Les
Vrais Vivants, Les Saints
«Et
je vis, mais ce n`est plus moi qui vit, c`est le Christ qui vit en moi.»
(Gal. 2 :20)
La
Mère des Petites Sœurs de la Sainte-Famille
(1840-1912)
Par
M. Roger Zielke
Alodie-Virginie
Paradis est née le 12 mai 1840 au petit village de l`Acadie,
dans le comté de St-Jean au Québec. Elle était
la sixième de six enfants et, bien que son prénom de baptême
ait été Alodie, elle se faisait toujours appeler «Élodie».
Ses parents, mariés en 1837, étaient Joseph Paradis et
Émilie Grégoire. Ils étaient des Ca-tholiques solides
qui élevaient leurs enfants dans la crainte et l`amour de Dieu.
Élodie
hérita des belles qualités de sa mère, une femme
enjouée, pieuse, et charitable. Sa plus grande qualité
était qu`elle ne pouvait endurer de voir les autres souffrir
autour d`elle; elle n`était heureuse que lorsque tout le monde
était heureux. Élodie était aussi pieuse: Bien
que très jeune, elle aimait accompagner son grand-père
paternel à l`église. Elle l`y suivait, et elle priait
à ses côtés devant le tabernacle ou à l`autel
de Notre-Dame.
Lorsqu`elle eut
cinq ans, Élodie et sa famille déménagèrent
à St-Philippe, car m. Paradis avait besoin de plus d`argent pour
nourrir les siens. Le brave père de famille y loua un vieux moulin
situé sur les berges de la Rivière-à-la-Tortue.
Ceci lui permit de réaliser de meilleurs gains en sciant du bois,
moulant du grain, ou en cardant de la laine. Son épouse continua
sa vie de charité envers les autres, et il n`était pas
rare qu`elle nourrisse des clients venus de loin. C`est en observant
de tels actes de charité que la petite Élodie apprit à
être sensible aux besoins des autres.
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Élodie
vers l'âge
de quatre ans |
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Souvent durant
ces années difficiles, Émilie demandait à la petite
Élodie d`aller dans sa chambre pour y prier la Ste Vierge pour
les besoins pressants de la famille, ou pour y demander à St
Antoine de retrouver un objet perdu. Après un certain temps,
si personne n`avait pensé à la rappeler, elle s`écriait:
«Maman, avez-vous trouvé votre aiguille?»,
ou: «Avez-vous obtenu votre faveur?» Si la réponse
était non, Élodie continuait à prier; si c`était
oui, alors elle se précipitait au bas des escaliers.
Les deux parents
aimaient beaucoup Élodie, et ils durent faire un gros sacrifice
quand vint le temps de l`envoyer à l`école. L`école
la plus proche n`était qu`à un mille de chez eux, mais
mme Grégoire voulait que sa fille reçoive une meilleure
éducation au Pensionnat des Sœurs de Notre-Dame de Lapraire.
Quand Émilie ne pouvait aller y visiter sa fille, c`est m. Grégoire
lui-même qui s`y rendait. Il était très sensible
aux vœux d`Élodie quand il voyait qu`elle s`ennuyait de
la maison. Souvent il lui disait alors: «Tu vas revenir à
la maison ma petite Élodie; tu es si jeune, et ta mère
et tes petits frères te manquent terriblement!» Une
heure plus tard c`est avec une joie triomphante qu`il tendait Élodie
aux bras accueillants de sa maman. Dans ces occasions Émilie
se montrait toujours chaudement réceptive. Si l`épisode
survenait à l`heure du midi, Émilie donnait alors un bon
repas à sa petite fille, mais attention! Dès celui-ci
terminé, elle l`a ramenait elle-même au Collège.
Si la crise arrivait durant l`après-midi, Élodie se voyait
servir le souper avec les autres, puis couchait à la maison,
mais dès le lendemain sa mère la reconduisait au pensionnat.
Au bout d`un certain temps Élodie s`habitua à son nouvel
environnement et aima les Sœurs, si bien qu`elle ne souffrit plus
de ces crises de nostalgie.
