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Janvier - Mars 2004, No. 18
 
Les Vrais Vivants, Les Saints
«Et je vis, mais ce n`est plus moi qui vit, c`est le Christ qui vit en moi.» (Gal. 2 :20)

À Montréal, l`Homme des Miracles
Le Bx Frère André Bessette
(1845-1937)

Par M. Roger Zielke


Roger Zielke

 

Le Frère André, comme on l`appelait au Québec, avait une très grande dévotion à st Joseph, Patron de l`Église Universelle. Comme st Joseph, il connut lui aussi la souffrance, la pauvreté, le dur travail, et il se confia toujours à la Divine Providence. Personne, en le voyant, n`aurait pu imaginer que ce frêle religieux pourrait entreprendre la tâche colossale de construire sur le Mont-Royal la plus grande Basilique dédiée à st Joseph dans le monde entier, mais c`est ce qu`il fit, et le fondement de l`Oratoire est fait de plus de prières que de pierres, car il en a fallu des sacrifices et des prières de la part du bon Frère et de ses amis pour ajouter ce joyau à la couronne de st-Joseph.

Prénommé Alfred dans sa jeunesse, le Frère André est né à St Grégoire d`Iberville, le 9 août 1845 de l`union d`Isaac et Clotilde Bessette, le huitième de leurs douze enfants, et toute cette famille vivait dans une petite maison d`une seule pièce. Ses deux parents étaient très pieux et travaillants: Isaac était menuisier et charron, et sa mère était ménagère. Étant pauvres, ils n`avaient souvent que du pain de seigle à manger, mais leur amour mutuel, ancré sur celui du bon Dieu, faisait que ça ne les empêchait pas d`être heureux. Un an après la naissance d`Alfred, la famille déménagea à Farnham pour que m. Bessette puisse avoir plus d`ouvrage.

Alfred fut de naissance affligé d`un problème d`estomac qui l`empêchait de manger la plupart des aliments. Cette infirmité le rendit plus fragile que ses frères et, bien qu`il désirait ardemment suivre son père et ses frères quand ils allaient bûcher, il était toujours trop malade pour ce faire. Clotilde avait toujours une place spéciale dans son cœur pour Alfred, et elle s`efforçait de lui préparer des mets qu`il pouvait digérer.

Mme Bessette était de nature enjouée, un beau sourire illuminant toujours son visage. Mais un jour de février 1851, elle fut incapable de sourire. En effet elle eut le cœur brisé lorsque des voisins se présentèrent ce jour-là à sa porte pour lui annoncer que son mari était mort écrasé sous un arbre qu`il venait d`abattre! Bien que glacée par la douleur, elle ne se laissa pas décourager, enterra son défunt mari le lendemain, et retroussa ses manches. À force de travail elle réussit à garder ses enfants près d`elle, mais l`effort était trop grand pour que cela dure, et au bout de quatre ans elle contracta la tuberculose. Obligée de répartir ses enfants parmi les familles de la parenté, elle garda néanmoins le petit Alfred à ses côtés. Tous deux déménagèrent chez Marie, la sœur de Clotilde, et chez son mari Timothée Nadeau, qui vivaient alors à St-Césaire, un village voisin. Clotilde combattit vaillamment la terrible maladie pendant deux ans mais, se sentant près de la fin, elle fit venir tous ses enfants à son chevet, et elle les consola en leur disant : «Mes chers enfants, voici que votre cher père nous  a quitté il y a  six ans pour se rendre au Ciel. Le bon Dieu désire maintenant que je vous quitte à mon tour. Priez pour moi. N`oubliez pas la tombe de votre père. Enterrez-moi à ses côtés au cimetière de Farnham. Je veillerai sur vous du haut du Ciel.» Le dix novembre 1857, elle mourut à l`âge de quarante-trois ans.

