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Janvier - Mars 2004, No. 18
 
Essay
Les Trois Hommes
Par M. André Lambert, Enseignant


André Lambert

 

Cet essai a pour but d’éclaircir une cause de problèmes dans les relations sociales, en essayant de découvrir certaines motivations à l`origine des actes humains… On se rend compte par l`analyse que ces actions et réactions peuvent généralement être regroupées en 3 catégories: Celles du «pragmatisme», du «légalisme», et du «réalisme».


1-Les Trois Catégories En Général

L’homme «pragmatique», ou libéral, relativise à l’infini la vérité: chez lui, à chaque instant, le mot qu’il utilise prend un sens nouveau. Pour ce genre d’esprit, la théorie est une chose, son incarnation dans le concret peut être contradictoire. N’est vrai que ce qui réussit, ce qui est efficace. Il n`y a pas de vérité absolue. Il n’y a pas non plus de liberté dépendante du bien, c`est le bien qui dépend de la liberté. Avec le même acharnement donc il maltraite la notion du bien. Il vous dit: «Vous voyez le mal là où il n’est pas.» Ou encore: «La fin justifie les moyens.» En révolte continuelle avec les exigences du vrai et du bien transcendants, sa conscience élastique repousse sans cesse à l’intérieur de son esprit les bornes du bien agir au profit de son propre égoïsme. Cette perspective, qui ne considère que les résultats, l`efficacité, autorise l’homme pragmatique à baptiser le vice vertu et, vice versa, la vertu vice.

L’homme «légaliste», ou «borné», semble plus près de la vérité; ses idées correspondent à des vérités, mais il est incapable de bien les évaluer dans leurs incarnations concrètes. C`est un esprit étroit, obtus, qui manque de finesse et de pénétration. Il ne sait adapter ses idées au réel, au quotidien, et aux mille et une circonstances de la vie. Captif d’un catalogue de lois légales, prisonnier d’une collection de vérités, il ne sait pas faire la part des choses. Au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, il avait pour nom Pharisien. En outre, la vérité chez lui, est compartimentée: elle n’existe que sous forme de rubriques, de données toutes définies: chez lui, la distinction, voire le mystère n’existe pas: c’est blanc ou c’est noir.

Fort de son idéal, du haut de sa tour d’ivoire, il se complaît égoïstement dans son idéal, et passe  les perfections ou les imperfections des autres au crible de son jugement. Il ne tient compte de rien ni de personne et demande des comptes à tout venant. Tous ont tort, lui seul a toujours raison. Il oublie que la loi est faite pour le bien commun, i.e. pour le bien de l`homme vivant en société. Il ne comprend pas que la loi est un moyen, non une fin. En effet, ce n`est pas la loi qui fait le bien ou le mal, contrairement à la perception des légalistes (ex.: aux USA certains soutiennent qu`à partir du moment ou l`avortement est légal, il ne peut plus être mauvais moralement).

L`homme «réaliste», ou «des nuances», a le bonheur de goûter réellement à la vérité et au bien transcendants qui se trouvent reflétés dans toute la Création. Cet homme juge de tout avec nuance et en toute charité; l’équité lui fait rendre à chacun ce qui lui revient: tout ce qui l’entoure n’est que le miroir de la splendeur de Dieu. Les défauts ou les qualités de son prochain le renvoient sans cesse en Dieu. Il connaît l’origine de l’homme – le néant – , il constate son impuissance face au mal; en revanche, tout ce qui est beau, bon, bien, vrai … est pour lui l’écho de Dieu, de CELUI QUI EST. En dehors de Dieu, tout est de la poussière, mais ce qu’il y a de beau dans la création est signé “Made in Heaven”. Il s`appuie sur la vérité et les bons principes pour établir sa marche à suivre dans les circonstances variables de la vie, utilisant pour ce faire la vertu de prudence.


En Résumé

L’homme pragmatique ou libéral ne cesse de profaner la vérité et le bien, par le seul fait de les considérer; l’homme borné et légaliste emprisonne dans son esprit étroit la plénitude inépuisable de la vérité et du bien. L`homme réaliste ou «des nuances» s`attache à la vérité et au bien tels que réflétés dans la Création, il comprend que les deux sont indissociables, et sont le fondement du bien commun de la société humaine. Guidé par la vertu de prudence, il sait être fidèle aux principes, tout en s`adaptant aux circonstances concrètes de la vie.


2- Les Trois Hommes Et La Crise De L`Église

Vient maintenant l’application de ces quelques réflexions au domaine de la crise de l’Église, lorsqu`on étudie les trois regroupements de personnes qui se sont formés depuis le concile Vatican II. Bien sûr, “Omnis comparatio claudicat” (Toute comparaison est boiteuse). Je n’entends pas décrire chaque individu de chaque regroupement selon les trois catégories vues plus haut. Ce serait de ma part tristement simpliste, j’entrevois seulement une dominante au niveau de l’orientation de chaque mouvement.


