Fraternité Sacerdotale Pie X Canada

Communicantes

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Communicantes: Juillet – Septembre 2004
 

Les Vrais Vivants, Les Saints

«Et je vis, mais ce n`est plus moi qui vit, c`est le Christ qui vit en moi.» (Gal. 2 :20)

Par M. Roger Zielke

La Mère des Ursulines de Nouvelle-France
Bienheureuse Marie de l`Incarnation (1599-1672)


 

Roger Zielke

Quand on lit les biographies des grands saints et héros qui ont sacrifié leur vie pour bâtir la Nouvelle-France, on peut se demander comment ils ont pu le faire. Comment ontils pu sacrifier une vie confortable en France pour venir dans cette contrée encore très peu civilisée? Il n`y a aucun doute que c`était l`amour… l`amour de Dieu, l`amour de l`homme, et celui des âmes. Marie de l`Incarnation comprenait bien sa responsabilité vis-à-vis des âmes. C`était une femme qui aimait immen-sément, Dieu d`abord, et son frère hu-main. Elle fut épouse et mère, religieuse et mystique, enseignante et missionnaire.

Marie de l`Incarnation est née le 28 octobre 1599 à Tours, en France. Elle était le quatrième enfant de Florent et Jeanne Guyart. Ceux-ci étaient tous deux de fervents Catholiques, éduquant leurs enfants dans la crainte et l`amour de Dieu. Dès son enfance Marie Guyart apprit à aider et à soigner les pauvres et les malades. Elle aimait beaucoup la Messe et les dévotions catholiques, et c`est sa Foi qui deviendra le moteur de ses entreprises.

Blessed Marie of the Incarnation

 

Quand elle avait sept ans Marie fit un rêve étrange dans lequel elle se voyait en train de jouer dans une cour d`école en compagnie d`autres enfants. À ce sujet elle écrira: «Levant les yeux au ciel, je vis alors les cieux s`ouvrir, et Notre Seigneur descendant vers moi sous une forme humaine. Le voyant je criai à mes camarades: `Voyez! C`est Notre Seigneur, et Il vient vers moi!` Quand cette très adorable Majesté m`approcha, je sentis mon cœur en-flammé par Son Amour. Je commen-çai à étendre mes bras pour l`embrasser, et Lui, avec un regard plein de douceur et très attirant, me prit dans ses bras et me donna un bai-ser avec un indescriptible amour et Il me dit: `Veux-tu être à Moi?` Je répondis, `Oui!`»

Plusieurs années plus tard Marie comprit que Dieu voulait qu`elle suive une vie de prière mais, malgré son in-clination pour la vie religieuse, elle épousa à l`âge de dix-sept ans un homme d`affaire nommé Claude Martin. En effet ses parents voulaient qu`elle le mariât, et elle sentit qu`elle devait leur obéir. Elle écrira: «Je me suis laissée guider par mes parents comme une aveugle.» Et Marie sentit dans son cœur que si Dieu la bénissait par un fils, elle le consacrerait à Son service, et que si elle devenait libre, elle-même se consacrerait à Dieu.

En 1620, à peine deux après après ce mariage, l`époux de Marie décéda; âgée d`à peine 19 ans, celle-ci se trou-vait donc seule, avec un fils de six mois (prénommé Claude) sur les bras. Elle alla d`abord rejoindre le logis paternel, puis elle accepta peu après l`invitation de sa sœur à venir aider son mari, M. Buisson, un marchand prospère ayant de nombreux serviteurs sous ses ordres. De cette période de sa vie Marie écrira: «Je considérais que c`était une grande gentillesse de la part des Buisson de me prendre chez eux, et que j`avais une dette envers eux à cause de mon inutilité; je me sentais donc obligée de leur obéir en toutes choses.»