En 1849, la famille
Paradis déménagea à Napierville chez m. Grégoire,
père d`Émilie. M. Paradis s`en alla en Californie, à
la recherche d`or, toujours dans le but de pourvoir aux besoins de sa
famille. Élodie fréquenta donc l`école de l`endroit,
et durant cette période elle fut préparée pour
recevoir sa Première Communion. Comme l`école était
trop éloignée de la maison du grand-père, Élodie
devait donc apporter avec elle un casse-croûte pour le repas de
midi. Quelques enfants un peu curieux découvrirent alors que
la petite fille donnait son repas à des enfants pauvres, puis
se rendait à l`église voisine pour y passer sa récréation
en prière. Mais le Curé intervint et lui donna l`ordre
de manger avec les autres.
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Émilie
Grégoire,mère d'Élodie |
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Joseph
Paradis, père d'Élodie |
Peu de temps après sa première Communion, Élodie
fut renvoyée par sa mère au collège de Laprairie,
car celle-ce ne voulait pas que sa fille devienne un garçon manqué,
vu qu`elle était entourée de cinq frères à
la maison. Au pensionnat Élodie fut éduquée par
des Religieuses très strictes qui s`assuraient que leurs élèves
croissaient non seulement en savoir, mais aussi en vertu et sainteté.
Élodie raconte elle-même un épisode significatif:
«Je n`aimais pas le fromage… Un jour je refusai de toucher
au morceau sur mon assiette. Au repas suivant, la Sœur en charge
du Réfectoire me fit manger ce fromage sur le plancher! Je puis
vous assurer que ce fut une bonne leçon, et qu`à partir
de ce moment je mangeai tout ce qu`on me servait.»
Comme l`absence
de m. Paradis se prolongeait, Émilie et ses enfants retournèrent
au village de St Philippe, au Rang de la Tortue. En juillet de la même
année (1852) elle se rendit en pèlerinage à l`église
Ste Anne à Varennes, pour y prier en faveur de son époux.
Elle emmena avec elle son fils le plus vieux ainsi qu`un ami de la famille
nommé Camille Lefebvre. Après leur visite du Sanctuaire,
les trois pèlerins épuisés allèrent à
une auberge pour s`y restaurer. Camille en profita pour lire le journal,
et il apprit que les Pères de Sainte-Croix, installés
au Québec depuis 1849, offraient des cours de philosophie et
de théologie à leur maison de Montréal. Ils permettaient
à ceux qui s`inscriraient à ces cours de suivre aussi
les classes offertes au Collège de St-Laurent. Camille y vit
la réponse de Ste Anne à ses prières, et il partit
quel-ques jours plus tard pour St-Laurent. Par la suite il allait devenir
Prêtre de Sainte-Croix. Ste Anne répondit aussi aux prières
de mme Paradis. Lors-qu`elle revint à la maison, elle y reçut
une lettre de son mari contenant un chèque d`une somme importante.
En janvier 1854
Camille Lefebvre retourna visiter sa mère et la famille Paradis.
Il décrivit à Élodie la vie des Sœurs de Ste
Croix de telle manière que la jeune fille demanda aussitôt
son admission au Couvent. Elle était attirée par cette
vie au service du Sacerdoce. Le 21 février 1854 Émilie
conduisit donc sa fille de treize ans et huit mois chez les Sœurs
de Ste-Croix. La jeune fille y fut reçue comme postulante, et
un an plus tard elle rece-vra son habit de religieuse et commen-cera
son noviciat. Elle s`appellera dé-sormais Sœur Marie-de-Ste-Léonie,
mais plusieurs l`appelleront «Sr Marie-Léonie»,
ou simplement «Sr Léonie». En 1856 la novice
est envoyée au Couvent de Ste-Scolastique pour y aider les Sœurs
enseignantes, car son jeune âge lui interdisait de prononcer ses
vœux. Elle y trouva comme Supérieure une bonne religieuse
qui avait été son «Ange Gardien» au
temps du Postulat. Cette sœur nous dit de notre jeune novice qu`«elle
était une âme énergique, capable de faire la volonté
de Dieu, avec un cœur noble et généreux.»
En 1857 Sr Léonie est de nouveau à St-Laurent pour y continuer
son noviciat prolongé. Mais elle devait y souffrir une grande
épreuve.
