Nous Ne Pouvons
Par Obéissance Servile Faire Le Jeu Des Schismatiques
Interview
de Mgr Lefebvre faite à Ecône, le 2 août 1976, ( paru dans Le
Figaro, 4 août 1976). Il est important de relire ce texte aujourd'hui,
26 ans après.
Le Figaro :
« Après la mesure de suspense a divinis qui l'a frappé, Mgr
Lefebvre n'envisage nullement de se soumettre. Il ne croit pas à la possibilité
d'un rapprochement avec Rome et n'exclut pas le risque d'une excommunication
prononcée contre lui et ses disciples. »
“Monseigneur,
n'êtes-vous pas au bord du schisme ?”
"C'est la question
que se posent beaucoup de catholiques à la lecture des dernières sanctions
prises par Rome contre nous ! Les catholiques, pour la plupart, définissent
ou imaginent le schisme comme la rupture avec le pape. Ils ne poussent
pas plus loin leur investigation. Vous allez rompre avec le pape ou le
pape va rompre avec vous, donc vous allez au schisme.
"Pourquoi rompre
avec le pape est-ce faire schisme ? Parce que là où est le pape là est
l'Église catholique. C'est donc en réalité s'éloigner de l'Eglise catholique.
Or l'Eglise catholique c'est une réalité mystique qui existe non seulement
dans l'espace et sur la surface de la terre, mais aussi dans le temps
et dans l'éternité. Pour que le pape représente l'Eglise et en soit l'image,
il doit non seulement être uni à elle dans l’espace mais aussi dans le
temps, l'Église étant essentiellement une tradition vivante. Dans la mesure
où le pape s'éloignerait de cette tradition, il deviendrait schismatique,
il romprait avec l’Eglise. Les théologiens comme saint Bellarmin, Cajetan,
le cardinal Journet et bien d'autres ont étudié cette éventualité. Ce
n'est donc pas une chose inconcevable.
"Mais, en ce
qui nous concerne, c'est le Concile Vatican II et ses réformes, ses orientations
officielles, qui nous préoccupent plus que l'attitude personnelle du pape,
plus difficile à découvrir. Ce Concile représente, tant aux yeux des autorités
romaines qu'aux nôtres, une nouvelle Eglise qu'ils appellent l'Eglise
conciliaire.
"Nous croyons
pouvoir affirmer, en nous en tenant à la critique interne et externe de
Vatican II, c'est-à-dire en analysant les textes et en étudiant les avenants
et aboutissants de ce Concile, que celui-ci, tournant le dos à la Tradition
et rompant avec l'Eglise du passé, est un Concile schismatique.
On juge l’arbre à ses fruits. Désormais, toute la grande presse mondiale,
américaine et européenne, reconnaît que ce Concile est en train de ruiner
l'Eglise catholique à tel point que même les incroyants et les gouvernements
laïcs s'en inquiètent.
"Un pacte
de non-agression a été conclu entre l'Eglise et la maçonnerie. C'est
ce qu'on a couvert du nom d'aggiornamento, d'ouverture au monde, d'œcuménisme.
Désormais, l’Eglise accepte de n’être plus la seule religion vraie,
seule voie de salut éternel. Elle reconnaît les autres religions comme
des religions sœurs. Elle reconnaît comme un droit accordé par la nature
de la personne humaine que celle-ci soit libre de choisir sa religion
et qu'en conséquence un État catholique n'est plus admissible.
"Admis ce nouveau
principe, c'est toute la doctrine de l'Eglise qui doit changer
son culte, son sacerdoce, ses institutions. Car tout
jusqu'alors dans l'Eglise manifestait qu’elle était seule à posséder la
Vérité, la Voie et la Vie en Notre-Seigneur Jésus-Christ qu’elle détenait
en personne dans la sainte Eucharistie, présent grâce à la continuation
de Son sacrifice. C'est donc un renversement total de la tradition
et de l'enseignement de l'Eglise qui s'est opéré depuis le Concile
et par le Concile.
"Tous ceux qui
coopèrent à l'application de ce bouleversement acceptent et adhèrent à
cette nouvelle Eglise conciliaire, comme la désigne Son Excellence
Mgr Benelli dans la lettre qu'il m'adresse au nom du Saint-Père, le 25
juin dernier, et entrent dans le schisme.