En 1621 notre jeune amie fit un vœu de chasteté, sous la houlette de son directeur spirituel. Par la suite elle fit les vœux de pauvreté et d`obéissance. Ce dernier vœu l`obligeait à obéir à son directeur, et aussi au couple Buisson, qui ne sut rien de tout cela. Les dix ans qu`elle vécut chez eux ne furent pas faciles: «Dieu seul sait ce que j`ai souffert par cette obéissance. C`est dans l`obéissance qu`on trouve Dieu.» Marie se tenait occupée du matin au soir; elle avait de grandes responsabilités. À part l`aide à fournir aux serviteurs, et les soins aux malades, Marie devait en effet vérifier et compter la marchandise, et établir des contrats avec d`autres marchands. Et elle était toujours la dernière à quitter les quais à la fin de la journée, après avoir fait une dernière inspection des chevaux.

Comme le temps passait, le désir de notre amie de se consacrer à Dieu ne faisait que grandir. Bien qu`elle connût plusieurs communautés religieuses, elle n`arrivait pas à faire son choix. En 1625 les Ursulines de Tours déménagèrent sur la Rue du Poitou, dans laquelle Marie allait et venait quotidiennement pour son travail. Et à chaque fois qu`elle passait devant leur couvent, elle sentait son cœur bondir, et allait y faire une visite. Elle croyait que Dieu la voulait dans ce couvent, et elle devint amie avec Mère St Bernard qui y habitait. Quand cette dernière fut élue Prieure, elle parla à Marie de vocation, et celle-ci en référa à Dom Raymond, son directeur spirituel. Bien qu`indifférent au début, il alla plus tard en discuter avec Mère St Bernard, et celle-ci le convainquit de la vocation de Marie. Il devint alors complètement en faveur de ce projet, aidant à en écarter tous les obstacles. C`est lui qui réussit à convaincre les Buisson de prendre soin du jeune Claude, et de laisser Marie entrer au couvent.

Monastery of the Ursulines

Le Monastere des Ursulines De Tours (France)


Avant de faire le pas, Marie décida néanmoins de consulter le Supérieur clérical des Ursulines, ainsi que l`Archevêque de Tours. Tous deux ap-prouvèrent et aidèrent sa vocation. Quand elle entra chez les Ursulines Marie avait 31 ans, et Claude onze. Malgré que sa sœur, mme Buisson, ait promis de prendre bien soin de son en-fant, Marie se sentait déchirée à l`idée de s`en séparer, et elle ne le fit que pour obéir à son vœu d`obéissance: «Je souffris plus en quittant mon fils, que j`aimais par-dessus tout, que si j`avais dû perdre tous les biens imagina-bles… Il me semblait être coupée en deux.» Notre amie devint en religion Sœur Marie de l`Incarnation.

Le 25 janvier 1633, deux ans après son entrée au couvent, Marie prononça ses vœux: «Je vis la voie de l`amour si douce, et toutes choses si faciles, qu`il me semblait qu`il n`y aurait jamais aucune difficulté en agissant ou en souffrant pour mon Bien-Aimé à Qui je venais de m`offrir et de m`abandonner en toutes choses à Son bon plaisir.» Marie se donna donc en-tièrement à Dieu. Durant cette période chez les Ursulines, Marie n`avait plus de directeur spirituel, mais finalement elle en trouva un bon en la personne du Père de la Haye, et celui-ci lui demanda un récit écrit de toutes les grâces qu`elle avait reçues depuis son enfance. Dans sa grande humilité elle lui de-manda de pouvoir écrire aussi les pé-chés qu`elle avait commis, car elle ne voulait pas que les lecteurs puissent la prendre pour une sainte. Le Père l`aida aussi par rapport à Claude, et il obtint pour lui des bienfaiteurs prêts à payer pour ses études; le jeune garçon fut donc envoyé à Orléans dans ce but.