En effet son père,
revenu de Californie après huit ans d`absence, et travaillant
de nouveau à son moulin, trouvait la maison bien vide sans sa
petite Élodie. La trouvant trop jeune pour prononcer des vœux
religieux, il se détermina à la ramener à la maison,
de force s`il le fallait! Il se présenta donc dans ce but au
parloir du Couvent. En vain les Supérieures et Sr Ma-rie-Léonie
elle-même tentèrent-elles de le convaincre que la jeune
fille était parfaitement heureuse au Couvent. M. Paradis était
imperturbable dans sa décision de ramener sa fille mineure chez
lui. Toute en larmes, la Sr Léonie se précipita dans la
chapelle, et elle se jeta aux pieds de la statue de la Très Ste
Vierge en la suppliant avec larmes de la faire mourir plutôt que
de la laisser quitter le Couvent. À peine cette prière
fervente terminée, Élodie fut victime d`une hémorragie
pulmonaire et cracha le sang. Y voyant un signe du Ciel, et craignant
pour la santé de sa fille s`il mettait son projet à exécution,
m. Paradis décida de retourner seul à St-Philippe.
Les mois passèrent,
mais deux obstacles demeuraient qui risquaient d`entraver le désir
de Sr Marie-Léonie de faire sa Profession Religieuse: Sa jeunesse
bien sûr (elle avait à peine 17 ans), et sa santé
fragile. Les deux inquiétaient à juste titre les Supérieures.
En août 1857 le Rév. Père Basile Moreau, fondateur
des Pères, des Frères, et aussi des Sœurs de Sainte-Croix,
arriva de France pour une visite canonique des maisons de la Congrégation.
Durant sa visite à celle des Sœurs à St-Laurent,
une religieuse âgée suggéra à Sr Léonie
d`aller le voir: «Allez le voir en toute confiance. Notre
Père fondateur ne peut résister aux larmes!».
C`est ce que notre jeune novice fit et, après une heure durant
laquelle elle plaida sa cause à chaudes larmes, elle obtint du
Père Moreau de prononcer ses vœux en même temps que
deux de ses compagnes. Et le 22 août 1857, c`est le Père
lui-même qui présida la cérémonie. De ce
grand événement de sa vie Sr Léonie dira plus tard:
«Ni moi, ni beaucoup d`autres, ne pouvons décrire la
joie ressentie en une telle journée!»
En qualité
de jeune Professe de 17 ans, Sr Marie-Léonie fut assignée
non au service des Prêtres, mais au couvent de Varennes, là
où se trouvait le Sanctuaire de Ste Anne si cher au cœur
de sa mère. Elle y enseigna les jeunes classes et y supervisa
les pério-des d`étude, tout en étant secrétaire
de la sœur Supérieure. Lorsque souffrante, elle surveillait
les récréations des élèves. L`année
d`après elle enseigna à St-Laurent, et plus tard ce fut
à St-Martin qu`elle se dévoua.
En 1862 la Province
Américaine de la Congrégation des Sœurs de Sainte-Croix
accepta un travail assez compliqué à New-York. Il s`agissait
de s`y occuper d`un orphelinat, doublé d`une école gratuite
et d`un ouvroir, le tout destiné aux enfants pauvres. Or les
pauvres francophones étaient nombreux et dispersés dans
la grande ville. On fit appel aux Sœurs Canadiennes pour s`en occuper,
et Sr Marie-Léonie fit partie d`un groupe de sœurs qui quittèrent
le Québec dans ce but, tout en demeurant administrativement membres
de la Province Canadienne. Elle se dévoua à cette œuvre
durant huit ans.
Mais voici qu`en
1870, la Supérieure du Couvent de New-York fut déposée
et quitta la vie religieuse. Troublée, Sr Léonie retourna
à St-Laurent, où elle vécut deux mois de doutes
et d`agonie morale. Puis elle eut un espoir: Elle demanda son admission
parmi la Branche Américaine de la Congrégation. Elle en
obtint la permis-sion du Père Sorin, deuxième succes-seur
du Père Moreau. Sœur Marie-Léonie fut donc mandée
en Indiana, à l`humble village de Notre-Dame-du-Lac. Par la suite
elle fut envoyée à quelques milles de là pour enseigner
le français et les travaux d`aiguille aux jeunes filles de l`Académie
Sainte-Marie. Elle fut un si bon professeur et une si prudente conseillère
qu`elle fut élue trois années de suite au Chapitre de
sa Congrégation. Durant cette période elle pria intensément,
et elle plaida souvent avec larmes auprès du Père Sorin,
pour la réadmission au sein de la Congrégation de l`ancienne
Supérieure du Couvent de New-York, qui s`était repentie.
