le missel traditionnel comme « de la surenchère sacrificielle, plus
proche du paganisme que du christianisme » ! Un tel blasphème
est suffisant pour déconsidérer tout ce qui est dit avant. C’est contrairement
à toute la vraie histoire de l’Eglise que l’article prétend que le « nouveau
missel a, lui, l’appui de l’Ecriture et des Pères de l’Eglise »,
alors que l’Ecriture rend témoignage du caractère propitiatoire du Sacrifice
du Christ (1 Jn 2:2), et que les Pères rendent témoignage de ce que la
Messe est vraiment un sacrifice (dès le IIIème siècle, temps des persécutions,
St. Cyprien décrivant le premier miracle eucharistique dans les annales
de l’Eglise dit : « nobis sacrificantibus, lorsque nous offrions
le sacrifice » ! Et vous n’avez pas été sans remarquer dans
mon article du mois de mars que ce même St. Cyprien appelle l’Eucharistie :
« les sacrifices du Seigneur ».) L’auteur ignore volontairement
que la Messe traditionnelle n’est pas « datée » du Concile de
Trente mais est substantiellement le même rite que celle du haut moyen-âge
et plonge ses racines dans la plus haute antiquité chrétienne. Elle respire
la prière des Pères, alors que la nouvelle Messe respire le nouvel esprit
concocté par les « experts » post-conciliaires (combien de « prières
eucharistiques qui n’ont pas quarante ans, sans compter les « prières
universelles » qui sont nouvelles tous les jours !)
La deuxième partie
de ce livre est difficile pour le lecteur moyen, par sa densité théologique,
et aussi parce qu’elle s’efforce d’exposer la nouvelle théologie très
fuyante de nos néo-modernistes. Nous allons donc ici nous efforcer en
quelques articles, d’exposer point par point les grandes lignes de cette
deuxième partie. Afin d’aider le lecteur, pas à pas nous exposerons aussi
la vérité opposée aux erreurs que nous dénoncerons.
La Tactique des Modernistes
1 ‑ Donner
un sens nouveau aux expressions traditionnelles
Mais avant tout,
il faut parler de la tactique des modernistes. Déjà St. Pie X dénonçait
leur ruse. Ils utilisent les mots catholiques traditionnels, mais leur
donnant un sens nouveau. Ainsi, lorsqu’un évêque-théologien écrit :
« le Fils unique de Dieu n’est pas créé et n’est donc pas une créature.
Il est bien plutôt né du Père avant tous les siècles, et pour cette raison
il est un avec lui », sa pensée semble catholique. Ne vous y trompez
pas, il n’y a là que des expressions catholiques auxquelles il
donne un sens nouveau. En effet il vous explique à la page suivante
que par « un processus complexe d’approfondissement de la foi »
de la « communauté néo-testamentaire » pour laquelle « à
l’origine, lorsque Jésus était appelé Fils de Dieu, cette filiation passait
pour une adoption… selon cette formule primitive, c’est au moment
de la résurrection que le Christ est établi Fils de Dieu. Mais selon
une tradition sans doute plus tardive, l’adoption se produit lors
du baptême de Jésus… Lorsqu’est reconnue [plus tard] la naissance virginale
de Jésus, le moment de la filiation divine est situé encore plus tôt,
c’est à dire lors de la naissance du Jésus historique… [Plus tard] le
Christ peut dès lors être assimilé à un être divin préexistant. »
On voit bien que pour lui, lorsqu’il parle du « Fils unique de Dieu,
né du Père avant tous les siècles », il ne s’agit pas du « Jésus
historique », mais plutôt du Jésus de la Foi, simple concept subjectif
fruit de l’évolution de la pensée de la « communauté néo-testamentaire. » [3] Si j’ai cité cet auteur, c’est
parce que vous venez de voir qu’il considère la Résurrection comme le
moment où Jésus est devenu Fils de Dieu. C’est une hérésie qui
se retrouve chez de nombreux théologiens modernes,
[4] et sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir, car elle éclaire
singulièrement leur fausse notion de Mystère Pascal. Conséquence :
il faut se méfier des modernistes même quand ils utilisent des expressions
traditionnelles. Y mettent-ils le même sens ? Ainsi le mot même de
résurrection est souvent utilisé par eux comme synonyme de glorification,
c’est-à-dire de montée dans l’estime des Apôtres : ils ont
estimé le Jésus comme Fils de Dieu, Il est devenu le Seigneur
de gloire ; de résurrection corporelle vraie, il n’en est pas
question.