Durant ses premières années de vie religieuse Marie souffrit de plusieurs épreuves. Même sa vie d`obéissance et sa Foi en Dieu lui semblaient parfois sans signification. Mais Dieu se servait de ces épreuves pour amener Marie plus près de Lui, et pour la préparer à des souffrances encore plus dures.

En octobre 1633, notre jeune sainte fit un second rêve, dans lequel elle était avec une femme inconnue. Tous les deux quittèrent leur maison et allèrent dans une vaste contrée où le ciel était le seul toit. Là elles virent une petite église sur laquelle se tenait la Sainte Vierge parlant à l`Enfant Jésus dans ses bras. Marie ne pouvait entendre, mais elle tendit les bras vers Notre Dame; celle-ci se tourna alors vers elle avec un sourire plein d`amour, et l`embrassa sans un mot. Quand Marie se réveilla, elle sut que Dieu lui préparait quelque chose de spécial, mais ne savait quoi. Puis en 1635 elle révéla pour la première fois son rêve, et ce fut au supérieur des Jésuites de Tours. Celui-ci lui dit aussitôt que ce pays étrange était la Nouvelle-France, et que ce rêve se réaliserait un jour. C`est à ce moment que Marie entendit parler de la Nou-velle-France pour la première fois!

Quelques mois plus tard elle apprit que Dom Raymond se préparait à faire le voyage de Nouvelle-France, et elle lui écrivit pour lui faire part de son désir d`y aller un jour, mais elle reçut une réponse décourageante. Il refusa d`approuver son projet avant d`avoir parlé plus longuement avec elle. Il croyait que ses désirs étaient en contradiction avec sa vocation d`Ursuline, mais il admettait qu`il se pourrait que la main de Dieu soit à l`œuvre. Mais plus il semblait impossible qu`elle puisse se rendre en Nouvelle-France, plus son désir augmentait. Finalement Dom Raymond reconnut le caractère divin de ce désir, et il approuva le choix de Marie. En même temps celle-ci priait le bon Dieu de faire obstacle à tout ce qui n`était pas selon Sa Volon-té.

À l`hiver 1636 notre amie eut une nouvelle vision dans laquelle Dieu lui dit: «C`est la Nouvelle-France que je t`ai montrée, tu dois t`y rendre et y construire une maison pour Jésus et Marie.» Bien que Marie fut bien bien humble devant cet ordre, elle osa répli-quer: «Ô mon grand Dieu, je sais que Vous pouvez faire toutes choses et que je ne puis rien! Si Vous désirez m`aider, je suis prête. Je promets de vous obéir! Accomplissez Votre très adorable Volonté en moi et par moi.» Marie commença donc à correspondre avec les missionnaires de Nouvelle- France et elle consulta son directeur spirituel. Le désir de s`embarquer dès que possible lui brûlait le cœur. En même temps le Père Lejeune de Qué-bec envoyait en France des invitations aux religieuses et aux dames de haut rang. Il enjoignait à ces dernières de consacrer leurs vies et leurs fortunes à l`éducation des petites filles indiennes, au lieu de perdre leur temps dans des frivolités.

 

Mme. de la Peltrie

Mme. de la Peltrie

Mme de la Peltrie, une riche veuve d`Alençon, entendit cet appel puis de-vint si terriblement malade que les doc-teurs perdirent tout espoir de la sauver. Étendue sur son lit de mort elle fit vœu à St joseph de se donner en entier au bien-être des Indiens si elle venait à guérir. Puis elle s`endormit. À son ré-veil elle se rendit compte qu`elle était parfaitement guérie!