 

Première Communion - 1857

Profession Religieuse - 1872


 Monsieur Nadeau n`étant pas riche, il encouragea Alfred, alors âgé de douze ans, à gagner son pain quotidien. Il s`arrangea pour que le garçon devienne apprenti auprès d`un cordonnier, mais cela se révéla impossible car Alfred souffrait trop de l`estomac pour pouvoir passer ses journées penché au-dessus de pièces de cuir, pour les couper, et les fixer à grands coups de marteau. Cela provoquait des crises aiguës de son mal. C`est durant cette période de douloureux apprentissage qu`Alfred fut préparé à sa première communion par le Curé André Provençal et, lors du grand jour, il décida d`imiter St Joseph pour le restant de sa vie.

Malgré sa maladie, Alfred n`hésitait pas à faire pénitence: Il portait souvent une ceinture de cuir bardée de fer, ou une chaîne de fer, ou un autre instrument de pénitence autour de la taille. En plus il dormait sur la dure, à même le plancher! Une autre partie de ses pénitences, et peut-être la plus méritoire, lui venait de ses cousins qui rejetaient sur lui la responsabilité de leurs mauvais coups. De nature très sensible, il arrivait alors souvent qu`Alfred pleurât lorsqu`il se retrouvait seul.

En avril 1860, Timothée Nadeau se joignit aux centaines d`autres Canadiens qui se lancèrent à la conquête de l`or californien. À cette époque les gouvernements se montrèrent incapables de favoriser le développement de l`agriculture au pays, et ceci était particulièrement criant au Québec, où il y eut une véritable émigration vers les États-Unis.

M. Nadeau avait établi sa famille à Farnham avant de partir pour son périple. Alfred devint quant à lui garçon de ferme chez les Ouimet, près de St-Césaire. C`était un garçon jovial et travaillant, et il se plaisait à occuper ses temps libres par des exercices de dévotion, et parmi ceux-ci il développa l`habitude de converser avec st Joseph, ce qui augmenta en lui son amour pour ce saint, ainsi que son désir de l`imiter. En ce grand saint il trouva un modèle idéal à suivre ainsi qu`un ami pour le guider dans la voie de la sainteté. Après avoir passé un an chez les Ouimet, Alfred s`essaya à d`autres métiers pendant une période qui dura trois ans. Malgré ses efforts et son ardent désir de devenir boulanger, puis forgeron, il n`était pas assez solide pour ces durs métiers, et dut les abandonner.

Il se décida donc, à l`âge de 18 ans, à joindre la troupe grandissante des jeunes Canadiens-Français qui s`expatriaient aux États-Unis pour y trouver des conditions plus décentes de vie. Or, en 1863, ce pays était en pleine guerre civile, et les manufactures manquaient de bras. Les jeunes Québécois y étaient donc bien accueillis, et rétribués par des gages bien plus élevés que ceux auxquels ils étaient accoutumés chez eux. Alfred se retrouva donc au Connecticut, où il travailla dans les usines de plusieurs villes. À cause de sa santé, il devait de temps à autre quitter ces dernières pour aller travailler au grand air dans des fermes.

En 1867, Alfred revint à St-Césaire au Québec, avec en poche la connaissance de l`anglais, ce qui dans le futur allait se révéler très utile. C`est à cet endroit que le Curé Provençal le mit en contact avec les Frères de Sainte-Croix, qui y dirigeaient une école commerciale. Cette Congrégation avait été fondée en France par Basile Moreau, et celui-ci était venu en 1847 au Canada pour y restaurer un système d`éducation francophone et catholique, lequel avait été détruit par les Protestants, après leur conquête du Canada en 1763. En fait les Britanniques avaient déjà pris quelques mesures en 1824 et 1841 pour satisfaire les Canadiens Français, car ils craignaient que ceux-ci ne se laissent séduire par des promesses américaines, et ne les joignent pour bouter l`Anglais hors de Nouvelle-France. Donc le français fut reconnu comme une langue officielle, la culture française eut droit de cité, la persécution directe contre le Catholicisme cessa. Mais pour que les Canadiens puissent s`identifier au nouveau pays créé par la Conquête, il fallait les faire participer à la vie publique, et pour cela il fallait leur permettre à nouveau de recevoir une éducation dans leur langue natale. C`est ce qui explique les autorisations données aux ordres religieux d`ouvrir des écoles au Québec. Le dévouement et l`abnégation dont les âmes consacrées ont fait preuve dans leur rôle d`éducateurs, fut la cause de cette vénération dont ils furent l`objet de la part de nos bons Canadiens jusqu`à récemment.

