Les Vrais Vivants, Les Saints
«Et
je vis, mais ce n`est plus moi qui vit, c`est le Christ qui vit en moi.»
(Gal. 2 :20)
Par
M. Roger Zielke
La
Mère des Ursulines de Nouvelle-France
Bienheureuse Marie de l`Incarnation (1599-1672)
Quand on lit les
biographies des grands saints et héros qui ont sacrifié
leur vie pour bâtir la Nouvelle-France, on peut se demander comment
ils ont pu le faire. Comment ontils pu sacrifier une vie confortable
en France pour venir dans cette contrée encore très peu
civilisée? Il n`y a aucun doute que c`était l`amour…
l`amour de Dieu, l`amour de l`homme, et celui des âmes. Marie
de l`Incarnation comprenait bien sa responsabilité vis-à-vis
des âmes. C`était une femme qui aimait immen-sément,
Dieu d`abord, et son frère hu-main. Elle fut épouse et
mère, religieuse et mystique, enseignante et missionnaire.
Marie de l`Incarnation
est née le 28 octobre 1599 à Tours, en France. Elle était
le quatrième enfant de Florent et Jeanne Guyart. Ceux-ci étaient
tous deux de fervents Catholiques, éduquant leurs enfants dans
la crainte et l`amour de Dieu. Dès son enfance Marie Guyart apprit
à aider et à soigner les pauvres et les malades. Elle
aimait beaucoup la Messe et les dévotions catholiques, et c`est
sa Foi qui deviendra le moteur de ses entreprises.
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Quand elle avait
sept ans Marie fit un rêve étrange dans lequel elle se
voyait en train de jouer dans une cour d`école en compagnie d`autres
enfants. À ce sujet elle écrira: «Levant les
yeux au ciel, je vis alors les cieux s`ouvrir, et Notre Seigneur descendant
vers moi sous une forme humaine. Le voyant je criai à mes camarades:
`Voyez! C`est Notre Seigneur, et Il vient vers moi!` Quand cette très
adorable Majesté m`approcha, je sentis mon cœur en-flammé
par Son Amour. Je commen-çai à étendre mes bras
pour l`embrasser, et Lui, avec un regard plein de douceur et très
attirant, me prit dans ses bras et me donna un bai-ser avec un indescriptible
amour et Il me dit: `Veux-tu être à Moi?` Je répondis,
`Oui!`»
Plusieurs années
plus tard Marie comprit que Dieu voulait qu`elle suive une vie de prière
mais, malgré son in-clination pour la vie religieuse, elle épousa
à l`âge de dix-sept ans un homme d`affaire nommé
Claude Martin. En effet ses parents voulaient qu`elle le mariât,
et elle sentit qu`elle devait leur obéir. Elle écrira:
«Je me suis laissée guider par mes parents comme une
aveugle.» Et Marie sentit dans son cœur que si Dieu
la bénissait par un fils, elle le consacrerait à Son service,
et que si elle devenait libre, elle-même se consacrerait à
Dieu.
En 1620, à
peine deux après après ce mariage, l`époux de Marie
décéda; âgée d`à peine 19 ans, celle-ci
se trou-vait donc seule, avec un fils de six mois (prénommé
Claude) sur les bras. Elle alla d`abord rejoindre le logis paternel,
puis elle accepta peu après l`invitation de sa sœur à
venir aider son mari, M. Buisson, un marchand prospère ayant
de nombreux serviteurs sous ses ordres. De cette période de sa
vie Marie écrira: «Je considérais que c`était
une grande gentillesse de la part des Buisson de me prendre chez eux,
et que j`avais une dette envers eux à cause de mon inutilité;
je me sentais donc obligée de leur obéir en toutes choses.»
En 1621 notre
jeune amie fit un vœu de chasteté, sous la houlette de son
directeur spirituel. Par la suite elle fit les vœux de pauvreté
et d`obéissance. Ce dernier vœu l`obligeait à obéir
à son directeur, et aussi au couple Buisson, qui ne sut rien
de tout cela. Les dix ans qu`elle vécut chez eux ne furent pas
faciles: «Dieu seul sait ce que j`ai souffert par cette obéissance.
C`est dans l`obéissance qu`on trouve Dieu.» Marie
se tenait occupée du matin au soir; elle avait de grandes responsabilités.