Il faudra six ans d`instances persévérantes pour que cette
requête soit finalement accordée par le Supé-rieur
Général. C`est aussi en 1870 que le père de Léonie
mourut; elle gardera toute sa vie en mémoire le grand amour que
son père lui portait, et toutes les fois où il l`a ramenait
du pensionnat à la maison. Mais la sainte religieuse savait que
Dieu avait Ses raisons pour lui enlever son cher papa, et elle se soumit
à la Volonté divine.
En 1874, le Père
Sorin nomma la Sr Marie-Léonie, alors agée de 34 ans,
au Couvent des Sœurs de Sainte-Croix de Memramcook au Nouveau-Brunswick.
Quelle ne fut pas la joie de notre amie lorsqu`elle y retrouva le Père
Camille Lefebvre, maintenant Provincial de la Congrégation pour
le Canada! Le Père Lefebvre était en outre fondateur et
Supérieur d`un collège pour les Acadiens francophones,
d`une paroisse attenante, et d`un Couvent de formation pour les Religieuses
de Sainte-Croix. Sœur Léonie, qui était venue de
l`Indiana avec une autre Sœur francophone, fut mise à la
tête de la Communauté composée de quatre Novices
anglophones venues quelques mois plus tôt de l`Indiana, et de
quel-ques postulantes acadiennes. Comme la fondation en était
à ses débuts, on y vivait dans la précarité
et la pauvreté. Les Sœurs résidaient en fait dans
la moitié de l`étage de l`ancien presbytère, alors
que l`autre moitié était occupée par l`infirmerie
des étudiants. Durant le jour leurs «quartiers»
leur servaient de salle de travail. Le soir venu on y plaçait
les paillasses à même le sol, à un pas de distance
les unes des autres en raison de l`exiguïté du local. Au
rez-de-chaussée se trouvaient la buanderie et la lingerie, ainsi
qu`une chambre convertie en chapelle. Le ré-fectoire, le parloir,
ainsi que la petite chambre-bureau de la Supérieure se trouvaient
dans une partie du nouveau presbytère. L`hiver 1874-75 fut une
période de labeur et de souffrance pour Sr Marie-Léonie.
Elle était maintenant responsable de la bonne marche de la communauté,
et de la sanctification de ces âmes, mais elle n`avait pas le
Père Sorin pour la conseiller! Avec beau-coup d`efforts et l`aide
de Dieu, elle réussit à accomplir sa mission. Les quatre
Postulantes acadiennes prirent l`habit des novices à la Fête
de St Joseph 1875.
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Le
Père Camille Lefebvre (1831-1895) |
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Mais Sœur
Léonie, absente du Québec depuis 1862, était maintenant
nostalgique. Elle alla voir le Père Lefebvre pour lui demander
la permission de se rendre à Montréal pour y acheter des
graines de fleurs. Cette demande fut d`abord refusée dans un
grand éclat de rire, et Léonie comprit la puérilité
de sa demande et changea de sujet. Mais le bon Père en avait
compris le motif profond. Délicat, il fit venir la Sœur
le lendemain: «Vous irez à Montréal; j`ai des
messages urgents à y faire parvenir; je suis heureux d`avoir
trouvé en vous quelqu`un qui pourra s`en charger.» Grâce
à ce voyage, le Couvent allait être entouré de belles
plates-bandes cet été-là. En septembre, comme les
postulantes acadiennes continuaient d`affluer, Sr Marie-Léonie
en emmena huit avec elle pour l`Indiana, et s`arrêta en chemin
à Montréal. Le Père Gastineau, Supérieur
du Collège Notre-Dame de Côte-des-Neiges (où le
Bx Frère André était alors portier), lui demanda
une de celles-ci pour l`aider à diriger un premier groupe d`Acadiennes
laissées là par le Père Lefebvre en juillet. L`idée
du Père Lefebvre avait été que ces postulantes
pauvres travailleraient au Collège pour payer leur voyage et
le trousseau qui leur permettrait de se rendre plus tard au Noviciat
de l`Indiana. Mais comme ces braves filles n`étaient pas encore
formées, leur travail et leur vie religieuse s`en ressentaient.