Le Curé Provençal était convaincu de la vocation d`Alfred, et lui parla en ce sens; mais notre pauvre ami se récusa aussitôt, invoquant son incapacité à lire ou à écrire.  Le bon Curé lui répondit: «Ce n`est pas une raison. Il y a des Frères qui n`ont pas besoin des ces choses: ils se dévouent aux tâches matérielles. Jeune homme, vous n`avez pas besoin de savoir lire ou écrire, pour savoir prier!» Durant deux ans, à cause de sa faible santé, Alfred hésita à demander son admission chez les Frères de Sainte-Croix. Mais sur l`encouragement du Curé, Alfred fit son entrée au Noviciat des Frères à Montréal, en remettant au Supérieur une lettre cachetée par l`abbé Provençal, qui y disait: «Je vous envoie un saint!»

Après quelques semaines Alfred reçut l`habit religieux des Frères de Sainte-Croix, et prit le nom de Frère André, en l`honneur de son ami et protecteur le Curé André Provençal. Au bout d`un an le Père Guy, Maître des Novices, apprit au Frère André qu`à cause de sa mauvaise santé, il avait peu de chances d`être admis aux vœux, et de demeurer Religieux. Mais le bon Dieu n`avait pas dit son dernier mot : Mgr Bourget, Évêque de Montréal, vint visiter le Noviciat quelques jours plus tard, et le Frère André plaida auprès de lui sa propre cause. «S`il vous plaît, Excellence, aidez-moi. Je désire tellement devenir Frère.» Le bon Évêque, le regarda avec gentillesse et lui dit: «Ne craignez point mon cher fils, vous serez admis à faire votre Profession Religieuse.» De son côté, le Père Guy plaidait la cause du Frère André auprès de ses confrères: «Si ce jeune homme devient incapable de travailler, il pourra au moins prier. Chers confrères, notre vocation n`est-elle pas d`enseigner aux gens comment prier? Cet homme le leur montrera par son exemple!». Et c`est le 22 août 1872 que la promesse de Mgr Bourget se trouva vérifiée, et que notre ami Alfred Bessette fut admis à prononcer les vœux perpétuels de pauvreté, chasteté, et obéissance, qui allaient faire de lui jusqu`à sa mort le «Frère André».

La chapelle orginelle
et son fondateur


Son noviciat étant terminé, on lui donna le travail de Portier du Collège de Mont-Royal, poste qu`il allait occuper pendant quarante ans. Convaincu qu`il devait à l`intercession de saint Joseph  de se trouver nommé au Mont-Royal, le Frère André résolut d`y honorer son saint favori d`une manière spéciale. Désirant y bâtir un sanctuaire en son honneur, il alla y planter une médaille de st Joseph. Il était loin de savoir que ce faisant, il allait aider à la réalisation de la prophétie du saint Curé d`Ars faite à Basile Moreau des années auparavant: «Cette Congrégation de la Sainte-Croix, après beaucoup d`épreuves, fera de grands travaux!»

En tant que Portier,  le Frère se devait de répondre à la sonnerie de l`entrée, et d`avertir les Religieux et les étudiants quand ils recevaient de la visite au Parloir. Il devait de plus réveiller les Religieux à 05:00 le matin, et sonner la cloche marquant les divers exercices de la journée. De plus il devait veiller à maintenir le parloir et les corridors en état de propreté immaculée, sans oublier la distribution du courrier ni les courses en carriole pour aller porter le linge des pensionnaires à laver chez leurs parents respectifs. Mais ce n`est pas tout: Notre bon Frère était aussi le barbier des élèves, et le Sacristain des Prêtres! Bref, une vie bien remplie!

