Récit
de la condamnation et du martyre de Sir Thomas More, 6juillet 1537
Traduit
et adapté de l’anglais par René Salvador Catta, d’après l’émouvant récit
de William Roper, le gendre de Sir Thomas, que celui-ci aimait comme un
fils et qu’il ramena au catholicisme. Thomas More, excédé des propos hérétiques
qu’il tenait, pria sa fille de lui dire qu’il ne l’écouterait plus. Les
ménages de ses enfants vivaient tous dans ‘la grande maison paternelle’
à Chelsea, faubourg de Londres, sur la rive droite de la Tamise.
Le Roi et son Conseil discutèrent
de la façon de s’y prendre pour que l’ex-Chancelier (Sir Thomas More) acceptât
sous serment l’Acte de Suprématie et de Matrimonie. On voulut d’abord se
contenter d’une formule qui n’impliquât pas formellement son adhésion à
la Suprématie du Roi sur l’Église d’Angleterre. Mais la Reine Anne (Boleyn)
tempêta au point que le Roi, exaspéré, fit modifier la formule en sorte
que Thomas More fût envoyé à la Tour.
Prés d’un mois après son arrestation,
sa fille Margaret, femme de Roper, vint lui faire ses adieux. Comme d’habitude
avant de commencer sa journée de travail, elle récita avec lui les sept
psaumes de la Pénitence et les litanies. Alors son père lui dit :
Je pense, Mag, qu’ils ont cru m’accabler
en m’envoyant à la Tour. Je te le jure, ma bien chère enfant, que si ce
n’était de ma femme et de mes enfants – ma plus grande responsabilité
‑ , je n’eusse pas manqué – et cela depuis longtemps – de m’enfermer
dans une étroite cellule, plus étroite même que celle-ci. Mais puisque
me voilà ici – qui n’est pas mon désert ‑ , j’ai confiance
que Dieu dans sa Bonté me délivrera de ce soin et m’aidera à supporter
de ne pas être au milieu de vous tous. Je Le remercie de ne pas me trouver
plus mal ici que chez moi. Peut-être Dieu a-t-il voulu faire de moi un
folâtre pour me prendre dans ses bras et me dorloter...
Sir Thomas s’enquiert ensuite des
uns et des autres, femme et enfants... « Et comment va la Reine Anne
? » ‑ Elle n’a jamais été mieux, répond Mag avec assurance.
– Vraiment mieux ? Hélàs, à mon corps défendant, je te le confie, dans
quelle misère elle va bientôt se trouver! (...)
Le lieutenant de la Tour vint l’entretenir.
Il lui rappela les bienfaits et les amitiés qu’il tenait de lui (quand
Thomas More était Chancelier). Il lui tiendrait compagnie tant que son
procès ne serait pas terminé, et cela en dépit de l’indigantion royale.
Il le ferait, s’il y consent, et malgré son manque d’entrain naturel.
– Je n’en doute pas, Monsieur le Lieutenant, dit Sir Thomas, et je vous
en remercie de tout coeur. Vous êtes de mes bons amis. Mais si je ne suis
pas de bonne humeur, mettez-moi dehors.
Cependant le Conseil, le Chancelier
et le Secrétaire Thomas Cromwell, avaient remanié, en l’amplifiant, le
serment à faire signer par Thomas More et à le rendre plus plausible.
Il fut distribué à tout le Royaume comme à Thomas More. Celui-ci en parla
à sa fille :
Ils m’ont enfermé ici parce que
je refusais le Serment. Mais, ils ne peuvent le justifier. C’est grande
pitié qu’un prince chrétien, par la flatterie d’un Conseil soumis à ses
passions et par un clergé faible, qui n’a pas la grâce de se tenir ferme
et avec constance à ce qu’on leur a enseigné, ait été abusé. (...)
Thomas More prit ses dispositions
(dès 1532) pour lui et en faveur de ses héritiers. Cela fut déclaré nul.
Ses biens furent confisqués, sauf la portion que Thomas More avait attribué
à son gendre et à sa fille Mag. (...)