Le Père Gastineau supplia aussi la Sœur Marie-Léonie
d`aller voir Mgr Fabre, Archevêque de Montréal, et de lui
demander qu`il autorise les Sœurs de Sainte-Croix de l`Indiana
à envoyer de leurs membres à Montréal, pour y prendre
en charge les travaux domestiques du Collège Notre-Dame à
la place des postulantes Acadiennes non encore formées. Mais
le pieux Évêque ne voulait pas qu`il y eut compétition
entre les Sœurs de l`Indiana et celles de la Province Canadienne.
Ces dernières s`occupaient en effet d`un autre collège
de Sainte-Croix, celui de St-Laurent. Pris entre deux feux, il eut soudain
une inspiration: «Ma Sœur, pourquoi ne feriez-vous pas
une petite communauté pour le service des Collèges?»
La Sœur trouva l`idée excellente, et promit d`en parler
au Père Lefebvre. Puis elle continua sa route vers l`Indiana,
accompagnée de sept postulantes. Quel-ques semaines plus tard,
de retour à Memramcook, elle raconta toute l`histoire au Père,
mais celui-ci ne sembla pas y accorder d`importance.
Durant son deuxième
hiver en Acadie, Sr Marie-Léonie continua à porter son
attention sur la formation des jeunes filles qui lui étaient
confiées. En janvier 1876 les étudiants purent enfin prendre
possession d`un nouveau collège bâti en pierre grâce
aux efforts du vaillant Provincial. Les Sœurs déménagèrent
donc dans l`ancien collège, et purent avoir finalement une vie
religieuse régulière. Mais voilà qu`en juillet
le Père Lefebvre, au retour d`un Chapitre Provincial tenu à
Montréal, et qui avait traité de la nécessité
d`avoir des religieuses dédiées aux tâches ménagères
pour les Collèges de la Congrégation, se mit à
encourager Marie-Léonie à tenter une fondation d`«Auxiliaires».
Celle-ci se fera en deux endroits: les six jeunes filles qui se dévouent
déjà au Collège Notre-Dame de Côte-des-Neiges
continueront d`y travailler, mais en suivant un règlement dicté
par Sr Marie-Léonie. D`autre part cette dernière formerait
un autre groupe qui travaille-rait à un Ouvroir à Memramcook.
Un an plus tard, le 27 août 1877, quatorze jeunes Acadiennes terminaient
leur postulat et se réunissaient à Memram-cook pour y
prendre un uniforme spécial marquant l`union des cœurs et
du but du groupe, ainsi que les débuts de leur noviciat. Les
six du Collège Notre-Dame de Montréal y retournèrent
ensuite pour y continuer leur apostolat des travaux domestiques.
Mais dès
ses débuts, l`embryon d`institut fut en butte à bien des
contra-dictions. L`opinion publique disait qu`il s`agissait d`un Tiers-Ordre
de Ste-Croix fondé sans permission. Et à Montréal,
voilà que Mgr Fabre chan-geait d`avis et s`opposait à
la nouvelle Communauté. Il enjoignit aux «Petites Sœurs»
de quitter leur habit spécial, ou de quitter l`Institut de Ste-Croix!
Les Sœurs obéirent et portèrent désormais
au Collège une simple capeline indienne, et en ville une robe
et un voile noirs. Ces Sœurs vivaient dans un état de pauvreté
extrême, mais leur esprit de sacrifice et de mortification était
remarquable. L`hiver elles devaient parfois secouer leurs couvertures
le matin, pour y enlever la neige qui s`était introduite par
les fissures des murs! Sr Marie-Léonie, en plus de porter ses
propres croix, portait aussi en son cœur celles de ses filles.
À Me-mramcook, le corps professoral commença à
chercher la petite bête et à ac-cuser les «Auxiliaires»
d`être trop nombreuses, et de mettre en péril l`économie
du Collège St-Joseph: Le calice d`amertume de Sr Léonie
se remplissait peu à peu.
