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Avril - Juin 2004, No. 19
 
En Fin De Compte, C`Est Contents Qu`On Conte
Un Conte Qui Compte

Prisonniers des Grottes Marines
Par Hugh Miller
Hugh Miller, un géologue et écrivain Écossais, est né à Cromarty,
sur la rive est de l`Écosse, le 10 octobre 1802, et mourut à Portobello, près d`Édimbourg, le 26 décembre 1856.

 

 
Hugh Miller

Un matin plaisant de printemps, je me tenais, en compagnie d`un petit compagnon aussi curieux que moi, sur la plage à l`opposé du promontoire oriental qui, par son austère mur de granite, empêchait tout accès aux merveilles du Doocot, et cela dix jours sur quatorze. Nous le voyions s`étirer de façon moqueuse dans les flots verts. Il nous était difficile de supporter notre désappointement, alors que les grottes étaient si près.

La marée commençait à baisser; et si nous voulions un passage à sec, nous devrions attendre au moins une semaine. À ces deux sources de motivation, il faut ajouter que ni l`un ni l`autre ne comprenions réellement le fonctionnement des marées printanières. J`étais assez certain d`avoir fait le tour du promontoire en eau peu profonde quelques jours plus tôt avec mes oncles. Nous en conclûmes que si nous arrivions à en faire le tour maintenant, nous aurions le plaisir d`attendre dans les grottes que la marée soit suffisamment basse pour nous découvrir un passage de retour.

Une espèce de tablette étroite et accidentée courait le long des flancs du promontoire, et il était possible d`y avancer lentement si on était pieds nus. Nous réussîmes à nous hisser jusqu`à elle puis, avançant en nous tenant des mains et des pieds, nous atteignîmes l`extrémité du promontoire. Lors de notre progression, le précipice devenait plus effrayant et l`eau devenait plus verte et plus profonde. Comme nous faisions le tour du promontoire et nous dirigions à nouveau vers la plage, l`eau devenait au contraire moins profonde et moins verte. Nous avançâmes jusqu`à ce que le sentier se trouve à surplomber d`une hauteur de dix pieds une plage de gravelle.

Fiers de notre succès, nous nous jetâmes en bas, et notre «atterrissage» sur la plage de fin gravier y provoqua une volée de cailloux. Pour au moins une semainebien que nous ne sachions pas encore l`étendue de notre chance à venir- les merveilles du Doocot pourraient être considérées exclusivement nôtres. Oui, pour une courte période de sept jours, avant que la nature ait fait son changement, «elles étaient à nous, et à aucun autre», pour emprunter les mots de Carlyle.

Les premières dix heures nous procurèrent un plaisir sans mélange. La plus grande des grottes se révéla pleine de merveilles, et nous en trouvâmes encore plus sur les pentes des falaises et sur les rochers de la plage à leur pied. Nous avons réussi, en rampant, à découvrir des buissons-nains qui sont la preuve de l`influence bienfaisante de la bruine marine. Il y avait aussi le chèvrefeuille d`un jaune pâle, que nous n`avions jamais pu voir en dehors des jardins ou des haies. Et sur une pente bien ombragée nous avons détecté l`odorant muguet des bois, avec ses délicates fleurs blanches et ses belles feuilles verticillées.

Nous trouvâmes aussi l`herbe au scorbut, avec ses minuscules fleurs cruciformes, que le Capitaine Cook utilisait lors de ses voyages. Elle était juste à l`entrée de la grotte la plus profonde, là où un petit ruisselet venait aboutir à partir du haut de la falaise. Mais par-dessus tout il y avait les grottes, avec leurs pigeons blancs, diaprés, et bleus, et avec leurs profondeurs mystérieuses et obscures, dans lesquelles les plantes devenaient pierres, et où l`eau se transformait en marbre.

En peu de temps nous avions détaché à l`aide de nos marteaux de pleines pochetées de stalactites et de mousse pétrifiée. Sur le côté d`une grotte il y avait de petits réservoirs où nous pouvions observer le processus d`agrégation des minéraux, comme lorsque au début des gelées d`octobre, quand le vent du Nord effleure à peine la surface de l`eau d`un étang de montagne ou d`un ruisseau paresseux, et qu`on peut voir les aiguilles de glace nouvellement formées qui brillent de la berge jusque dans l`eau. Il y avait des cas où c`était si rapide, qu`il nous semblait que les côtés solides d`un cône s`élevaient presque à mesure de la montée de l`eau en son centre. Les sources d`eau qui déferlaient par-dessus déposaient leurs minuscules cristaux sur les rebords, et les réservoirs devenaient plus profonds à mesure que leurs parois étaient ainsi édifiées par cet étrange procédé de maçonnerie.