Bien qu`il continuât à souffrir de cruels maux d`estomac, ce qui limitait sa nourriture à du pain trempé dans du lait, le bon Frère accomplissait son devoir d`état le mieux possible, tout en priant constamment, et il se confiait à la Providence pour le reste. Après les prières du matin et la méditation, le Fère assistait à la Messe près de l`entrée de la chapelle, de façon à pouvoir entendre la sonnerie de la porte du collège. Il avait coutume de prier longtemps après que la communauté se soit retirée pour la nuit. S`endormait-il à genoux, il reprenait ses prières dès qu`il se réveillait. Suite à un incident où le Frère avait entendu des bruits suspects durant la nuit, un confrère décida qu`à l`avenir la porte intérieure de la chapelle serait verrouillée elle aussi pour la nuit. Quelle ne fut pas un soir sa surprise de voir le Frère André pénétrer dans la chapelle en ouvrant la porte sans clef, comme si de rien n`était!

Le Frère aimait aussi aller prier sur la montagne faisant face au collège. Un soir qu`il s`y était rendu avec un élève, et qu`ils s`étaient agenouillés dans une clairière, le Frère confia à son jeune compagnon: «J`ai enfoui ici une médaille de saint Joseph. Prions pour que nous puissions un jour acheter ce terrain.» Ils revinrent souvent prier à cet endroit, et un jour le Frère dit: «Nous obtiendrons ce coin de terre, st Joseph en a besoin!» Un jour que le Frère Albéric, Économe, demandait au Frère André pourquoi, malgré le soin qu`il mettait à ranger son bureau, il retrouvait toujours sa statue de st Joseph tournée vers la montagne quand venait le matin, celui-ci répondit: «C`est parce qu`il veut y être honoré!» Il faut savoir que la situation à ce regard était loin d`être encourageante: En effet le propriétaire de cette partie de la montagne était un vieil égoïste qui souvent n`hésitait pas à lâcher ses chiens contre les Novices qui aimaient à s`y promener durant leurs récréations. Or les autorités du Collège avaient proposé à quelques reprises au vieux grigou de lui acheter sa terre, car elles craignaient d`y voir se construire un centre de villégiature, ce qui aurait troublé profondément la vie du collège. Mais le prix demandé était exorbitant, et ce fut un particulier qui acheta le lot, et celui-ci ne voulut rien entendre des offres subséquentes des Pères de Ste-Croix. Le Frère Albéric décida alors d`enterrer une médaille de st Joseph, comme le Frère André l`avait fait quelques années auparavant. Finalement, le 20 juillet 1896, les Pères purent acheter la propriété convoitée.

Le Frère André était toujours disposé à aider les autres. Les élèves et leurs parents n`hésitaient pas à se confier à lui et à se recommander à ses prières. Bientôt, de plus en plus de gens en vinrent à réaliser que celles-ci étaient très efficaces. Au cours de son périple quotidien vers le bureau de Poste, le Frère s`arrêtait souvent en chemin pour visiter les malades, et il leur donnait de l`huile ayant brûlé devant la statue de saint Joseph située dans la chapelle du collège. Avant peu, les malades se mirent à répandre une rumeur: le Frère André était un saint! Dieu lui avait accordé le pouvoir de guérir! Comme le Frère continuait ses visites aux malades, il eut l`occasion d`en préparer plusieurs à faire une bonne mort, et les gens du quartier en vinrent à lui demander de s`occuper aussi de préparer les morts pour les funérailles. Un jour il arriva qu`après avoir rendu ce service à un homme décédé quelques heures plus tôt, le Frère se retira dans sa chambre pour y prier après sa journée bien chargée. Il entendit soudain un épouvantable fracas de vaisselle brisée dans le réfectoire voisin. Accouru précipitamment sur les lieux, quelle ne fut pas la surprise de notre ami de constater que tout y était en ordre! Cet incident surprenant se renouvela souvent au fil des jours, et parfois le Frère apercevait un énorme chat noir dans le réfectoire qui causait lui aussi des bruits effrayants avant de disparaître. Le bon Frère déclara à un témoin éberlué: «Je comprends maintenant qu`il s`agit du Démon qui veut me faire peur et me déranger, à cause des œuvres de charité que je fais.»