2 Silences calculés,
manque de profession de Foi
Un autre aspect important
de la tactique des modernistes est de ne jamais nier ouvertement le dogme,
mais de parler comme s’il n’existait pas. Ce n’est pas en niant ouvertement
le dogme catholique que les novateurs ont réussi à causer la crise que
nous déplorons tous, c’est beaucoup plus en le taisant, en le mettant
de côté, en déplaçant l’attention sur autre chose, sur ce qui plait
au monde. Il y a là un manque d’esprit de Foi, selon ce que dit St. Paul :
« possédant ce même esprit de foi, selon ce qui est écrit : J’ai
cru, c’est pourquoi j’ai parlé, nous aussi, nous croyons, et c’est pourquoi
nous parlons » (2 Cor. 4:13). L’esprit de Foi mène à la profession
claire de la Foi ; c’est pourquoi la sainte Eglise a toujours réagi
aux hérésies en proclamant sa foi plus clairement et particulièrement
en la proclamant dans la Liturgie. Ainsi elle a professé plus clairement
sa Foi en la divinité du Christ au temps où se levèrent les hérétiques
Ariens, puis Nestoriens, qui la rejetaient. Cette Foi n’était pas neuve,
mais la profession en fut plus claire et plus solennelle. Aux temps où
se levèrent les premiers négateurs de la Présence Réelle (Béranger), elle
a introduit dans sa liturgie les Processions solennelles du Saint Sacrement
en réparation pour ces négations. La liturgie traditionnelle, fruit de
cet esprit de Foi, est donc ainsi devenue au cours des âges une profession
admirable de la Foi Catholique de toujours et un « barrière infranchissable
contre les hérésies » comme le disaient les Cardinaux Ottaviani et
Bacci.
Regardez ce qu’en
ont fait les modernistes : ils n’ont pas nié la présence réelle,
ils l’ont mise de côté : combien peu d’autels maintenant ont le tabernacle
qui trône au centre ? La communion dans la main est aussi typique :
sans nier la présence réelle, elle ne la professe pas. C’est aussi en
tournant l’autel que l’attention n’est plus portée sur l’offrande à Dieu,
mais sur la communauté des fidèles.
De cette double tactique
des modernistes vient le fait que de bons prêtres n’ont pas vu le danger
de la nouvelle Messe ; ils se sont dit : cette Messe nous vient
du Pape, notre évêque nous demande de la dire, nous regrettons certes
certaines choses omises, mais nous n’y voyons pas d’hérésies, donc nous
devons la prendre. Cependant, ce manque de profession de Foi rend la nouvelle
liturgie semblable à une diète où manquent des éléments importants pour
soutenir la vie : elle cause le scorbut, elle anémie et ruine la
santé spirituelle. Certains ont essayé de pallier à cela par leur dévotion
personnelle, et Dieu a souvent récompensé leurs efforts, mais il n’en
reste pas moins que la Liturgie nouvelle n’est pas en elle-même et n’a
pas été pour eux ce qu’une liturgie vraiment catholique doit être, une
source de grâces abondantes.
3 Rejet de la
philosophie et théologie thomiste et de la méthode scolastique
Lorsqu’un auteur
dénigre les saints et surtout les docteurs de l’Eglise, il faut toujours
se méfier. Lorsqu’il dénigre St. Thomas, on doit d’autant plus se méfier
que les Papes ont recommandé – et ce d’une manière répétée – la doctrine
et les principes de St. Thomas comme un remède aux erreurs modernes.
C’est une constance
chez les auteurs modernistes que de critiquer souvent la théologie classique,
l’accusant 1/ de « juridisme » (la rédemption étant le
paiement d’un prix pour une dette, etc.) ; 2/ de
fragmentation (séparant les différents mystères du Christ, l’acquisition
des mérites sur la Croix et leur application par les sacrements, etc.) ;
3/ de n’être pas assez biblique (exprimant la doctrine par des expressions
théologiques, et non bibliques, par ex. transsubstantiation) ; 4/
d’être dépassée : « de nos jours, d’autres philosophies ont
pris le relais d’Aristote » [5] .