À part l`aide à fournir aux serviteurs, et les soins aux
malades, Marie devait en effet vérifier et compter la marchandise,
et établir des contrats avec d`autres marchands. Et elle était
toujours la dernière à quitter les quais à la fin
de la journée, après avoir fait une dernière inspection
des chevaux.
Comme le temps
passait, le désir de notre amie de se consacrer à Dieu
ne faisait que grandir. Bien qu`elle connût plusieurs communautés
religieuses, elle n`arrivait pas à faire son choix. En 1625 les
Ursulines de Tours déménagèrent sur la Rue du Poitou,
dans laquelle Marie allait et venait quotidiennement pour son travail.
Et à chaque fois qu`elle passait devant leur couvent, elle sentait
son cœur bondir, et allait y faire une visite. Elle croyait que
Dieu la voulait dans ce couvent, et elle devint amie avec Mère
St Bernard qui y habitait. Quand cette dernière fut élue
Prieure, elle parla à Marie de vocation, et celle-ci en référa
à Dom Raymond, son directeur spirituel. Bien qu`indifférent
au début, il alla plus tard en discuter avec Mère St Bernard,
et celle-ci le convainquit de la vocation de Marie. Il devint alors
complètement en faveur de ce projet, aidant à en écarter
tous les obstacles. C`est lui qui réussit à convaincre
les Buisson de prendre soin du jeune Claude, et de laisser Marie entrer
au couvent.
Le Monastere
des Ursulines De Tours (France)
Avant de faire le pas, Marie décida néanmoins de consulter
le Supérieur clérical des Ursulines, ainsi que l`Archevêque
de Tours. Tous deux ap-prouvèrent et aidèrent sa vocation.
Quand elle entra chez les Ursulines Marie avait 31 ans, et Claude onze.
Malgré que sa sœur, mme Buisson, ait promis de prendre bien
soin de son en-fant, Marie se sentait déchirée à
l`idée de s`en séparer, et elle ne le fit que pour obéir
à son vœu d`obéissance: «Je souffris plus
en quittant mon fils, que j`aimais par-dessus tout, que si j`avais dû
perdre tous les biens imagina-bles… Il me semblait être
coupée en deux.» Notre amie devint en religion Sœur
Marie de l`Incarnation.
Le 25 janvier
1633, deux ans après son entrée au couvent, Marie prononça
ses vœux: «Je vis la voie de l`amour si douce, et toutes
choses si faciles, qu`il me semblait qu`il n`y aurait jamais aucune
difficulté en agissant ou en souffrant pour mon Bien-Aimé
à Qui je venais de m`offrir et de m`abandonner en toutes choses
à Son bon plaisir.» Marie se donna donc en-tièrement
à Dieu. Durant cette période chez les Ursulines, Marie
n`avait plus de directeur spirituel, mais finalement elle en trouva
un bon en la personne du Père de la Haye, et celui-ci lui demanda
un récit écrit de toutes les grâces qu`elle avait
reçues depuis son enfance. Dans sa grande humilité elle
lui de-manda de pouvoir écrire aussi les pé-chés
qu`elle avait commis, car elle ne voulait pas que les lecteurs puissent
la prendre pour une sainte. Le Père l`aida aussi par rapport
à Claude, et il obtint pour lui des bienfaiteurs prêts
à payer pour ses études; le jeune garçon fut donc
envoyé à Orléans dans ce but.
Durant ses premières
années de vie religieuse Marie souffrit de plusieurs épreuves.
Même sa vie d`obéissance et sa Foi en Dieu lui semblaient
parfois sans signification. Mais Dieu se servait de ces épreuves
pour amener Marie plus près de Lui, et pour la préparer
à des souffrances encore plus dures.
En octobre 1633,
notre jeune sainte fit un second rêve, dans lequel elle était
avec une femme inconnue. Tous les deux quittèrent leur maison
et allèrent dans une vaste contrée où le ciel était
le seul toit. Là elles virent une petite église sur laquelle
se tenait la Sainte Vierge parlant à l`Enfant Jésus dans
ses bras. Marie ne pouvait entendre, mais elle tendit les bras vers
Notre Dame; celle-ci se tourna alors vers elle avec un sourire plein
d`amour, et l`embrassa sans un mot. Quand Marie se réveilla,
elle sut que Dieu lui préparait quelque chose de spécial,
mais ne savait quoi. Puis en 1635 elle révéla pour la
première fois son rêve, et ce fut au supérieur des
Jésuites de Tours. Celui-ci lui dit aussitôt que ce pays
étrange était la Nouvelle-France, et que ce rêve
se réaliserait un jour. C`est à ce moment que Marie entendit
parler de la Nou-velle-France pour la première fois!