La dévotion de notre ami envers st Joseph augmentait pour ainsi dire quotidiennement. Un certain jour le Frère Albéric, qui s`était blessé à la jambe et était immobilisé dans sa chambre depuis un mois, se désespérait de ne pouvoir se rendre aux cérémonies en l`honneur de st Joseph au jour de sa fête patronale. Il fit une neuvaine au grand saint avec le Frère André, et bien que la veille son état ne s`était pas amélioré, le 19 mars il put se rendre avec joie à la chapelle! Une autre fois, il advint qu`un jeune élève se trouvait confiné au lit depuis plusieurs jours en raison d`une fièvre maligne. Lors d`une récréation, le Frère se rendit à l`infirmerie, et dit au jeune malade: «Lève-toi, petit paresseux! Tu es en parfaite santé. Va-t-en jouer dehors avec les autres!» Le garçon commença par hésiter, mais se sentant effectivement mieux il alla rejoindre ses camarades. Le Frère fut réprimandé par le médecin du collège pour  ce geste «imprudent», mais quand celui-ci examina le garçon, il fut bien obligé d`admettre que l`enfant était effectivement guéri!

Quelque temps après, une épidémie de variole atteignit le collège, et l`infirmerie de l`ancien Noviciat se trouvait remplie de patients, tant Religieux qu`étudiants. Quelques-uns moururent, malgré les soins assidus prodigués par le Supérieur du collège, et par le Frère André. À un certain point, notre ami pria st Joseph de faire cesser l`épidémie. Dès ce moment plus personne ne fut atteint, et les malades se trouvèrent subitement guéris!

Il serait impossible de calculer exactement combien de guérisons le bon Frère obtint par ses prières. Des mourants recouvraient la santé, des cas «désespérés» étaient guéris, des jambes et des bras infirmes devenaient normaux comme par un jeu d`enfant. Parfois la cure était instantanée: «Lève-toi et marche!», mais cela pouvait aussi prendre du temps et de la persévérance, des prières et des neuvaines. Il arrivait que la guérison ne soit que partielle, mais alors le Frère donnait un avertissement: «Continuez de prier, si vous ne voulez pas perdre ce que vous avez gagné!» Un seul mot du Frère était parfois suffisant pour obtenir la guérison complète d`un malade vivant au loin! La recette du Frère était invariable: «Ayez confiance en st Joseph! Frottez la partie malsaine avec une médaille ou de l`huile de st Joseph.» Il allait parfois jusqu`à frotter lui-même la partie malade, et il y avait alors une guérison instantanée.

On comprend que la nouvelle du pouvoir de thaumaturge du bon Frère ne mit pas longtemps à  se répandre dans Montréal. De plus en plus de gens, certains souffrant même de maladies contagieuses, se massaient littéralement dans le parloir du collège, pour être reçus par le Frère. Ils en arrivèrent même à envahir les corridors. Mais cela ne plaisait pas aux parents d`élèves, car ils craignaient que leurs garçons n`attrapent quelque maladie infectieuse. La foule des visiteurs en vint à troubler réellement la vie de l`institution; il fallait prendre des mesures pour que tout rentre dans l`ordre. Les supérieurs ordonnèrent donc au Frère de cesser de recevoir les malades. Notre ami obéit, mais pas les malades, qui continuèrent d`affluer en masse. Les supérieurs trouvèrent un compromis: Le Frère André se devrait à l`avenir de recevoir ses malades à la station de tramway de l`autre côté de la rue. Mais ceci eut pour effet que les passagers du tramway se plaignirent du danger constitué par la présence des malades, spécialement durant l`hiver quand ils se réunissaient à l`intérieur. De plus, les malades qui ne savaient rien de la nouvelle disposition, continuaient de se rendre au collège. Les supérieurs, de même que les autorités diocésaines étaient très mal à l`aise devant la situation. Mgr Bruchési, Archevêque de Montréal, se fit mettre au courant par le Provincial de la Congrégation de Sainte-Croix. Apprenant que le Frère André s`était toujours montré obéissant, il dit au Provincial: «Alors laissez le faire. Si son œuvre est de Dieu elle continuera, sinon elle s`effondrera d`elle-même.»