La longue et télescopique perspective sur la mer bouillonnante, telle que vue du fond de la grotte alors que tout autour de nous était d`un noir d`encre; l`éclair soudain d`un goéland passant rapidement devant l`orifice de la grotte; la masse noire et lourde d`un épaulard qui, après avoir émis son jet d`eau, replongeait dans les profondeurs en nous montrant son dos luisant et sa queue; et même les pigeons, qui nous croisaient dans un sifflement de vitesse, à un moment à peine visible dans l`obscurité, et à un autre radieux dans la lumière; tous eurent pour nous un nouvel intérêt, à cause de l`environnement spécial d`où nous les observions. Tous devenaient en effet comme des miniatures dorées, encadrées de noir; et cela prit du temps avant que nous nous lassions d`en admirer le côté étrange et beau.

Toutefois il nous sembla quelque peu sinistre, et peut-être même surnaturel, qu`environ une heure après midi, alors qu`il y avait encore au moins deux mètres d`eau au front du promontoire, la marée cessa de baisser, et qu`un quart d`heure plus tard elle commença à remonter vers la plage. Mais croyant qu`il n`y avait là qu`une anomalie que la marée du soir ne manquerait pas de corriger, nous continuâmes à espérer et à nous amuser.

Les heures passèrent une à une, semblant plus longues à mesure que les ombres s`allongeaient, et la mer montait toujours. Le soleil avait plongé derrière les falaises, et tout devint obscur à leur pied, et doublement obscur dans leurs grottes; mais leur front accidenté continuait de capter la rouge brilliance du soir. Cette rougeur s`éleva de plus en plus, chassée par les ombres du bas, jusqu`à ce qu`après s`être attardée un moment sur les sommets garnis de chèvrefeuilles et de genévriers, elle disparaisse et tout devienne sombre et gris.

Le goéland, qui jusque là s`était laissé flotter à la crête des vaguelettes, battit des ailes et rejoignit lentement son logis de paille à l`abri de la haute-mer; le cormoran foncé le suivit d`un battement plus fréquent et plus ample, et alla nicher dans une embrasure de la falaise; les pigeons quittèrent leurs perchoirs et descendirent en un sifflement vers leurs grottes, dans l`obscurité desquelles ils disparurent; toute créature ayant des ailes en usait pour regagner son domicile à toute vitesse; mais ni mon compagnon ni moi n`en avions, et il n`y avait aucune possibilité de regagner la maison sans elles.

Nous fîmes des efforts désespérés pour escalader les précipices, et nous réussîmes à deux reprises à nous hisser jusqu`à des tablettes rocheuses à mi-pente, là où nichent les faucons et les corbeaux; mais, bien que nous ayions grimpé jusqu`à rendre notre retour presque impossible, il n`était absolument pas possible de monter plus haut. Les falaises n`avaient jamais été escaladées, et elles n`étaient pas destinées à l`être maintenant. C`est pourquoi, comme le soir devenait plus sombre, et que nos prises devenaient de plus en plus douteuses et précaires, il ne nous resta plus qu`à abandonner le combat sans espoir.

«Quant à moi cela ne me dérangerait pas,» me dit mon petit compagnon fondant en larmes, «s`il ne s`agissait pas de ma mère; qu`est-ce que ma mère va dire?» «Ça ne me ferait rien non plus» dis-je d`un cœur lourd; «allons, ce ne sont que des reflux marins, et nous pourrons nous en aller à minuit.» Nous retraitâmes ensemble dans une des grottes les moins profondes et les plus sèches, et nous nettoyâmes une partie des ses rudes rochers; puis nous cherchâmes à tâton de l`herbe sèche, car au printemps il y en a qui se blanchit en touffes épaisses parmi les rochers. Nous utilisâmes l`herbe pour nous faire un semblant de matelas, et nous nous couchâmes collés l`un contre l`autre pour nous réchauffer.

Depuis quelques heures des masses de nuages hautes comme des montagnes s`étaient élevées, sombres et menaçantes, devant la grotte béante. Elles s`étaient enflammées sinistrement dans le soleil couchant et, à mesure que le soir déclinait, elles avaient passé par toutes les teintes de la colère, du rouge féroce à un brun sombre et rempli de tonnerre, jusqu`à un noir funèbre; et bien que nous ne puissions plus les voir, nous pouvions néanmoins entendre ce qu`elles nous présageaient de sinistre.