Il est vrai que la
théologie classique tient compte des Droits de Dieu et de la Justice
Divine, alors que la nouvelle théologie parle beaucoup des droits de l’homme
en négligeant les Droits de Dieu, et déforme la Justice divine en la vidant
de sens : « une justice qui est amour n’a pour critère ni le
mérite qu’il faut récompenser, ni la faute à punir »
[6] De telles affirmations sont en contradiction avec l’Ecriture
et tous les Pères, car le Christ « rendra à chacun selon ses œuvres »
(Mt. 16:27 et de nombreux passages similaires). Mais il est faux de prétendre
que la théologie classique réduit la Rédemption à une question purement
juridique.
Il est vrai que,
par une analyse profonde et fidèle, la théologie classique précise et
définit les notions avec clarté, mais elle sait aussi faire la synthèse
en manifestant l’ordre admirable des vérités de Foi : St. Thomas
a excellé en cela et sa Somme Théologique a fait et continuera de faire
l’admiration de tout vrai théologien par l’élévation de ses vues de synthèse
où chaque élément n’est pas isolé mais partie d’un ensemble admirablement
ordonné. A l’opposé de cela, les modernistes craignent la précision de
la pensée, ils ont en horreur les définitions claires et aiment à rester
dans le flou. Il est cependant vrai que, SI on gardait le sens catholique
des mots et si on restait fidèle à la doctrine de toujours, on pourrait
ordonner une synthèse de la Rédemption autour du thème du Mystère pascal :
encore faudrait-il définir clairement les termes et savoir analyser les
éléments dans la fidélité au dépôt de la Foi.
Les modernistes prétendent
souvent revenir à des notions plus bibliques, mais leur lecture de la
Sainte Ecriture est fortement influencée par les exégètes modernes qui
sont eux-mêmes remplis des fausses philosophies modernes. Le Cardinal
Ratzinger lui-même écrivait : « [ils] en appellent à l’exégèse
pour justifier leur destruction de la christologie : l’exégèse aurait
prouvé que Jésus ne s’est pas considéré lui-même comme Fils de Dieu, le
Dieu incarné, mais que c’est seulement plus tard que ses disciples l’auraient
rendu tel… Je pense que le problème de l’exégèse et celui des limites
et des possibilités de notre raison, c’est-à-dire des prémisses philosophiques
de la foi, constituent effectivement le vrai point douloureux de la théologie
actuelle, par laquelle la foi – et aussi de plus en plus la foi des gens
simples – entre en crise. » [7] Au contraire, les Pères de l’Eglise ont expliqué
avec une grande foi le sens des Saintes Ecritures, et les Docteurs scolastiques
ont regroupé et ordonné l’enseignement des Pères dans leurs Sommes :
en lisant les Pères on voit combien profondes sont les racines scripturaires
des enseignements scolastiques, un St. Thomas pouvant résumer en un article
de sa Somme ce que St. Augustin développe en vingt pages ou plus :
le langage est plus concis et précis, mais c’est la même doctrine, qui
respecte toute l’Ecriture.
En rejetant la philosophie
utilisée par les scolastiques, c’est la « philosophie du sens commun »
que rejettent nos modernes. Si les Docteurs de l’Eglise ont utilisé certaines
notions philosophiques venues de Grèce, c’est avant tout parce qu’elles
étaient vraies ; ils ont rejetés les erreurs de ces philosophes et
ont perfectionné les notions vraies reçues d’eux. Ainsi St. Thomas fonde
dans la distinction entre essence / existence toute la distance entre
le créé et l’Incréé (qui est sa propre existence : « Je suis
celui qui est ! » Exo. 3:14). Mais en rejetant la philosophie
scolastique, c’est en tout premier lieu la logique que nos modernistes
ont rejeté. Ils se contredisent et ne s’en émeuvent même pas. Souvenez-vous
de ce que disait le Cardinal Ratzinger : « Puisque le péché
est une contradiction, on ne peut pas, en dernière analyse, pleinement
résoudre d’un point de vue logique cette différence entre ‘subsistit’
et ‘est’. » [8]
Ce rejet de la « philosophie pérenne » peut mener certains
théologiens modernes jusqu’à l’hérésie : ainsi le Père Durrwell qui
affirme à la suite de Karl Rahner : « il existe en Christ un
‘Je’ humain qui fait partie de l’intégralité de sa nature humaine. »
[9]
4 Primauté de
l’action sur la vérité, en vue de l’expérience religieuse
Cette technique moderniste
se comprend d’autant mieux que, pour eux, ce n’est pas la vérité objective
qui compte, mais bien plutôt l’agir. Il ne s’agit pas d’ « adorer
Dieu en esprit et en vérité », mais de ressentir cette « présence »
par une action communautaire qui excite la « foi », sentiment
religieux fruit de l’expérience religieuse. Les paroles elles-mêmes ont
pour eux, non pas une valeur de vérité (si elles expriment la vérité objective
et particulièrement la vérité de Foi), mais une valeur d’action si elles
excitent ce sentiment religieux. Ainsi on les entendra un jour dire quelque
chose en pleine conformité à la foi, et le lendemain faire comme si cette
vérité n’existait pas : il ne faut pas s’en étonner. Ainsi, comme
nous l’avions déjà dit dans ce Bulletin, ce ne fut pas tant l’objet de
la « déclaration commune sur la justification » qui comptait
pour eux, que le fait même de faire une déclaration commune : c’est
cette action qui comptait.