Quelques mois
plus tard elle apprit que Dom Raymond se préparait à faire
le voyage de Nouvelle-France, et elle lui écrivit pour lui faire
part de son désir d`y aller un jour, mais elle reçut une
réponse décourageante. Il refusa d`approuver son projet
avant d`avoir parlé plus longuement avec elle. Il croyait que
ses désirs étaient en contradiction avec sa vocation d`Ursuline,
mais il admettait qu`il se pourrait que la main de Dieu soit à
l`œuvre. Mais plus il semblait impossible qu`elle puisse se rendre
en Nouvelle-France, plus son désir augmentait. Finalement Dom
Raymond reconnut le caractère divin de ce désir, et il
approuva le choix de Marie. En même temps celle-ci priait le bon
Dieu de faire obstacle à tout ce qui n`était pas selon
Sa Volon-té.
À l`hiver
1636 notre amie eut une nouvelle vision dans laquelle Dieu lui dit:
«C`est la Nouvelle-France que je t`ai montrée, tu dois
t`y rendre et y construire une maison pour Jésus et Marie.»
Bien que Marie fut bien bien humble devant cet ordre, elle osa répli-quer:
«Ô mon grand Dieu, je sais que Vous pouvez faire toutes
choses et que je ne puis rien! Si Vous désirez m`aider, je suis
prête. Je promets de vous obéir! Accomplissez Votre très
adorable Volonté en moi et par moi.» Marie commença
donc à correspondre avec les missionnaires de Nouvelle- France
et elle consulta son directeur spirituel. Le désir de s`embarquer
dès que possible lui brûlait le cœur. En même
temps le Père Lejeune de Qué-bec envoyait en France des
invitations aux religieuses et aux dames de haut rang. Il enjoignait
à ces dernières de consacrer leurs vies et leurs fortunes
à l`éducation des petites filles indiennes, au lieu de
perdre leur temps dans des frivolités.
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Mme.
de la Peltrie
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Mme de la Peltrie,
une riche veuve d`Alençon, entendit cet appel puis de-vint si
terriblement malade que les doc-teurs perdirent tout espoir de la sauver.
Étendue sur son lit de mort elle fit vœu à St joseph
de se donner en entier au bien-être des Indiens si elle venait
à guérir. Puis elle s`endormit. À son ré-veil
elle se rendit compte qu`elle était parfaitement guérie!
Dom Raymond quant
à lui dut abandonner complètement son projet de se rendre
en Nouvelle-France. Dé-sappointée, Marie dut se tourner
ail-leurs pour trouver de l`aide. Elle reçut un jour une lettre
du Père Poncet, an-cien professeur de Claude à Orléans,
et qui se préparait à se rendre dans la jeune colonie.
Il lui envoyait aussi une copie de la «Relation» des Jésuites
(ré-cit de leur vie au Canada) et lui écrivit: «Pour
vous convaincre de venir servir Dieu en Nouvelle-France.» Ce fut
pour notre jeune sainte un autre signe que Dieu voulait qu`elle suive
les dé-sirs de son cœur. Et bien qu`elle dût attendre
pendant une autre année et souffrir plusieurs épreuves,
sa convic-tion de faire la volonté de Dieu lui permit de franchir
tous les obstacles.
En 1638, soit
cinq ans après son premier songe au sujet de la Nouvelle-France,
le Père Poncet lui écrivit en disant: «Le temps
est venu, fixé par Dieu, pour que vous réalisiez Ses plans.»
Il avait rencontré Mme de la Peltrie qui elle aussi avait décidé
d`aider les missions de Nouvelle-France par une nouvelle fondation.
Ma-rie lui écrivit aussitôt, mais se rendre dans la colonie
n`était pas une tâche facile. Il fallait vaincre des problèmes
de toutes sortes. Un de ceux-ci fut que sa sœur tenta d`utiliser
son affection pour son fils Claude comme un moyen de la retenir en France.
Claude avait maintenant dix-neuf ans, et la dernière rencontre
avec sa mère avait créé de nouveaux liens entre
leurs cœurs. Il comprenait l`amour de sa mère pour lui,
et en retour il l`aimait et l`admirait de plus en plus.