Dom Raymond quant à lui dut abandonner complètement son projet de se rendre en Nouvelle-France. Dé-sappointée, Marie dut se tourner ail-leurs pour trouver de l`aide. Elle reçut un jour une lettre du Père Poncet, an-cien professeur de Claude à Orléans, et qui se préparait à se rendre dans la jeune colonie. Il lui envoyait aussi une copie de la «Relation» des Jésuites (ré-cit de leur vie au Canada) et lui écrivit: «Pour vous convaincre de venir servir Dieu en Nouvelle-France.» Ce fut pour notre jeune sainte un autre signe que Dieu voulait qu`elle suive les dé-sirs de son cœur. Et bien qu`elle dût attendre pendant une autre année et souffrir plusieurs épreuves, sa convic-tion de faire la volonté de Dieu lui permit de franchir tous les obstacles.

En 1638, soit cinq ans après son premier songe au sujet de la Nouvelle-France, le Père Poncet lui écrivit en disant: «Le temps est venu, fixé par Dieu, pour que vous réalisiez Ses plans.» Il avait rencontré Mme de la Peltrie qui elle aussi avait décidé d`aider les missions de Nouvelle-France par une nouvelle fondation. Ma-rie lui écrivit aussitôt, mais se rendre dans la colonie n`était pas une tâche facile. Il fallait vaincre des problèmes de toutes sortes. Un de ceux-ci fut que sa sœur tenta d`utiliser son affection pour son fils Claude comme un moyen de la retenir en France. Claude avait maintenant dix-neuf ans, et la dernière rencontre avec sa mère avait créé de nouveaux liens entre leurs cœurs. Il comprenait l`amour de sa mère pour lui, et en retour il l`aimait et l`admirait de plus en plus.

Le Père Poncet organisa une ré-union entre Mme de la Peltrie et la Sœur de l`Incarnation. Les deux fem-mes s`entendirent si bien que la date du départ fut fixée au 22 février 1639. Bientôt Sœur Marie de l`Incarnation et sa compagne, Sœur Marie de St Jo-seph, étaient prêtes à partir, et elles allèrent prendre congé de l`Archevêque de Tours. Marie lui demanda de leur commander ce voyage au nom de l`obéissance, et c`est ce qu`il fit. Elles quittèrent alors pour Dieppe, où elles furent rejointes par une autre Ursuline. Elles allaient donc être trois sœurs de la même congrégation à effectuer le péril-leux voyage, et à commencer leur fon-dation en Nouvelle-France.

Le 4 mai 1639, les premières fem-mes à se rendre comme missionnaires en Nouvelle-France prenaient place à bord du navire «St-Joseph», et firent voile vers la petite colonie. Il y avait là : trois sœurs Ursulines, trois Sœurs Hospitalières Augustiniennes, Mme de la Peltrie, et Charlotte Barré, une jeune fille de 19 ans qui deviendra Ursuline par la suite. La traversée de l`Atlantique avec ses flots turbulents, ses icebergs, et se pirates dura environ trois mois. Il arriva une fois que le ba-teau faillit être coupé en deux par un énorme iceberg! À d`autres moments la brume était si épaisse que le capitaine perdit le cap et le navire côtoya de dangereux récifs pendant près de 60 lieues, malgré ses efforts de l`en tenir loin. Finalement, avec la protection et l`aide du bon Dieu, le navire accosta au port de Québec le 1er août 1639.

Sœur Marie de l`Incarnation com-mença sa vie en Nouvelle-France dans une grande pauvreté. On donna aux Ursulines une maison petite et délabrée qu`elles devaient partager avec les peti-tes Sauvagesses. Elles étaient si pau-vrement logées qu`elles pouvaient voir les étoiles le soir à travers les trous de leur toit. Il était presque impossible de maintenir une chandelle allumée dans la maison, car le vent traversant les craques des murs les soufflait. Mais les Sœurs s`empressèrent d`apprendre le langage des Indiennes, de façon à pou-voir leur apprendre les vérités de la Foi Catholique.