La statue de saint Joseph  
La statue de saint Joseph, dans la crypte, accueille les pèlerins depuis 1917. C'est une oeuvre de stlye classique taillée dans le marbre de Carrare par le sculpteur italien A. Giacomini.

 

Vers la même période, les Supérieurs avaient autorisé le bon Frère à mettre de côté l`argent reçu des élèves à qui il coupait les cheveux, et celui donné comme aumône par les fidèles, de façon à réunir une somme suffisante pour l`érection d`un petit sanctuaire à st Joseph. Ils lui avaient aussi permis de placer sur la montagne une petite niche abritant une statue du saint. À l`été de 1904 le Frère avait économisé $200.00, et il obtint la permission de bâtir un petit oratoire à flanc de montagne. Le Portier, maintenant âgé de soixante ans, se mit hardiment à l`ouvrage. Il fallut d`abord ouvrir une voie d`accès et acheter les matériaux de base. Les $200.00 ne durèrent pas longtemps, mais de nombreux bienfaiteurs mirent temps et argent à la disposition du saint Frère. Au mois d`octobre de la même année, un petit oratoire, suffisant à peine à contenir un autel et un espace suffisant pour le prêtre et un servant de messe, fut complété. Deux grandes portes s`ouvraient à l`avant, et permettaient aux gens d`assister à la messe de l`extérieur, où deux bancs avaient été installés sur le gazon. Mais bien sûr il était impossible aux pèlerins malades de se réunir là, et ils continuèrent donc d`aller au collège. Les Supérieurs envisagèrent alors de se débarrasser du problème en nommant le Frère au Nouveau-Brunswick, mais le Père Dion (Provincial) et un groupe de Religieux plaidèrent la cause du Frère: «Agrandissez la chapelle et chauffez-la. Les pèlerins l`utiliseront sûrement.» Les autorités du collège autorisèrent alors un groupe de laïcs à se constituer en comité, et à transformer l`oratoire pour qu`il soit accessible toute l`année. Les travaux furent complétés en novembre 1908, et le nouveau bâtiment pouvait maintenant accueillir 200 personnes à l`année longue. En 1909 un autre bâtiment fut construit, abritant un magasin d`objets pieux, un restaurant, un bureau et une salle d`attente pour Frère André et ses malades. À l`été 1910 une sacristie fut ajoutée à l`oratoire, avec une chambre à l`étage. Les Supérieurs nommèrent alors le Frère André Gardien du sanctuaire, et il logea dans la chambrette en question. C`est durant la même année que le Père Clément, professeur au collège, fut assigné comme aide au Frère André; mais le Père perdait rapidement la vue et se désespérait de ne pouvoir plus enseigner. Mais le bon Frère, reconnaissant que le Père était très utile pour calmer les âmes troublées, et bien sûr pour les confessions, ne s`en fit pas outre mesure et se mit à prier. Le lendemain, la vue du Père s`était grandement améliorée, et il put poursuivre son enseignement!

Les pèlerins vinrent au sanctuaire par centaines d`abord, et bientôt par milliers. Le Frère André passait entre huit et dix heures par jour dans son bureau, recevant trente à quarante personnes à l`heure. Au fil des années, il y eut un très grand nombre de guérisons miraculeuses, et les pèlerins exaucés laissèrent dans la chapelle des centaines et des centaines de cannes, béquilles, autres appareils, et plaques de marbre, en guise d`ex-voto. Bien que le décompte exhaustif des guérisons ait été difficile, on a pu néanmoins en consigner 435 pour la seule année 1916!      