Cependant le travail
des Auxiliaires à Montréal fut si apprécié,
qu`une autre école de Ste-Croix, le Collège St Césaire
de Rouville, en réclama à Sr Léonie. C`est pourquoi
au printemps 1878 cette dernière se rendit sur place accompagnée
de six de ses «Petites Sœurs», et qu`elle
y demeura pendant six semaines, pour s`assurer qu`elles s`installeraient
de manière à s`acquitter au mieux de leurs nouvelles tâches
et de leur vie de prière. Elle donna aux religieuses des conférences
spirituelles, supervisa leurs exercices de communauté, et n`hésita
pas à se coiffer d`un chapeau de paille et à empoigner
une bêche pour travailler au jardin.
Cette nouvelle
expérience se déroula si bien que dès l`année
suivante des Auxiliaires allèrent s`implanter au Collège
de Ste-Croix de Farnham. Une Sœur invisible s`était cependant
rendue sur place pour accueillir les quatre «Petites Sœurs»:
Il s`agissait de Dame Pauvreté. Les Sœurs n`avaient en effet
qu`une pièce non chauffée pour se loger. Elles devaient
aller puiser l`eau à la rivière, même au plus froid
de l`hiver. C`est par de tels sacrifices sans gloire que la nouvelle
fondation allait s`édifier comme sur du roc.
Malgré
ces trois fondations d`Auxiliaires à l`extérieur de Memramcook,
les autorités ecclésiastiques étaient encore réticentes
à approuver officiellement la nouvelle communauté. Mgr
Sweeney, Évêque de St-Jean au Nouveau-Brunswick, suggéra
même à Sr Marie-Léonie de renoncer à vouloir
transformer ses Auxiliaires en Communauté particulière,
et de les affilier aux Sœurs de Ste Croix. Malgré trois
voyages en Indiana à cette fin, Sr Léonie n`obtint pas
les résultats voulus. Mais un Chapitre Général
de la Congrégation se tint en France au printemps 1880, et le
Père Sorin y défendit lui-même l`idée d`une
fondation distincte qui se mettrait cependant au service des Collèges
de Ste-Croix, et dont les religieuses malades ou âgées,
en échange de leur dévouement, seraient supportées
complètement par les dits Collèges. Le Père Lefebvre
fut ensuite autorisé à rédiger et publier le décret
d`érection de cette fondation. Ce qu`il fit en un document du
31 mai 1880, où il les plaçait sous le patronage de la
Ste Famille de Jésus, Marie, et Joseph, et où il indiquait
que leur nom serait celui de «Petites Sœurs de la Ste-Famille».
Sr Marie-Léonie gardera cependant son affiliation aux Sœurs
de Ste-Croix. C`est donc pour elle une grande douleur de voir que quatre
des cinq compagnes venues avec elle d`Indiana en 1874 décideront
d`y retourner en 1882. Notre amie n`en continuera pas moins d`envoyer
des recrues aux Sœurs de Sainte-Croix, tout en s`occupant de son
Ouvroir, où les jeunes Acadiennes affluaient. La Sœur devait
donc diriger deux communautés religieuses en même temps
et au même endroit!
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Mgr
Paul LaRocque, Évêque de Sherbrooke |
Et même du
côté des Auxiliaires des troubles allaient survenir bientôt.
En effet, en 1883 un début de sédition s`amorça
dans la communauté. Des Sœurs écrivirent au Père
Lefebvre pour lui parler des défauts de Mère Léonie
(manque d`ordre, de tact, etc…) et lui demander de la faire retourner
à son Couvent de l`Indiana, et de choisir une Supérieure
parmi les Petites Sœurs elles-mêmes. Quel coup lorsque le
bon Père montra cette lettre à Sr Marie-Léonie
qui venait juste de lui mentionner comment les membres de la Communauté,
y compris celles de Farnham, Notre-Dame, et St-Césaire, avaient
un bon esprit! Bien sûr le Père Lefebvre garda notre bonne
Sœur à Memram-cook, et remis «à l`ordre»
les Petites Sœurs concernées.