En 1641 la construction d`un cou-vent fut entrepris grâce à l`aide de Mme de la Peltrie et de ses amis. Ma-rie, qui venait d`être nommée Mère Supérieure écrit au sujet des difficultés de cette entreprise: «Nous allons de-voir nous priver du moindre mets déli-cat, et même de nos nécessités…» Il fallait en effet payer les ouvriers. Parmi toutes ces épreuves, Marie eut la joie de recevoir une lettre de son fils Claude, dans laquelle il lui disait qu`il avait été admis comme Postulant dans l`Ordre Bénédictin. Mais cette joie fut assombrie par la nouvelle que sa bonne amie Mme de la Peltrie allait bientôt partir s`établir à Montréal. Cette sainte femme pensait en effet que telle était la volonté de Dieu. Et dire que Mme de la Peltrie s`en allait juste pendant la cons-truction du couvent!

Mère Marie travailla néanmoins avec une Foi robuste en Dieu; privée de moyens matériels, elle dut quêter ça et là pour en obtenir. Puis à l`automne de 1642, le jour de la fête de la Présenta-tion de Marie (21 novembre), Les Ur-sulines et leurs pensionnaires allèrent en procession prendre possession de leur couvent. Celui-ci n`était pas en-core achevé, et durant l`hiver elles souffrirent affreusement du froid. Mère Marie écrira à Claude: «Parfois les Prêtres courent le risque d`avoir les mains ou les oreilles gelées alors qu`ils disent la Messe!»

En 1643 Claude Martin écrira à sa mère qu`il venait de prononcer ses vœux de religion, et lui demanda s’il la reverrait un jour. Heureuse de voir son vœu formulé lorsqu`elle était enceinte se réaliser, elle lui répondit cependant: «Laissons cela à Dieu. Je le voudrais autant que toi, mais je ne veux rien désirer si ce n`est en Lui et pour Lui; abandonnons donc nos volontés pour Son Amour.» Durant l`automne de cette même année, Mme de la Peltrie retourna à Québec après une absence de dix-huit mois, et elle fut autorisée à vivre dans le cloître et à suivre la vie régulière, tout en demeurant vêtue en civil et en ne prononçant pas de vœux. Mais trois ans plus tard elle demanda à être admise parmi les Ursulines, mais celles-ci refusèrent, arguant que son désir était trop en contradiction avec son tempérament et sa mission de fon-datrice. Elle continua donc comme avant, et vécut en parfaite harmonie avec les Sœurs.

En plus de devoir faire face aux problèmes matériels, et à l`obligation pour elle de trouver constamment des bienfaiteurs pour la mission, Marie de-vait aussi établir l`unité dans sa com-munauté. Comme les Ursulines arri-vaient à Québec de différents couvents de France, chacun ayant des coutumes et règlements un peu différents, elle s`évertua à rédiger des constitutions qui permettraient à toutes les Sœurs de vi-vre en harmonie. À cette fin elle de-manda l`aide des Couvents français de Tours, Paris, Dieppe et Ploërmel. Quand leur réponse vint, elle fut posi-tive, mais la matière était alors entre les mains de la nouvelle Supérieure, Mère St Athanase, une des premières com-pagnes de Mère Marie.

Un autre problème était la cons-tante menace iroquoise. Le peuple de Québec vivait alors dans la crainte per-pétuelle de se voir attaqués par les fé-roces sauvages. En 1649 une guerre éclata de nouveau entre les tribus in-diennes et les chrétiens. C`est durant cette période que les Pères Jésuites Brébeuf, Garnier, et Lalement furent torturés et brûlés avec leurs fidèles in-diens convertis. Et tous les Prêtres et les survivants de la Mission Huronne furent forcés de quitter leurs logis et de se réfugier à Québec. Malgré tout cela Marie demeurait en paix, et continuait d`étudier la langue huronne, comme si rien d`autre n`était pour arriver, met-tant toute sa confiance en Dieu seul. Puis les Ursulines reçurent une bonne nouvelle: le fils de Mère Marie venait d`être ordonné Prêtre le 10 novembre 1649, huit ans après son entrée chez les Moines Bénédictins.