Le Frère André ne manquait jamais d`encourager et d`aviser ses malades, à une époque où déjà la société évoluait rapidement, et pas souvent pour le mieux. Il avait aussi un bon sens de l`humour, et l`utilisait fréquemment pour donner des petites leçons. Un jour il vit une femme cueillir des pommes vertes des arbres de la communauté. Celle-ci vint le voir plus tard pour être guérie de douleurs à l`estomac. Le Frère lui déclara: «Frottez-vous avec une médaille de st Joseph et, bien sûr, cessez de manger des pommes vertes!» À une autre femme se plaignant de ressentir constamment un poids sur la poitrine, il répondit: «Ce n`est sûrement pas votre décolleté qui vous embarrasse. Frottez-vous jusqu`à ce que le tissu s`allonge!» À une autre dame portant une robe un peu courte il demanda: «Ne craignez-vous pas de vous enfarger dans votre robe?» Il est à noter que le Frère, amant de la modestie et de la pureté, n`accepta jamais de toucher les femmes pour les guérir. Cela n`empêcha pas les mauvaises langues d`aller bon train, et de faire circuler rumeurs et calomnies odieuses au sujet du saint Religieux, ce qui causa bien des souffrances à cette âme sensible. Il s`ouvrit un jour à un de ses amis laïcs au sujet de sa peine. Mais ce soi-disant ami tourna le Frère en ridicule, et dévoila ses confidences à tout un chacun. Nouvelle croix pour notre saint! Seule sa dévotion ardente envers la Passion de Notre Seigneur put l`aider à supporter patiemment cette dure épreuve. Cette dévotion l`aidait aussi à gagner des âmes au Christ. Souvent il prenait son crucifix entre les mains, et méditait tout haut, décrivant aux pauvres pécheurs les multiples souffrances du Sauveur. Il soupirait alors, les larmes aux yeux: «Ah! Si seulement on aimait Dieu, si seulement on L`aimait comme Il nous a aimés!»

Durant les vingt dernières années de sa vie, l`œuvre de construction du grand Oratoire St-Joseph devint la dominante de ses pensées et de ses prières. Il entreprit des tournées au Canada et en Nouvelle-Angleterre pour recueillir des aumônes. Lorsqu`il parlait du bon saint Joseph, et du projet de l`Oratoire, il amassait de nombreux et généreux dons de ses auditeurs. Lentement, mais sûrement, l`édifice de béton s`éleva au flanc du Mont-Royal. Mais vint un jour où les Supérieurs se découragèrent devant l`énormité de la tâche et les coûts croissants. Quant à lui, le bon Frère remarquait: «Je ne verrai pas l`achèvement des travaux à l`Oratoire, mais le projet se complétera. De toutes façons, ce n`est pas mon projet, c`est celui de st Joseph!» En 1931 les travaux arrêtèrent cependant, par manque de fonds, et comme la Grande Dépression débutée en 1929 se poursuivit pendant plusieurs années, le chantier en vint à une halte complète pendant une longue période. Sans toit, la future Basilique ressemblait à une gigantesque dent cassée au flanc de la montagne. En 1936, les autorités de la Congrégation de Sainte Croix se réunirent pour décider si on allait continuer, ou bien arrêter là le projet. Le Frère André les encouragea: «Mettez une statue de st Joseph au milieu de l`édifice. S’il veut un toit au-dessus de sa tête, il s`arrangera bien!» Ce que les Supérieurs firent le jour même. Deux mois plus tard, ils avaient reçu suffisamment de dons pour reprendre les travaux.

Bien qu`ayant alors plus de 90 ans, le bon Frère n`en continuait pas moins d`être plein de compassion, et de s`occuper de ses chers malades et de ses pauvres. Mais avec l`âge sa santé, qui avait toujours été faible, déclina rapidement, et notre ami s`épuisa plus rapidement, ce qui le rendit quelque peu irritable et nerveux. À la fin de 1936 il souffrit de gastrite aiguë, et fut transporté à l`hôpital de St-Laurent. Début janvier 1937 il eut une thrombose et, bien que souffrant beaucoup, il remarqua à un de ses compagnons: «Comme le bon Dieu et bon. Comme Il est beau et puissant. Oui, Il doit être très beau, puisque l`âme, qui n`est qu`un rayon de Sa Beauté est si belle!» Peu après il tomba dans un coma, et les autorités de l`hôpital permirent aux malades d`entrer dans sa chambre. Ils défilèrent un à un autour de son lit, pour y faire une prière et toucher ses mains qui en avaient guéri en si grand nombre.