En 1886 il y eut
la fondation d`un quatrième couvent à Sorel, pour aider
un nouveau collège des Pères de Ste-Croix. Durant la même
année Émilie Grégoire, qui s`était remariée
après la mort de Joseph Paradis, se trouvait veuve à nouveau,
et demandait à sa fille la faveur d`être accueillie à
Memramcook en qualité de pensionnaire. On devine la joie de Sr
Marie-Léonie! Mais on sait que les joies humaines sont de courte
durée. En 1893 la mère de Sr Léonie mourut, affligeant
ainsi non seulement sa fille, mais aussi toutes les Petites Sœurs,
lesquelles en avaient fait comme leur seconde «maman».
La même année, Sr Marie-Léonie envoya des Petites
Sœurs dans l`État du Maine, pour y travailler dans un collège
des Pères Maristes.
En avril 1894
notre Sainte fut victime d`une bronchite compliquée d`ulcères.
Les médecins étaient impuissants, et la mort imminente.
Le Père Lefebvre promit que si la Sœur guérissait,
il allait conduire luimême un pèlerinage d`actions de grâces
au Sanc-tuaire de Notre Dame du Cap-de-la-Madeleine. Et Léonie
fut guérie! Dès le mois de juin, le Père Lefebvre,
accom-pagné de Sr Léonie et d`une autre Sœur, fit
le pèlerinage promis.
Le 26 janvier
1895, le Père visita le Couvent des Petites Sœurs à
Memramcook. Il alla à la Sacristie, et demanda: «C`est
demain la nouvelle Fête de la Sainte-Famille. Donnez-moi le Missel
d`autel, que j`y insère moi-même le nouveau texte de la
Fête. Je suis tellement heureux de pouvoir la célébrer
pour la première fois demain!» On peut deviner que
le lendemain le cœur du saint Prêtre était rempli
de joie, et que celle-ci fut partagée par les Petites Sœurs
de la Sainte-Famille! Mais cette joie ne dura qu`un instant, puisque
le soir même le bon Père Camille Lefebvre rendait le dernier
soupir. La Sainte Famille était venue chercher celui qui durant
sa vie avait tant fait pour la petite communauté qui était
placée sous leur protection. Mais celle-ci n`avait plus de protecteur
icibas.
Le 24 juin 1895,
S.E. Mgr La-Rocque, Évêque de Sherbrooke au Québec,
eut un entretien avec Sr Marie-Léonie à Memramcook. Il
désirait vivement accueillir un groupe de Petites Sœurs
dans sa ville épiscopale, afin qu`elles prennent charge des travaux
domestiques de l`évêché et du Séminaire St-Charles.
Il voulait même que notre amie transférât sa Maison-Mère
et son noviciat de Memramcook à Sherbrooke! Il lui promit de
donner à la jeune congrégation l`approbation cano-nique.
Notre amie, ayant reçu les autorisations nécessaires des
Pères de Ste-Croix et de l`Évêque de St-Jean, accepta
et un peu plus tard elle reçut une let-tre du digne Évêque
disant: «J`espère que vous aimerez ma chère
ville de Sherbrooke, et que vos Sœurs n`y seront pas malheureuses.
Elles n`y trouveront pas la richesse; l`Évêque luimême
est pauvre, car il dirige un diocèse dont plusieurs paroisses
ne sont en fait que des missions…». Au mois d`août
de la même année, la communauté des Petites Sœurs
comptait déjà 90 membres, en comptant les quatre Sœurs
que Léonie envoya à Sherbrooke pour travailler au Palais
épiscopal. À cause de la maladie, ce ne fut cependant
que le 5 octobre que cette dernière put déménager
à Sherbrooke, accompagnée d`une Sœur professe et
de quatre postulantes, pour s`y occuper du nouveau Noviciat. Elle ne
le fit pas sans ressentir un déchirement au cœur, car elle
était vraiment attachée aux Sœurs de Memramcook,
et c`était réciproque. Le Supérieur du séminaire
St Charles leur céda temporairement une maison peu distante de
l`évêché.
Le 24 janvier
1896 Sr Léonie, en visite à Memramcook, y reçut
un télégramme: «Rév. Mère Léonie.
Lettre Pastorale autorisant établissement canonique de Communauté.