Les «pragmatiques»

Quand nous évaluons la Fraternité Saint-Pierre, les gens de l’Indult, les conservateurs et autres gens de cette mouvance, nous discernons la tendance libérale, pragmatique, qui rend incapable de supporter la contradiction à laquelle nous accule le mystère d’iniquité à l`oeuvre dans l`Église: à savoir un Pape qui semble travailler pour le Diable. Le «pragmatique» préfère les avantages pratiques pour l`apostolat, ou pour sa situation personnelle, à la défense de la vérité. N`ayant pas une solide théologie, spécialement au sujet de l`Infaillibilité Pontificale, il adopte une position qui résulte souvent d`un attachement sentimental désordonné aux personnes en autorité. Il opte pour le compromis au détriment de la vérité. Ces «Ralliés» ne sont pas prêts à payer le prix pour demeurer dans la vérité, ils préfèrent la légitimité, une vérité qui ne les isole pas, qui ne les coupe pas de la sympathie du monde, ce monde pour lequel Notre Seigneur n’a pas prié. Ils préfèrent être en accord avec les hommes plutôt que de sembler être dans  l’illégitimité. C’est facile de dire la messe de Saint-Pie V avec  la soi-disant bonne conscience de se dire qu’on n’est pas excommunié, et que l’on garde même la bonne doctrine. Malheureusement pour eux, ils ont baissé les armes face au cœur du problème de la liberté religieuse, cette théorie conciliaire selon laquelle la conscience individuelle a tous les droits, ce qui fait de la Religion une simple matière de choix personnel.


Les «légalistes»

  Messe Traditionnelle
 
Messe Traditionnelle

À l`autre extrémité du spectre, le sédévacantisme reproduit le mieux l’homme légaliste et borné. Il se déplace, cet homme, avec sa mallette remplie d’idées définies qui ne souffrent aucune variation possible devant le monde concret. La réalité doit se plier à ses idées abstraites, sans aucune adaptation circonstancielle. Il préfère dire que la Nouvelle Messe est invalide et que le Saint Siège est vacant, pour ne pas avoir à supporter une contradiction où le placerait le déséquilibre, l’inconfort du mystère.  Encore ici il y a à la fois une déficience en théologie, spécialement par rapport à l`Infaillibilité Pontificale, et une réaction émotionnelle exagérée devant les actions néfastes du Pape. Donnons ici un exemple du manque de réalisme de ces légalistes que sont les sédévacantistes: En 1972-1973, Mgr Lefebvre permettait à ses séminaristes pendant les vacances d’assister à la messe de Paul VI, en certains endroits où ils n’avaient pas accès à la messe de Saint Pie V. Plus tard, vu les effets toujours plus néfastes de la messe dite de Paul VI, il les invitera à ne plus y prendre une part active. Il n`a pas fallu attendre longtemps avant que les «bornés» accusent Mgr Lefebvre de contradiction, alors que celui-ci ne faisait qu`utiliser la vertu de prudence, laquelle tient compte des circonstances avant de prendre une décision pratique.


Les «réalistes»

La Fraternité St Pie X, le clergé et les communautés amis incarnent l’homme «des nuances». Devant Rome qui émet de moins en moins de lumière surnaturelle, et qui s’enténèbre de plus en plus de l’obscurité provenant de l’erreur, les fidèles de la Tradition y discernent toujours le visage du Christ, mais un visage tel celui du Saint Suaire, tuméfié et sali par les coups et les crachats infligés par les autorités juives et romaines. Ils savent que c’est toujours l`Église qu`ils sont en train de regarder, mais ils sont conscients qu’elle est occupée par des individus aux idées qui la masquent, et la rendent inapte à diriger en tout et partout les brebis du Seigneur. Si le Saint Père veut reconnaître les fidèles de la Tradition comme membres «en règle» de l`Église, ce devra être sans préjudice à la vérité: Rome doit retrouver le chemin de la Tradition, sans conserver les nouveautés hétérodoxes et gnostiques dont elle est entichée actuellement, sans quoi elle ne pourra reconnaître la partie de son troupeau qu’elle a écarté du bercail parce qu’elle criait au loup ravisseur.


En Résumé

Parmi les trois tendances divisant ceux qui se veulent fidèles à l`Église de toujours, il semble que les défenseurs de la Tradition intégrale se trouvent mieux représentés par la catégorie du «réalisme». En effet ils ne veulent ni sacrifier les principes ni les circonstances concrètes dans leur processus de décision: Ils font usage de la vertu de prudence. L’homme borné ou «légaliste» est prisonnier d`idées rigides et de principes abstraits, il manque de connaissances théologiques, et il réagit émotionnellement aux maux affligeant l`Église. Les libéraux ou  «pragmatiques» sont des opportunistes, ils sont d`avantage préoccupés par les résultats, et eux aussi sont déficients en théologie, et ils laissent leurs émotions les guider dans leur jugement sur la crise de l`Église.


Conclusion

Nous espérons avoir montré qu’on doit savoir reconnaître les divers états d`esprit qu’on peut parfois avoir, et qui risquent de nous entraîner à prendre des positions erronées, tant au plan humain et social, qu`au sujet de la crise de l`Église. Le « pragmatique », en relativisant le bien et le vrai, recherche l`efficacité avant tout et ne sait analyser la réalité de la crise. Le « légaliste » est déconnecté de la réalité, et vit dans une bulle de principes. L`attitude de ces gens les fait passer aux extrémités, le premier par son mépris pour l’amour du bien et de la vérité, le second par son attachement à la «lettre qui tue». Il ne nous faut être ni pragmatiques comme les ralliés, ni légalistes et bornés comme les sédévacantistes. À nous d’éviter ces écueils en étant «hommes des nuances», et en utilisant la vertu de prudence, et en ayant une bonne compréhension de l`Infaillibilité Pontificale. Et aussi il ne faut pas être dominés par les sentiments. Le Mystère d’Iniquité  est aujourd’hui à son apogée, et il nous faut tenir les deux chaînes de la Tradition d’hier et de l’Église d’aujourd’hui. Nous sommes écartelés comme le Christ en croix en nous accrochant à ces deux réalités, mais Dieu détient entre ses mains l’anneau manquant. Faisons confiance à Sa Sagesse et à Son Amour Miséricordieux.

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