Le vent se leva et commença à hurler lugubrement le long des précipices rocheux, et la mer, jusque là silencieuse, se mit à battre violemment contre le rivage, et à exploser comme des coups de canon de détresse à partir du fond des deux grottes sous-marines. Nous pouvions aussi entendre la pluie battante, tantôt lourdement, tantôt légèrement, selon que les coups de vent gagnaient ou perdaient en force; nous entendions aussi le ruisselet au-dessus de la plus grande des grottes tantôt projeté contre la falaise, tantôt se déversant avec force sur les pierres du bas.

Aux alentours de minuit le ciel s`éclaircit et le vent tomba, et la lune, alors dans son dernier quartier, se leva au-dessus de la mer, rouge telle une masse de fer rougi au feu. Nous rampâmes vers le bas, à travers les rochers et dans une lumière blafarde, afin de vérifier si la mer s`était suffisamment retirée pour nous livrer passage; mais nous vîmes les vagues battant contre les rochers, juste à l`endroit où se trouvait la limite de la marée douze heures plus tôt, et aussi deux bons mêtres d`eau ensérant la base du promontoire à son extrémité. La faible lueur d`une idée au sujet de notre situation réelle se fit jour dans mon esprit. Ce n`était pas seulement à un emprisonnement de courte durée que nous nous étions condamnés, mais nous serions prisonniers des grottes pendant toute une semaine.

Cette pensée n`avait rien de réconfortant, naissant comme cela au beau milieu des terreurs et du froid de la nuit; je scrutai donc la mer fixement, vu qu`elle m`apparaissait comme notre seule sortie de secours. À ce moment-là un vaisseau se fit voir, croisant le reflet de la lune sur la mer, à moins d`un demi-mille de la rive. Assisté de mon compagnon, je commençai à crier de toutes mes forces dans l`espoir d`être entendu des marins. Nous vîmes sa masse obscure passant lentement à travers la rouge traînée lumineuse qui l`avait rendue visible, puis disparaître à nouveau dans la noirceur épaisse; et juste au moment où nous la perdions de vue pour toujours, nous pûmes entendre un son indistinct se mêlant au bruit des vagues: C`était un cri de réponse de la vigie étonnée.

Le vaisseau, comme nous l`apprîmes par la suite, était une grosse barge lourdement chargée et n`ayant pas de chaloupe; de plus, son équipage n`était pas du tout sûr qu`il serait sécuritaire de s`occuper, à travers les rochers, de cette voix entendue au milieu de la nuit, même s`ils avaient disposé des moyens de se rendre au rivage. Nous attendîmes longtemps cependant, criant chacun à notre tour, et parfois ensemble, mais il n`y eut pas de seconde réponse; et à la fin, perdant espoir, nous retournâmes notre lit de misère, juste au moment où la marée devenait montante à nouveau, et où les vagues vinrent se dérouler de plus en plus haut sur la plage.

À mesure que la lune se levait et devenait plus brillante, mes pensées et mes craintes ne me troublèrent plus autant, et j`avais réussi à sombrer dans un sommeil aussi profond que celui de mon compagnon, lorsque nous fûmes tous deux réveillés par un fort cri. Nous nous levâmes et rampâmes vers le bas des rochers, et comme nous atteignîmes le rivage le cri se répéta. C`était celui d`au moins une douzaine de voix aiguës réunies. Il y eut une courte pause, suivie d`un autre cri; puis deux bateaux remplis d`hommes firent le tour de l`extrémité du promontoire, et le cri se renouvela une troisième fois. La ville entière avait été alarmée en recevant l`information selon laquelle deux petits garçons s`étaient éloignés au matin vers les rochers du Sutor sud, et qu`ils n`avaient pu revenir.

De temps immémorial les précipices étaient la scène de tragiques accidents, et il fut aussitôt conclu qu`un triste incident s`était ajouté au nombre. C`est vrai qu`on se rappelait certains cas où des personnes s`étaient retrouvées coincées à l`intérieur des grottes par les marées, sans toutefois en avoir vraiment souffert; mais comme au printemps les grottes étaient réputées inaccessibles même à marée basse, il fut dit que nous ne pouvions pas être à l`intérieur; et le seul espoir qui demeurait était que, comme cela était déjà arrivé, seul l`un de nous aurait péri, et que le survivant se terrait parmi les rochers, effrayé de retourner à la maison. C`est avec cette perspective que, lorsque la lune s`était levée et que la mer s`était calmée, les deux bateaux avaient pris la mer.

Ce fut tard le matin que nous atteignîmes Cromarty, mais une foule attendait notre arrivée sur la plage, et plusieurs lumières semblaient regarder anxieusement à travers les fenêtres des maisons. En fait l`intérêt suscité fut si grand, qu`un poème énormément mauvais, dans lequel l`auteur racontait notre mésaventure, devint quelques jours plus tard si populaire, qu`il fut copié et lu par l`élite de la ville lors du thé.

 

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