La Liturgie devient
ainsi pour eux une action dont le but est de nourrir ce sentiment religieux.
Sera donc mis en valeur ce qui le nourrit plus, et sera mis de côté ce
qui déplaira. Or la Croix a toujours déplu au monde.
Rejet de l’expiation
On comprend dès lors
facilement la première erreur dénoncée par le livre dont nous parlions :
le rejet du caractère expiatoire du Sacrifice de la Croix, et par
voie de conséquence du Saint Sacrifice de la Messe. Reconnaître ce caractère,
c’est reconnaître que nos péchés méritent une peine, or cela déplait souverainement
au « monde ». Ce fut donc systématiquement mis de côté par nos
« experts en liturgie ».
Donnons un exemple
de ce rejet : « Dieu vengeur ? ou Dieu d’Amour ? …
Ne nous figurons pas Dieu comme un roi soucieux de sa gloire personnelle
plus que du bonheur des autres ; en colère parce que son honneur
a été offensé, éprouvant le besoin de ‘venger’ cet honneur outragé, le
besoin d’assouvir son courroux, de déverser sa colère sur les coupables
pour le plaisir de punir, de faire souffrir à leur tour ceux qui l’ont
contrarié, et acceptant finalement de frapper, non pas les coupables,
mais son Fils innocent parce qu’il est le représentant et le Chef responsable
de tout le genre humain. Non, le Christ, Chef de l’humanité, n’a pas à
‘expier’ à la place des coupables, mais il se doit de ‘réparer’ au nom
de ses frères, parce que ceux-ci ne sont pas capables de le faire dignement. » [10] De telles représentations caricaturales de
la doctrine traditionnelle sont courantes, car ils n’ont pas d’autres
arguments pour la rejeter.
Tout d’abord, s’il
est une notion très scripturaire, c’est bien celle de la « colère
de Dieu » ; fréquente dans l’ancien testament, notre Seigneur
Jésus Christ lui-même n’hésite pas à montrer le Royaume de Dieu semblable
à un roi en colère : « dans son courroux son maître le livra
aux tortionnaires, jusqu'à ce qu'il eût remboursé tout son dû » (Mat
18:34). Et St. Paul nous avertit : « Oh ! chose effroyable que
de tomber aux mains du Dieu vivant ! » (Heb. 10:31). « De Dieu
on ne se moque pas ! » (Gal. 6:7) Il est fort à craindre que
ceux qui se moquent de la Justice divine, en la caricaturant ainsi, n’aient
de graves comptes à rendre au « Tribunal du Christ » (2 Cor
5:10). Les Pères ont toujours expliqué que les expressions « colère,
courroux » signifient la Justice divine infligeant un juste châtiment
aux pécheurs tout en restant dans un calme parfait sans l’excitation de
la passion humaine.