Thomas More, regardant par la fenêtre
de sa cellule, vit sortir de la Tour pour se rendre au lieu d’exécution,
un Père de Sion qu’il connaissait, homme instruit et religieux, et trois
moines de Charterhouse. Tous avaient refusé de signer le Serment.
Vois-tu, dit Thomas More à sa fille,
ces bienheureux Pères s’en vont joyeusement à la mort, comme des fiancés
au mariage. Tu peux saisir ainsi la différence entre ceux qui ont passé
toute leur vie dans la pénitence et ceux-là qui, comme ton père, sont
dans le monde à se consumer dans les plaisirs et les aises. Car Dieu,
considérant la vie menée par les premiers, qui ont vécu dans les peines
et une dure pénitence, ne souffre pas qu’ils demeurent plus longtemps
dans cette vallée de misères et d’iniquités. Il les envoie savourer l’Éternelle
félicité, tandis que ton stupide père a passé toute sa misérable vie de
façon pitoyable, comme un bagnard. Dieu a jugé qu’il nétait pas digne
d’entrer de si tôt dans l’éternelle Béatitude, et l’a laissé plonger dans
les tourbillons et la misère du monde. (...)
Le Secrétaire du Conseil privé,
Thomas Cromwell, lui confirme les amitiés du Roi, lequel demeurait son
gracieux Seigneur; nulle affaire ne le troublait; le condamné ne devait
se faire aucun scrupule et garder sa conscience tranquille. A la suite
de cette visite, Thomas More écrivit ce poème :
Las, flatteuse
Fortune, aujourd’hui si charmante
Qui
vint me faire un début de sourire,
Voudrais-tu
donc réparer mes ruines ?
Tant
que je vis tu ne peux me séduire.
Dieu,
ma confiance! Encore un peu, je passe
Au
Ciel des cieux, place forte, immuable.
En
Ton Calme je ne craindrai l’orage.
Au bout d’un certain temps, Mrs
Alice More vint voir son mari dans la Tour en simple femme et pourtant
d’allure mondaine, elle le salua de façon abrupte :
Bien le bonjour, Monsieur More.
Je m’étonne qu’un homme jusqu’ici considéré comme très avisé, pousse la
folie jusqu’à loger dans cette prison infecte, enfermé au milieu des souris
et des rats, alors qu’il pourrait vaquer dehors en toute liberté, jouir
de la faveur et des attentions du Roi et de son Conseil. Si seulement
vous vouliez faire comme tous les évêques et les gens les plus lettrés
du Royaume! Et dire que vous avez à Chelsea une très jolie maison avec
votre bibliothèque, vos livres, la galerie, le jardin, le verger, toutes
les commodités possibles à votre convenance, la compagnie de votre femme
et de vos enfants, dans une atmosphère joyeuse. Je me demande quel genre
de créature de Dieu vous faites à vous trouver ici ...
Chère Madame Alice, cette maison
n’est –elle pas aussi proche du Ciel que la mienne ?
Bone Deus, Bone Deus! Vous ne
changerez donc jamais de tournure ?
S’il doit en être ainsi, c’est
bien. Madame Alice, je ne vois pas pourquoi je tirerais tant de joie de
mon charmant manoir et de tout ce qui s’y trouve si, après sept ans passés
sous terre pour y rentrer, j’y trouvais quelqu’un qui me ferait sortir
en me disant qu’elle n’est pas la mienne. Alors pourquoi aimerais-je une
maison qui a si tôt oublié son maître ? (...)
Sir Richard Southwell et M. Rich
vinrent lui « trousser » ses livres. M. Rich lui dit :
On sait, M. More, que vous êtes
très sage et avisé aussi bien quant aux lois du Royaume qu’en autre chose.
Permettez que j’ose vous proposer ce cas : Supposons qu’un acte du
Parlement décide qu’on me considère dans tout le Royaume comme le Roi,
obéiriez-vous ?
Certainement, répondit Sir Thomas
More.
Je vais donc plus loin, dit M.
Rich. Un Acte du Parlement décide qu’on me prenne dans tout le Royaume
comme le Pape. Obéiriez-vous aussi ?