Le Père
Poncet organisa une ré-union entre Mme de la Peltrie et la Sœur
de l`Incarnation. Les deux fem-mes s`entendirent si bien que la date
du départ fut fixée au 22 février 1639. Bientôt
Sœur Marie de l`Incarnation et sa compagne, Sœur Marie de
St Jo-seph, étaient prêtes à partir, et elles allèrent
prendre congé de l`Archevêque de Tours. Marie lui demanda
de leur commander ce voyage au nom de l`obéissance, et c`est
ce qu`il fit. Elles quittèrent alors pour Dieppe, où elles
furent rejointes par une autre Ursuline. Elles allaient donc être
trois sœurs de la même congrégation à effectuer
le péril-leux voyage, et à commencer leur fon-dation en
Nouvelle-France.
Le 4 mai 1639,
les premières fem-mes à se rendre comme missionnaires
en Nouvelle-France prenaient place à bord du navire «St-Joseph»,
et firent voile vers la petite colonie. Il y avait là : trois
sœurs Ursulines, trois Sœurs Hospitalières Augustiniennes,
Mme de la Peltrie, et Charlotte Barré, une jeune fille de 19
ans qui deviendra Ursuline par la suite. La traversée de l`Atlantique
avec ses flots turbulents, ses icebergs, et se pirates dura environ
trois mois. Il arriva une fois que le ba-teau faillit être coupé
en deux par un énorme iceberg! À d`autres moments la brume
était si épaisse que le capitaine perdit le cap et le
navire côtoya de dangereux récifs pendant près de
60 lieues, malgré ses efforts de l`en tenir loin. Finalement,
avec la protection et l`aide du bon Dieu, le navire accosta au port
de Québec le 1er août 1639.
Sœur Marie
de l`Incarnation com-mença sa vie en Nouvelle-France dans une
grande pauvreté. On donna aux Ursulines une maison petite et
délabrée qu`elles devaient partager avec les peti-tes
Sauvagesses. Elles étaient si pau-vrement logées qu`elles
pouvaient voir les étoiles le soir à travers les trous
de leur toit. Il était presque impossible de maintenir une chandelle
allumée dans la maison, car le vent traversant les craques des
murs les soufflait. Mais les Sœurs s`empressèrent d`apprendre
le langage des Indiennes, de façon à pou-voir leur apprendre
les vérités de la Foi Catholique.
En 1641 la construction
d`un cou-vent fut entrepris grâce à l`aide de Mme de la
Peltrie et de ses amis. Ma-rie, qui venait d`être nommée
Mère Supérieure écrit au sujet des difficultés
de cette entreprise: «Nous allons de-voir nous priver du moindre
mets déli-cat, et même de nos nécessités…»
Il fallait en effet payer les ouvriers. Parmi toutes ces épreuves,
Marie eut la joie de recevoir une lettre de son fils Claude, dans laquelle
il lui disait qu`il avait été admis comme Postulant dans
l`Ordre Bénédictin. Mais cette joie fut assombrie par
la nouvelle que sa bonne amie Mme de la Peltrie allait bientôt
partir s`établir à Montréal. Cette sainte femme
pensait en effet que telle était la volonté de Dieu. Et
dire que Mme de la Peltrie s`en allait juste pendant la cons-truction
du couvent!
Mère Marie
travailla néanmoins avec une Foi robuste en Dieu; privée
de moyens matériels, elle dut quêter ça et là
pour en obtenir. Puis à l`automne de 1642, le jour de la fête
de la Présenta-tion de Marie (21 novembre), Les Ur-sulines et
leurs pensionnaires allèrent en procession prendre possession
de leur couvent. Celui-ci n`était pas en-core achevé,
et durant l`hiver elles souffrirent affreusement du froid. Mère
Marie écrira à Claude: «Parfois les Prêtres
courent le risque d`avoir les mains ou les oreilles gelées alors
qu`ils disent la Messe!»