Frère André  

Finalement, le six janvier 1937, le jour de l`Épiphanie, Frère André Bessette s`éteignit en paix, muni des sacrements de l`Église. Il avait 92 ans. Il fut exposé le même jour à l`Oratoire, et les visiteurs venus lui rendre un dernier hommage affluèrent en masse compacte. Malgré la température hivernale humide et froide, la foule ne cessa de circuler autour de son cercueil, et cela dura pendant une semaine! Parmi les visiteurs il y avait beaucoup de malades, d`aveugles, de boiteux, et le Frère ne les oublia pas, car plusieurs s`en retournèrent chez eux guéris! Les visiteurs vinrent de partout au Canada, mais aussi de divers États américains: Maine, Rhode Island, Massachussets, Connecticut, New Hampshire, et Vermont. En tout et partout c`est environ un million de personnes qui cette semaine-là gravirent la pente du Mont-Royal menant à l`Oratoire St-Joseph, pour voir une dernière fois l`humble Frère de Sainte-Croix. Le jour des funérailles, Mgr Limoges, Évêque de Mont-Laurier, officia, et Son Éminence le Cardinal Villeneuve, Archevêque de Québec prononça l`oraison funèbre: «Quelqu`ait été la réputation de vertu de ses enfants, l`Église insiste pour que lors de leurs funérailles des prières soient dites et des supplications faites pour les fautes que la fragilité humaine aurait pu leur faire commettre durant leur vie. Elle nous interdit de la devancer dans le jugement sur l`héroïcité de leur vertu et la certitude de leur entrée au Paradis, car c`est une prérogative qu`elle se réserve. Mais avec tout le respect que l`on doit à Notre Sainte Mère l`Église, nous pouvons dire aujourd`hui que nous célébrons la fête de l`Humilité!»

En juin 1978, le Pape Paul VI déclara le Frère André «Vénérable» et, le 23 mai 1982, le Pape Jean-Paul II le déclara «Bienheureux». Même si aujourd`hui le corps du Frère André repose dans une modeste tombe de granit noir, la puissance de son intercession n`a pas diminué pour autant, au contraire! Sur sa tombe nous pouvons lire les mots «Pauper, Servus, Humilis», c`est-à-dire: «Pauvre, Serviteur, Humble». Et cela résume bien sa vie et son idéal. En effet il a vécu dans toute sa rigueur son vœu de pauvreté : il n`était pas du tout concerné par les richesses, et remettait au service de Dieu toutes les aumônes qu`il recevait. Serviteur, il était aux ordres de tout un chacun, spécialement durant ses années comme Portier du collège, mais aussi dans son service auprès des pauvres, les consolant et priant pour eux. Humble, il l`était sans limite: acceptant humblement les réprimandes de ses supérieurs et collègues, et disant à la ronde qu`il n`était que le «petit chien de st Joseph»! Donnant toujours, il ne demandait rien, et il ne voulait surtout pas que la ferveur des pèlerins le mette sur un piédestal. Il n`est pas étonnant dès lors que des millions de personnes soient venues le visiter durant sa vie et après sa mort,  pour recevoir des bienfaits spirituels et matériels. Si nous pouvions imiter le Frère André même un petit peu, nous en profiterions beaucoup. Mais hélas! Notre faiblesse humaine est si grande! Demandons donc au Bienheureux Frère André de nous obtenir la grâce de le suivre dans son imitation du grand st Joseph!

Bienheureux Frère André, Priez Pour Nous!
Bon Saint Joseph, Priez Pour Nous!

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