Déjà les Ursulines partageaient la pauvreté et la vie dure des autres mem-bres de la colonie, mais pire que cela devait survenir: Le 30 décembre 1650 leur beau couvent neuf fut rasé par les flammes! Pieds nus dans la neige, la Mère St Athanase le regarda se consu-mer, et au lieu de blâmer la pauvre pe-tite Sœur qui avait eu l`inconscience de placer un pot de charbons brûlants sous le bac de bois contenant la pâte à pain, dans le désir que celle-ci gonfle plus vite, elle se recommanda à la divine Providence et pria tranquillement au milieu de ses compagnes. Les Ursuli-nes et les filles demeurèrent trois se-maines à l`Hôtel-Dieu de Québec, puis elles se transportèrent à la maison de Mme de la Peltrie, une habitation d`à peine 20 pieds par trente qui réussit à contenir la chapelle, le parloir, le réfec-toire, et divers bureaux. Les classes étaient données dans des huttes en écorce de bouleau dressées à côté. Elles y demeurèrent pendant quinze mois, soit jusqu`à ce qu`un nouveau couvent soit construit. Mais durant l`intervalle, plusieurs amis de France virent dans la catastrophe un signe de la Providence indiquant la nécessité du retour des Ursulines en France.

Mais avec une confiance totale en Dieu et en la protection de la Sainte Vierge, les Ursulines entreprirent la construction d`un nouveau couvent dès le printemps de 1651, malgré leur pau-vreté, et le peu d`espoir qu`elles avaient de recevoir de l`aide de la Mère Patrie. Pendant cette période Mère de l`Incarnation, de nouveau élue Supé-rieure, écrivit ces lignes à son fils Dom Claude Martin O.S.B.: «Dieu a des trésors en réserve pour les âmes sim-ples qui se confient toutes en Lui. Nous devons croire que nous avons un Dieu qui a pris soin de nous à cha-que minute de notre passé, et qu`Il fera de même pour notre futur.» Le nouveau couvent fut complété en avril 1652, et il était plus grand et plus beau que celui qui avait brûlé. Dieu avait en effet béni les Ursulines pour leur Foi et leur confiance en Lui.

Quant à Dom Claude il fut, à partir de 1652, élu successivement Prieur, Assistant, Définiteur, et Président du Chapitre Général de son Ordre. Pen-dant trente ans Marie Guyart l`avait encouragé et avisé avec beaucoup de sagesse et de tendresse. En 1654 elle prépara sur sa demande expresse un récit de sa vie spirituelle. Cette auto-biographie est l`un des écrits les plus importants de notre sainte. Pressée par son directeur spirituel elle écrivit: «Le Père Lalement m`a dit de demander à Notre Seigneur de me faire savoir s`Il désirait me voir faire quelque chose en Son honneur avant ma mort. Après avoir prié par obéissance, j`eus deux révélations: la première me disait de m`offrir en sacrifice à la divine Ma-jesté, pour qu`Il puisse me consumer à son aise pour le salut de ce pauvre pays; la seconde était que j`écrive au sujet des chemins par lesquels Il m`a menée depuis qu`Il m`a appelée à la vie intérieure.»

Bishop Laval  
Monseigneur de Laval,
Premier Évêque de Québec (1623-1708)

 

À cause du zèle apostolique des missionnaires, l`Église de Nouvelle-France grandit considérablement, et eut bientôt besoin d`un Évêque. Mgr de Laval arriva de France en 1659, plus tôt que prévu. Mais parce qu`il n`y avait pas de logis prêt pour lui, les Ur-sulines l`accueillirent chez elle, lui prê-tant une partie de leur édifice; elles firent joyeusement le sacrifice de leur espace, en attendant la construction d`un palais épiscopal.