En 1643 Claude
Martin écrira à sa mère qu`il venait de prononcer
ses vœux de religion, et lui demanda s’il la reverrait un
jour. Heureuse de voir son vœu formulé lorsqu`elle était
enceinte se réaliser, elle lui répondit cependant: «Laissons
cela à Dieu. Je le voudrais autant que toi, mais je ne veux rien
désirer si ce n`est en Lui et pour Lui; abandonnons donc nos
volontés pour Son Amour.» Durant l`automne de cette même
année, Mme de la Peltrie retourna à Québec après
une absence de dix-huit mois, et elle fut autorisée à
vivre dans le cloître et à suivre la vie régulière,
tout en demeurant vêtue en civil et en ne prononçant pas
de vœux. Mais trois ans plus tard elle demanda à être
admise parmi les Ursulines, mais celles-ci refusèrent, arguant
que son désir était trop en contradiction avec son tempérament
et sa mission de fon-datrice. Elle continua donc comme avant, et vécut
en parfaite harmonie avec les Sœurs.
En plus de devoir
faire face aux problèmes matériels, et à l`obligation
pour elle de trouver constamment des bienfaiteurs pour la mission, Marie
de-vait aussi établir l`unité dans sa com-munauté.
Comme les Ursulines arri-vaient à Québec de différents
couvents de France, chacun ayant des coutumes et règlements un
peu différents, elle s`évertua à rédiger
des constitutions qui permettraient à toutes les Sœurs de
vi-vre en harmonie. À cette fin elle de-manda l`aide des Couvents
français de Tours, Paris, Dieppe et Ploërmel. Quand leur
réponse vint, elle fut posi-tive, mais la matière était
alors entre les mains de la nouvelle Supérieure, Mère
St Athanase, une des premières com-pagnes de Mère Marie.
Un autre problème
était la cons-tante menace iroquoise. Le peuple de Québec
vivait alors dans la crainte per-pétuelle de se voir attaqués
par les fé-roces sauvages. En 1649 une guerre éclata de
nouveau entre les tribus in-diennes et les chrétiens. C`est durant
cette période que les Pères Jésuites Brébeuf,
Garnier, et Lalement furent torturés et brûlés avec
leurs fidèles in-diens convertis. Et tous les Prêtres et
les survivants de la Mission Huronne furent forcés de quitter
leurs logis et de se réfugier à Québec. Malgré
tout cela Marie demeurait en paix, et continuait d`étudier la
langue huronne, comme si rien d`autre n`était pour arriver, met-tant
toute sa confiance en Dieu seul. Puis les Ursulines reçurent
une bonne nouvelle: le fils de Mère Marie venait d`être
ordonné Prêtre le 10 novembre 1649, huit ans après
son entrée chez les Moines Bénédictins.
Déjà
les Ursulines partageaient la pauvreté et la vie dure des autres
mem-bres de la colonie, mais pire que cela devait survenir: Le 30 décembre
1650 leur beau couvent neuf fut rasé par les flammes! Pieds nus
dans la neige, la Mère St Athanase le regarda se consu-mer, et
au lieu de blâmer la pauvre pe-tite Sœur qui avait eu l`inconscience
de placer un pot de charbons brûlants sous le bac de bois contenant
la pâte à pain, dans le désir que celle-ci gonfle
plus vite, elle se recommanda à la divine Providence et pria
tranquillement au milieu de ses compagnes. Les Ursuli-nes et les filles
demeurèrent trois se-maines à l`Hôtel-Dieu de Québec,
puis elles se transportèrent à la maison de Mme de la
Peltrie, une habitation d`à peine 20 pieds par trente qui réussit
à contenir la chapelle, le parloir, le réfec-toire, et
divers bureaux. Les classes étaient données dans des huttes
en écorce de bouleau dressées à côté.
Elles y demeurèrent pendant quinze mois, soit jusqu`à
ce qu`un nouveau couvent soit construit. Mais durant l`intervalle, plusieurs
amis de France virent dans la catastrophe un signe de la Providence
indiquant la nécessité du retour des Ursulines en France.
Mais avec une
confiance totale en Dieu et en la protection de la Sainte Vierge, les
Ursulines entreprirent la construction d`un nouveau couvent dès
le printemps de 1651, malgré leur pau-vreté, et le peu
d`espoir qu`elles avaient de recevoir de l`aide de la Mère Patrie.
Pendant cette période Mère de l`Incarnation, de nouveau
élue Supé-rieure, écrivit ces lignes à son
fils Dom Claude Martin O.S.B.: «Dieu a des trésors en réserve
pour les âmes sim-ples qui se confient toutes en Lui. Nous devons
croire que nous avons un Dieu qui a pris soin de nous à cha-que
minute de notre passé, et qu`Il fera de même pour notre
futur.» Le nouveau couvent fut complété en avril
1652, et il était plus grand et plus beau que celui qui avait
brûlé. Dieu avait en effet béni les Ursulines pour
leur Foi et leur confiance en Lui.