Signature. Date: Fête de Ste-Famille. Rendez grâces à
Dieu. Paul, Évêque de Sherbrooke.» Maintenant
Sr Léonie, qui avait été pendant si longtemps la
mère spirituelle des filles du nouvel institut, devenait canoniquement
MÈRE Marie-Léonie. C`est donc avec une grande joie que
deux jours plus tard fut célébrée la Fête
de la Sainte Famille dans toutes les maisons de la nouvelle Congrégation!
Au mois d`août il y eut un de nouveau essaimage: un groupe alla
travailler au Collège de Lévis, et un autre au Juniorat
du Sacré-Cœur à Ottawa. En septembre les Sœurs
de Sherbrooke purent emménager dans leur propre bâtiment
à Sherbrooke, près du Séminaire.
Au fil des ans
le nombre des Petites Sœurs ne cessa de croître, et en 1904,
elles étaient déjà au nombre de 400! Dieu bénissait
leu humilité et leur dévouement au service des Prêtres.
Le 7 octobre de cette année-là, pour obéir au désir
de Mgr LaRocque, Mère Marie-Léonie quitta la Congrégation
des Sœurs de Sainte-Croix, et revêtit l`habit des Petites
Sœurs. Ce lui fut un grand sacrifice de quitter l`habit qu`elle
avait porté pendant près de cinquante ans!
Bien qu`elle continuât
son tourbillon de travaux et de voyages, Mère Marie-Léonie
vieillissait quand même. Elle écrivait en 1911: «Je
me rends compte que j`ai beaucoup vieilli. Je perds la mémoire,
l`ouïe, la vue. Ma main tremble quand j`écris.» Malgré
cela, elle établissait elle-même en mars 1912 une nouvelle
mission de Petites Sœurs à l`Oratoire St-Joseph de Montréal.
Ce devait cependant être sa dernière fondation.
Le 3 mai 1912,
elle entendit la messe et déjeuna avec la communauté de
la Maison-Mère. Plus tard elle fit quelques corrections à
la Règle et dit son chapelet avec la communauté. Après
le souper elle remonta à son bureau accompagnée de deux
Sœurs secrétaires. Mais, se sentant fatiguée, elle
décida de s`étendre un peu. Soudain elle devint toute
pâle; un médecin et un prêtre furent appelés,
mais elle expira doucement en recevant le Sacrement de l`Extrème-Onction.
Elle avait vécu 72 ans sur cette terre, nous laissant un exemple
de sainteté vécue au quotidien dans une vie apparemment
banale, mais pleine de mérites et de fruits. Elle a été
béatifiée par Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II
le 11 septembre 1984, lors de son voyage à Montréal.
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La
Bse Marie-Léonie Paradis
à 64 ans |
Mère Marie-Léonie
se résignait toujours à la Volonté de Dieu. Elle
écrivait: «Quand je reçois une nouvelle qui
m`attriste, je me dis que Dieu permet cela, qu`Il est en train de me
donner une petite tape. Sans cela, comme une mère est fière
de ses enfants, je deviendrais trop fière des vertus de mes Sœurs.»
Elle voyait la main de Dieu non seulement dans les évènements,
mais aussi dans sa Création: une fleur, un oiseau, un paysage,
et même les terribles tempêtes hivernales, lui rappelaient
et lui faisaient louer notre bon Père du Ciel. Elle avait aussi
une grande dévotion au Très Saint Sacrement, et rendait
tous les jours de fréquentes visites au Pain de Vie du Tabernacle.
Très dévouée à Notre-Dame des Douleurs,
et à Notre-Dame du Rosaire, elle demanda à ses Petites
Sœurs de dire des Ave Maria dans leurs allées et venues,
et elle les inscrivit toutes dans l`Archiconfrérie de Notre-Dame
du Rosaire. De Saint Joseph elle dira: «J`ai commencé
mon travail les mains vides, comptant seulement sur la Providence et
Saint Joseph. Ce bon Saint, tout comme Marie et Jésus, peut être
qualifié de support et de protecteur de cette entreprise.»
Terminons notre portrait par ces paroles qu`elle nous laisse en
héritage: «Travaillons… tant que nous sommes
sur la terre, car c`est ce que Dieu attend de nous. Nous ne pouvons
Lui offrir de meilleure prière que notre dévouement à
l`ouvrage. Nous nous reposerons tous au Ciel.»