Dieu est Juste, et
ne peut pas ne pas être Juste. Il ne sera ni Dieu, ni Bon, s’Il n’était
pas aussi Juste. Sa Justice est bonne, et réjouit les Saints du Ciel :
« Les préceptes de Yahvé sont droits, joie pour le cœur » (Ps
18:9). Nous touchons ici une grande différence entre l’enfer et le purgatoire :
en enfer les damnés aiment leur péchés et haïssent la Justice divine qui
les châtie justement, au Purgatoire les âmes en état de grâce haïssent
leur péchés passés et aiment la Justice divine qui les purifie. Aimer
la justice de Dieu et haïr le péché vont de pair. Si Dieu a choisi une
Rédemption qui satisfasse et sa Miséricorde et sa Justice, c’est sûrement
pour nous enseigner la haine du péché : on n’aime pas vraiment Dieu
si on ne hait pas le péché. En écartant résolument la Justice divine qui
exige un châtiment pour le péché, on n’enseigne plus aux fidèles à haïr
le péché. [11]
Remarquons ensuite
la différence entre expiation et réparation. La réparation est due au
dommage objectif causé par le péché ; l’expiation est due au caractère
volontaire du péché. Le péché est un mal volontaire, le pécheur a choisi
sa volonté contre la volonté de Dieu, il mérite de subir quelque chose
contre sa volonté, afin que l’ordre soit rétabli. Prenons un exemple :
une petite fille aide sa maman en essuyant la vaisselle, dans un moment
d’inattention elle laisse tomber une assiette qui vient de l’arrière-grand-mère ;
une autre tire les cheveux de sa petite sœur. Le dommage objectif dans
le premier cas est bien plus grand que dans le deuxième cas, l’assiette
ne peut être remplacée, mais le mal n’est pratiquement pas volontaire
étant commis dans un moment d’inadvertance ; le mal objectif dans
le deuxième cas est minime et est réparé en deux ou trois coups de peigne,
mais la volonté est bien plus mauvaise : la réparation qui devrait
être faite dans le premier cas est plus grande que dans le second, mais
le châtiment dû est plus grand dans le second cas que dans le premier.
(Remarquons ici que de bons parents et éducateurs doivent mesurer les
punitions bien plus au mal de faute dans les enfants qu’à la peine qu’ils
ont ressentie en eux-mêmes). Ne considérer que la réparation et rejeter
l’expiation, c’est mettre de côté l’élément volontaire du péché, c’est
ignorer la responsabilité de l’homme dans son péché, i.e. la culpabilité
au sens strict. C’est de fait une tendance que l’on retrouve dans les
tribunaux civils, où les criminels sont souvent excusés, considérés comme
malades, et rapidement libérés, et les victimes ignorées.
De plus, la réparation
du dommage se fait en soit par un acte bon, positif, elle n’exige pas
de souffrance. Seul le châtiment de la faute exige la souffrance (subir
quelque chose contre sa volonté). Dès qu’on exclut le châtiment,
on ne comprend plus pourquoi « il fallait que le Christ souffrit »
(Luc 24:46), et pourquoi Dieu permet tant de souffrance dans le monde.
Si Adam n’avait pas péché, il n’y aurait pas de souffrances dans le monde :
la souffrance et la mort sont la conséquence du péché, sont les châtiments
dus aux péchés des hommes. Le Christ a pris sur Lui le châtiment dû à
nos péchés : si l’on rejette cela, toute autre raison pour la souffrance
devient vide, inadéquate ; elle devient une sorte de fatalité. Le
même auteur nous dit : « [Jésus] nous a montré comment et jusqu’où
Dieu mérite d’être obéi et d’être aimé. Il le mérite toujours, même quand
sa volonté est terrible et fait peur à notre nature humaine. »
[12] C’est vrai, une fois admise la Justice de Dieu. Mais si l’on
a éliminé la Justice de Dieu selon laquelle la faute mérite le châtiment,
alors cette « volonté terrible » est extrêmement cruelle, de
faire souffrir sans aucune autre raison que de prouver jusqu’où il faut
Lui obéir ! Alors là les sarcasmes de l’auteur seraient bien plus
justifiés ! Non, si on rejette les exigences de la Justice divine
pour l’expiation du péché, alors toute souffrance perd sa vraie raison
d’être, et en premier lieu la Croix du Christ.
Enfin Dieu est infiniment
au dessus de ses créatures, et l’homme est et sera toujours une créature.
Dieu ne peut pas aimer comme fin dernière sa créature plus que sa Gloire.
Un roi doit vouloir le bien commun de son royaume plus que le bien particulier
de ses sujets pris individuellement. Or, comme le dit St. Thomas d’Aquin,
le bien commun de tout l’univers, c’est la Gloire de Dieu ! Donc
Dieu est nécessairement plus « soucieux de sa gloire que du bonheur
individuel de ses sujets » : pour Dieu, nous restons des moyens
en vue de sa Gloire. Cela ne diminue en rien son amour pour nous :
Il nous aime plus et mieux que nous nous aimons nous-mêmes, Il nous a
donné son Fils, Notre Seigneur Jésus Christ qui est mort pour nous sur
la Croix : Il nous a aimé jusque là ! Mais cet amour extra-ordinaire
ne fera jamais que notre bonheur passera avant la gloire de Dieu.