Quant à
Dom Claude il fut, à partir de 1652, élu successivement
Prieur, Assistant, Définiteur, et Président du Chapitre
Général de son Ordre. Pen-dant trente ans Marie Guyart
l`avait encouragé et avisé avec beaucoup de sagesse et
de tendresse. En 1654 elle prépara sur sa demande expresse un
récit de sa vie spirituelle. Cette auto-biographie est l`un des
écrits les plus importants de notre sainte. Pressée par
son directeur spirituel elle écrivit: «Le Père Lalement
m`a dit de demander à Notre Seigneur de me faire savoir s`Il
désirait me voir faire quelque chose en Son honneur avant ma
mort. Après avoir prié par obéissance, j`eus deux
révélations: la première me disait de m`offrir
en sacrifice à la divine Ma-jesté, pour qu`Il puisse me
consumer à son aise pour le salut de ce pauvre pays; la seconde
était que j`écrive au sujet des chemins par lesquels Il
m`a menée depuis qu`Il m`a appelée à la vie intérieure.»
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Monseigneur
de Laval,
Premier Évêque de Québec (1623-1708)
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À cause
du zèle apostolique des missionnaires, l`Église de Nouvelle-France
grandit considérablement, et eut bientôt besoin d`un Évêque.
Mgr de Laval arriva de France en 1659, plus tôt que prévu.
Mais parce qu`il n`y avait pas de logis prêt pour lui, les Ur-sulines
l`accueillirent chez elle, lui prê-tant une partie de leur édifice;
elles firent joyeusement le sacrifice de leur espace, en attendant la
construction d`un palais épiscopal.
Mère Marie
était bien consciente des problèmes existant en Nouvelle-France.
Un des plus grave était le mal fait aux Indiens par l`échange
de bois-son contre la fourrure. Elle écrivait: «Dans ce
pays il y a quelques Fran-çais qui sont si mauvais qu`ils causent
la perte de nos nouveaux Chrétiens en leur vendant de l`alcool
en échange de leurs peaux de castor. La boisson est la plaie
de ces pauvres gens… Jour et nuit ils vont et viennent complètement
nus en brandissant des sabres, et ils mettent tout le monde en fuite…
S`ensuivent meurtres, viols, et des brutalités incroyables. Les
Pères ont fait tout ce qu`ils ont pu pour mettre un frein à
ce mal, tant du côté des Français que de celui des
Indiens, mais tous leurs efforts furent vains… Notre Prélat
a fait tout son possible pour le faire cesser, car cela mène
directement à la ruine de la Religion et de la Foi. Il a utilisé
toute sa per-suasion pour éloigner les Français d`un commerce
qui est si contraire à la gloire de Dieu et au salut des Sau-vages.»
Au fil des ans Marie continua d`être soit la Supérieure
de la commu-nauté, soit la responsable des biens ma-tériels
du Couvent. Dieu lui a aussi permis de maîtriser les dialectes
in-diens suivants: Huron, Algonquin, Iro-quois, et Montagnais. Non seulement
cela, mais elle rédigea des dictionnai-res, livres de prières,
et catéchismes en ces langues, traduisant même des par-ties
de la sainte Écriture!
Quand elle eut
un peu plus de soixante ans, elle ressentit un ardent désir de
passer plus de temps avec le bon Dieu. Elle écrira à la
Mère St Ber-nard en France: «Je continue à souhai-ter
un peu de repos pour me préparer convenablement à la mort.
Tout le monde me taquine quand ils m`entendent parler ainsi, car tous
croient que j`ai un amour incessant pour l`action. C`est parce que je
suis rapide, et que je ne me démonte pas facilement, mais ils
ne voient pas le fond de mon cœur qui languit pour son unique Bien.»
Malgré le ton de cette lettre, Marie n`en continuera pas moins
d`assumer le fardeau de ses res-ponsabilités. Elle écrivit
à Claude: «Pensons que c`est précisément
par le moyen de toutes ces affaires que nous nous sanctifierons vous
et moi, car ce qui est le plus parfait à Ses yeux est que nous
accomplissions Ses ordres.»