Mère Marie était bien consciente des problèmes existant en Nouvelle-France. Un des plus grave était le mal fait aux Indiens par l`échange de bois-son contre la fourrure. Elle écrivait: «Dans ce pays il y a quelques Fran-çais qui sont si mauvais qu`ils causent la perte de nos nouveaux Chrétiens en leur vendant de l`alcool en échange de leurs peaux de castor. La boisson est la plaie de ces pauvres gens… Jour et nuit ils vont et viennent complètement nus en brandissant des sabres, et ils mettent tout le monde en fuite… S`ensuivent meurtres, viols, et des brutalités incroyables. Les Pères ont fait tout ce qu`ils ont pu pour mettre un frein à ce mal, tant du côté des Français que de celui des Indiens, mais tous leurs efforts furent vains… Notre Prélat a fait tout son possible pour le faire cesser, car cela mène directement à la ruine de la Religion et de la Foi. Il a utilisé toute sa per-suasion pour éloigner les Français d`un commerce qui est si contraire à la gloire de Dieu et au salut des Sau-vages.»
Au fil des ans Marie continua d`être soit la Supérieure de la commu-nauté, soit la responsable des biens ma-tériels du Couvent. Dieu lui a aussi permis de maîtriser les dialectes in-diens suivants: Huron, Algonquin, Iro-quois, et Montagnais. Non seulement cela, mais elle rédigea des dictionnai-res, livres de prières, et catéchismes en ces langues, traduisant même des par-ties de la sainte Écriture!

Quand elle eut un peu plus de soixante ans, elle ressentit un ardent désir de passer plus de temps avec le bon Dieu. Elle écrira à la Mère St Ber-nard en France: «Je continue à souhai-ter un peu de repos pour me préparer convenablement à la mort. Tout le monde me taquine quand ils m`entendent parler ainsi, car tous croient que j`ai un amour incessant pour l`action. C`est parce que je suis rapide, et que je ne me démonte pas facilement, mais ils ne voient pas le fond de mon cœur qui languit pour son unique Bien.» Malgré le ton de cette lettre, Marie n`en continuera pas moins d`assumer le fardeau de ses res-ponsabilités. Elle écrivit à Claude: «Pensons que c`est précisément par le moyen de toutes ces affaires que nous nous sanctifierons vous et moi, car ce qui est le plus parfait à Ses yeux est que nous accomplissions Ses ordres.»

En 1664, alors qu`elle avait 65 ans, la santé de notre amie chancela; elle était épuisée, et dut demeurer alitée et attendre de meilleurs jours. Mais elle conserva tout son intérêt pour les affai-res de la colonie. Lors de l`arrivée d`un nouveau groupe de colons, les Ursuli-nes apprirent que les dons envoyés pour elles par leurs amis de France n`avaient pu être embarqués faute de place sur le navire. Marie dira: «Je re-mercie Dieu de nous avoir placées dans un pays où, plus qu`en aucun autre, nous devons nous en remettre complètement à Sa divine Provi-dence.» Et elle eut cette confiance jus-qu`à la fin de ses jours. Répondant à une lettre de son fils Claude lui deman-dant pardon de l`avoir fait souffrir à l`occasion du départ de Marie pour le Couvent, elle répliqua: «Pourquoi me demander pardon pour ce que tu ap-pelles les folies de ta jeunesse? Ne réalise-tu pas que tout devait arriver ainsi pour que les conséquences puis-sent nous donner l`occasion de bénir le bon Dieu?»