"L'adoption
des thèses libérales par un concile ne peut avoir eu lieu que dans un
concile pastoral non infaillible et ne peut s'expliquer sans une secrète
et minutieuse préparation que les historiens finiront par découvrir à
la grande stupéfaction des catholiques qui confondent l'Église catholique
et romaine éternelle avec la Rome humaine et susceptible d’être envahie
par des ennemis couverts de pourpre.
"Comment pourrions-nous,
par une obéissance servile et aveugle, faire le jeu de ces schismatiques
qui nous demandent de collaborer à leur entreprise de destruction de
l'Église ?
"L'autorité
déléguée par Notre-Seigneur au pape, aux évêques et au sacerdoce en général
est au service de la foi en sa divinité et de la transmission de Sa propre
vie divine. Toutes les institutions divines ou ecclésiastiques sont destinées
à cette fin. Tous les droits, toutes les lois, n'ont pas d'autre but.
Se servir du droit, des institutions, de l'autorité pour anéantir la
foi catholique et ne plus communiquer la vie, c'est pratiquer l'avortement
ou la contraception spirituelle. Qui osera dire qu'un catholique digne
de ce nom peut coopérer à un crime pire que l'avortement corporel
?
"C’est pourquoi
nous sommes soumis et prêts à accepter tout ce qui est conforme à notre
foi catholique, telle qu'elle a été enseignée pendant deux mille ans,
mais nous refusons tout ce qui lui est opposé.
"On nous objecte
: c'est vous qui jugez de la foi catholique. Mais n'est-ce pas le devoir
le plus grave de tout catholique de juger de la foi qui lui est enseignée
aujourd'hui par celle qui a été enseignée et crue pendant vingt siècles
et qui est inscrite dans des catéchismes officiels comme celui de Trente,
de saint Pie X et dans tous les catéchismes d'avant Vatican II ? Comment
ont agi tous les vrais fidèles face aux hérésies ? Ils ont préféré
verser leur sang plutôt que de trahir leur foi.
"Que l'hérésie
nous vienne de quelque porte-parole que ce soit aussi élevé en dignité
qu'il puisse être, le problème est le même pour le salut de nos âmes.
A ce propos il y a chez beaucoup de fidèles une ignorance grave de la
nature et de l’extension de l'infaillibilité du pape. Beaucoup pensent
que toute parole sortie de la bouche du pape est infaillible.
"D'autre part,
s'il nous apparaît certain que la foi enseignée par l'Église pendant vingt
siècles ne peut contenir d'erreur, nous avons beaucoup moins l'absolue
certitude que le pape soit vraiment pape. L'hérésie, le schisme,
l'excommunication ipso facto, l'invalidité de l'élection sont des causes
qui éventuellement peuvent faire qu'un pape ne l'ait jamais été ou
ne le soit plus. Dans ce cas, évidemment très exceptionnel, l'Eglise
se trouverait dans une situation semblable à celle qu'elle connaît après
le décès d'un souverain pontife.
"Car enfin un
problème grave se pose à la conscience et à la foi de tous les
catholiques depuis le début du pontificat de Paul VI. Comment un pape
vrai successeur de Pierre, assuré de l'assistance de l'Esprit-Saint, peut-il
présider à la destruction de l'Église, la plus profonde et la plus étendue
de son histoire en l'espace de si peu de temps, ce qu'aucun hérésiarque
n'a jamais réussi à faire ?
"À cette
question il faudra bien répondre un jour, mais laissant ce problème
aux théologiens et aux historiens, la réalité nous contraint à
répondre pratiquement selon le conseil de saint Vincent de Lérins : «Que
fera donc !e chrétien catholique si quelque parcelle de l’Eglise vient
à se détacher de la communion de la loi universelle ? Quel autre parti
prendre sinon préférer au membre gangrené et corrompu, le corps dans son
ensemble qui est sain, et si quelque contagion nouvelle s'efforce d'empoisonner,
non plus une petite partie de l'Eglise mais l'Eglise tout entière à la
fois ! Alors encore son grand souci sera de s'attacher à l’antiquité,
qui, évidemment, ne peut plus être séduite par aucune nouveauté mensongère
!»
« Nous sommes
donc bien décidés à continuer notre œuvre de restauration du sacerdoce
catholique quoi qu'il arrive, persuadés que nous ne pouvons rendre de
meilleur service à l’Eglise, au pape, aux évêques et aux fidèles. Qu'on
nous laisse faire l'expérience de la tradition. »
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