Dans le premier cas, répondit Sir
Thomas, le Parlement peut se mêler du statut des princes temporels. Quant
au second, je vous dirais ceci : Supposez que le Parlement décide
que Dieu n’est pas Dieu, le diriez-vous, M. Rich ?
Non, Monsieur, je ne le ferais
pas, vu qu’aucun parlement ne peut faire une pareille loi.
Pas davantage, reprit Thomas More,
le Parlement ne peut-il faire du Roi le chef suprême de l’Église.
Ceci fut rapporté en haut lieu
et Thomas More fut accusé de haute trahison. (...)
Quand Sir Thomas fut ramené de
Westminster aux avant-postes de la Tour, sa fille Margaret, ma femme,
désireuse de voir son père qu’elle pensait ne plus jamais revoir en ce
monde et voulant recevoir sa bénédiction, attendait près du terre-plein
de la Tour, sachant qu’il devait passer par là. Aussitôt qu’elle le vit,
elle tomba à genoux pour recevoir sa bénédiction, puis, se hâtant, sans
se préoccuper de sa sécurité, se frayant un chemin dans la presse et parmi
les gardes qui, avec les halebardes et les piques, entouraient le prisonnier,
elle courut à lui, et, devant tout le monde, l’embrassa, lui mit les bras
autour du cou. Thomas More que cet amour filial émouvait, lui donna encore
sa bénédiction et la réconforta. Quand elle s’en détacha, la vue de son
cher père ne lui suffisant pas, elle courut encore vers lui et l’embrassa
plusieurs fois, puis s’en détacha le coeur lourd. Cette scène si pathétique,
un tel chagrin, gagna la foule qui se mit à gémir et à pleurer.
Thomas More demeura plus d’une
semaine encore à la Tour. La veille supposée de l’exécution, il envoya
sa chemise de crin à sa femme et à sa chère fille avec une lettre écrite
au charbon de bois insérée dans un receuil de ses oeuvres :
« Je vais t’encombrer, chère
Mag, par cet envoi, mais j’espère ne pas devoir attendre au delà de demain.
Demain est la fête de saint Thomas et de saint Pierre. J’ai hâte à demain
pour aller à Dieu en pareil jour. Ta tendresse ne m’a jamais autant réjoui
que lorsque tu es venue hier m’embrasser. J’aime cet amour filial. Une
vraie charité ne se préoccupe pas de courtoisie mondaine ».
Le lendemain était un mardi, Octave
de la fête de saint Pierre et l’an du Seigneur 1537 selon la date tracée
la veille sur la lettre. Tôt le matin vint le trouver son singulier ami
Sir Thomas Pope lui dire de la part du Roi et du Conseil privé, qu’il
eut à subir la mort avant 9 heures, il devait s’y préparer.
Monsieur Pope, voilà de bonnes
nouvelles et je vous en remercie du fond du coeur. J’ai toujours été confus
des présents comme des honneurs dont sa Grâce m’a comblé, mais je le suis
encore plus qu’il m’ait placé ici; j’ai eu assez de temps et d’espace
pour me rappeler ma fin dernière. Que Dieu surtout me vienne en aide,
Monsieur Pope. Je remercie Sa Majesté qu’il lui ait plu de me débarasser
si tôt des misères de ce mode méprisable.
Le Roi, reprit M. Pope, souhaite
que, lors de votre exécution, vous ne fassiez pas de discours.
Vous faites bien de m’avertir,
Monsieur Pope. Autrement... Sa Majesté ou tout autre personne aurait pu
s’en trouver offensée. Cependant, quelles que soient mes intentions, je
suis prêt à obéir et à me conformer à ses ordres. Bon Monsieur Pope, je
vous prierais d’agir auprès d’Elle à seule fin que ma fille Margaret soit
présente à mon enterrement.
Mais le Roi, rétorqua M. Pope,
est dores et déjà assuré que votre femme, vos enfants et vos amis auront
la liberté de s’y trouver.
Oh! Combien dois-je à Sa Majesté
pour pareille condescendance!
Sur quoi M. Pope prit congé sans
pouvoir contenir ses larmes. Sir Thomas le réconforta ainsi :
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