Le 18 novembre 1671 Mme de la Peltrie, qui avait tant fait pour les Ursu-lines, s`en alla vers sa récompense éternelle, suivant un rhume qui dégéné-ra en pleurésie malgré les meilleurs soins. Le 1er janvier 1672 Marie fut quant à elle affligée d`abcès doulou-reux, mais elle se consolait à la pensée que le couvent comptait maintenant 23 religieuses. Après avoir prié pour une amélioration, Marie fut capable de se lever et d`assister aux offices de la Se-maine Sainte Mais peu après deux énormes abcès se formèrent sur son corps. Le médecin les ouvrit, mais la sainte religieuse savait que cela serait inutile, car elle sentait qu`elle n`avait plus longtemps à vivre. De fait elle ne vécut plus qu`une autre semaine, par-lant très peu, endurant de grandes souf-frances, et demeurant en union avec Dieu. Le 29 avril elle se sentit terri-blement mal, et on lui administra les derniers Sacrements. Mais elle ne vou-lut pas mourir sans avoir pu exprimer son amour pour ses chères petites In-diennes et Françaises, pour lesquelles elle avait voué sa vie. Elle insista donc pour qu`on amène celles-ci près de son lit pour qu`elle puisse les bénir une dernière fois. Le jour suivant on la re-trouva inconsciente, le crucifix entre les mains. Vers 18 heures le soir du 30 avril 1672, Marie ouvrit les yeux, sou-pira deux fois, et expira.

 

Mme. de la Peltrie

Marie of the Incarnation - drawing made at the moment of her death

La Mère St Athanase écrivit alors à Dom Claude, et lui dit qu`à la fin Marie semblait complètement absorbée par la Volonté divine. On ne pourrait mieux exprimer la belle âme et le caractère de Mère Marie de l`Incarnation que par les mots de Mère St Athanase: «Une des choses que j`ai le plus admirées en elle fut sa fidélité exacte et sa parfaite soumission à tout ce qu`elle savait être la volonté de Dieu sur elle. Elle n`était attentive et n`aimait que cela; le reste avait peu d`importance. C`est pour-quoi elle voyait du même œil tout ce qui lui arrivait d`agréable ou de contraire, comme étant la volonté de Dieu; cèst pourquoi elle demeurait toujours de bonne humeur, ce qui était admirable, en toutes circonstan-ces, demeurant toujours la même, tou-jours gentille, toujours calme, sans énervement ou mauvaise humeur… Elle a attendu longuement et ardem-ment la mort, mais en soumission à la Volonté de Dieu; et quand elle s`est présentée elle la reçut de la main de Dieu avec une parfaite satisfaction, de telle manière que ceux qui la virent durant sa dernière maladie s`émerveillèrent de voir le parfait contentement qu`elle avait d`aller vers Dieu, et que nous ne pûmes douter que le Saint Esprit lui avait donné l`assurance de son salut éternel… Elle travailla sans relâche à amener tous les sauvages de ce pays vers le bon-heur éternel; ils étaient toujours dans ses pensées et dans son cœur. Avant sa mort elle nous recommanda forte-ment de continuer de faire tout ce qu`on pourrait pour eux… Mais sa charité embrassait toutes les âmes ra-chetées par le Précieux Sang de Notre Seigneur.»

Peut-être est-ce Mgr de Laval qui résume le mieux la sainte vie de Mère Marie de l`Incarnation: «L`ayant choi-sie pour établir les Ursulines en Nou-velle-France, Dieu lui donna le plein esprit de son institut. Elle fut une par-faite Supérieure, une excellente Maî-tresse des Novices, capable d`entreprendre n`importe quelle en-treprise religieuse. Sa vie extérieure, simple et bien disciplinée, était animée par une vie intérieure intense, en sorte qu`elle était une Règle vivante pour sa Communauté. Son zèle pour le salut des âmes, spécialement pour la conversion des Indiens, était grand et tellement universel qu`elle semblait les porter tous dans son cœur. Nous ne pouvons douter que par ses prières elle a fait descendre du Ciel de nom-breuses bénédictions divines sur l`Église nouvellement née.»

Le Pape Jean-Paul II a béatifié Ma-rie de l`Incarnation le 22 juin 1980, en même temps que Mgr de Laval. Prions pour qu`elle soit bientôt canonisée. ?

Bienheureuse
Marie de l`Incarnation,
priez pour nous!

 

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