Si nous ne devons pas nous aimer pour nous-mêmes mais seulement pour Dieu,
si c’est un péché mortel pour nous de mettre notre fin dans la créature,
à combien plus forte raison Dieu ne peut pas nous aimer pour nous-mêmes
mais seulement pour Sa Gloire, et il en est bien ainsi. Pour qui se prend-il,
celui qui veut que Dieu l’aime pour lui-même ? Etre la fin dernière
de Dieu ? C’est notre joie de vivre pour Dieu, c’est la joie des
saints du Ciel d’être tout à Dieu, de L’admirer et de L’aimer plus que
tout. Vouloir que Dieu nous aime pour nous-même est un orgueil monstre :
« Dieu résiste aux orgueilleux et donne sa grâces aux humbles. »
Dans le prochain
numéro, nous verrons la Messe comme Sacrifice, vrai sommet de la vie chrétienne,
chemin et porte du Ciel !
Que Notre Dame de
Compassion, qui se tint au pied de la Croix et qui, plus que quiconque,
a compris les richesses insondables du Sacrifice de la Croix, nous obtienne
de toujours mieux connaître et aimer Notre Seigneur Jésus Christ crucifié
et de bien « compatir avec Lui afin d’être glorifié avec Lui »
(Rom 8:17).
Thèmes abordés dans
les prochains articles sur le Problème de la Réforme Liturgique
-
Le Sacrifice, acte suprême du culte. La Messe, l’Eglise en prière.
-
Perfection du Sacrifice du Nouveau Testament par rapport à l’Ancien Testament
(les sacrifices de l’Ancien testament n’étaient que figures du Sacrifice
du Christ, le Sacrifice de la Messe est la réalité même du Sacrifice du
Christ)
-
La Présence Réelle
-
L’efficacité ex opere operato des sacrements de la nouvelle Loi.
Cette liste n’est
pas exhaustive, elle aborde les principaux sujets de différence entre
la nouvelle théologie du Mystère Pascal et la théologie traditionnelle
de la Sainte Messe. "
[1] Lettre des cardinaux Ottaviani et Bacci, sept.
1969, citée par Louis Salleron, La Nouvelle Messe, p. 105.
[2] La Condamnation sauvage de Mgr. Lefebvre, p. 9.
[3] Le Crédo des Chrétiens, par Mgr. Kurt Koch,
évêque de Bâle, p. 48-49
[4] Par exemple, François-Xavier Durrwell, dans Christ,
notre Pâque, aux Editions Nouvelle Cité, mars 2001, passim
[5] Durwell, op. cit. p. 177
[6] Durrwell, op. cit. p. 87
[7] Conférence du Card. Ratzinger sur le Relativisme,
le 16 septembre 1996, Doc. Cat. N° 2151, p. 35
[8] Voir Bulletin St. Jean Eudes, mars 2001, p. 6
[9] Durrwell, op. cit. p. 118
[10] Charles Sauteur, La Rédemption, comment la
comprendre dans la logique de l’amour, chez Pierre Téqui, éditeur.
Cet auteur est par ailleurs relativement conservateur, car il croit
encore vraiment à la divinité du Christ, et a de beaux passages sur
l’obéissance du Christ et sur Marie Corrédemptrice. Mais on voit comment
les idées nouvelles ont corrompu même de tels prêtres. Il y aurait certes
beaucoup d’autres théologiens plus représentatifs de la « théologie
du Mystère Pascal », et nous aurons l’occasion d’en citer dans
les articles suivants. Ce passage a été choisi parce qu’il est typique,
et qu’il provient d’un auteur moins « avancé » que beaucoup
d’autres.
[11] Il faut noter que Paul VI a voulu que maints
versets des psaumes soient omis dans la récitation de la « prière
des heures » parce que ces versets étaient comminatoires :
or rien de tel pour fortifier dans l’amour du bien et de la vertu et
dans le combat contre les tentations que ces versets forts. Ainsi St.
Benoît cite dans le prologue de sa Règle un des versets supprimés :
« Seigneur, qui habitera dans votre tabernacle? Qui reposera sur
votre montagne sainte?… C’est celui qui, conseillé par l’esprit mauvais,
le repousse, lui et son conseil, loin des regards de son cœur, le met
à néant, saisi les premiers rejetons de la pensée diabolique et les
brise contre le Christ » (voir Ps. 136:9).
[12] Charles Sauteur , op. cit. p. 32
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