En 1664, alors
qu`elle avait 65 ans, la santé de notre amie chancela; elle était
épuisée, et dut demeurer alitée et attendre de
meilleurs jours. Mais elle conserva tout son intérêt pour
les affai-res de la colonie. Lors de l`arrivée d`un nouveau groupe
de colons, les Ursuli-nes apprirent que les dons envoyés pour
elles par leurs amis de France n`avaient pu être embarqués
faute de place sur le navire. Marie dira: «Je re-mercie Dieu de
nous avoir placées dans un pays où, plus qu`en aucun autre,
nous devons nous en remettre complètement à Sa divine
Provi-dence.» Et elle eut cette confiance jus-qu`à la fin
de ses jours. Répondant à une lettre de son fils Claude
lui deman-dant pardon de l`avoir fait souffrir à l`occasion du
départ de Marie pour le Couvent, elle répliqua: «Pourquoi
me demander pardon pour ce que tu ap-pelles les folies de ta jeunesse?
Ne réalise-tu pas que tout devait arriver ainsi pour que les
conséquences puis-sent nous donner l`occasion de bénir
le bon Dieu?»
Le 18 novembre
1671 Mme de la Peltrie, qui avait tant fait pour les Ursu-lines, s`en
alla vers sa récompense éternelle, suivant un rhume qui
dégéné-ra en pleurésie malgré les
meilleurs soins. Le 1er janvier 1672 Marie fut quant à elle affligée
d`abcès doulou-reux, mais elle se consolait à la pensée
que le couvent comptait maintenant 23 religieuses. Après avoir
prié pour une amélioration, Marie fut capable de se lever
et d`assister aux offices de la Se-maine Sainte Mais peu après
deux énormes abcès se formèrent sur son corps.
Le médecin les ouvrit, mais la sainte religieuse savait que cela
serait inutile, car elle sentait qu`elle n`avait plus longtemps à
vivre. De fait elle ne vécut plus qu`une autre semaine, par-lant
très peu, endurant de grandes souf-frances, et demeurant en union
avec Dieu. Le 29 avril elle se sentit terri-blement mal, et on lui administra
les derniers Sacrements. Mais elle ne vou-lut pas mourir sans avoir
pu exprimer son amour pour ses chères petites In-diennes et Françaises,
pour lesquelles elle avait voué sa vie. Elle insista donc pour
qu`on amène celles-ci près de son lit pour qu`elle puisse
les bénir une dernière fois. Le jour suivant on la re-trouva
inconsciente, le crucifix entre les mains. Vers 18 heures le soir du
30 avril 1672, Marie ouvrit les yeux, sou-pira deux fois, et expira.
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Marie
of the Incarnation - drawing made at the moment of her death
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La Mère
St Athanase écrivit alors à Dom Claude, et lui dit qu`à
la fin Marie semblait complètement absorbée par la Volonté
divine. On ne pourrait mieux exprimer la belle âme et le caractère
de Mère Marie de l`Incarnation que par les mots de Mère
St Athanase: «Une des choses que j`ai le plus admirées
en elle fut sa fidélité exacte et sa parfaite soumission
à tout ce qu`elle savait être la volonté de Dieu
sur elle. Elle n`était attentive et n`aimait que cela; le reste
avait peu d`importance. C`est pour-quoi elle voyait du même œil
tout ce qui lui arrivait d`agréable ou de contraire, comme étant
la volonté de Dieu; cèst pourquoi elle demeurait toujours
de bonne humeur, ce qui était admirable, en toutes circonstan-ces,
demeurant toujours la même, tou-jours gentille, toujours calme,
sans énervement ou mauvaise humeur… Elle a attendu longuement
et ardem-ment la mort, mais en soumission à la Volonté
de Dieu; et quand elle s`est présentée elle la reçut
de la main de Dieu avec une parfaite satisfaction, de telle manière
que ceux qui la virent durant sa dernière maladie s`émerveillèrent
de voir le parfait contentement qu`elle avait d`aller vers Dieu, et
que nous ne pûmes douter que le Saint Esprit lui avait donné
l`assurance de son salut éternel… Elle travailla sans relâche
à amener tous les sauvages de ce pays vers le bon-heur éternel;
ils étaient toujours dans ses pensées et dans son cœur.
Avant sa mort elle nous recommanda forte-ment de continuer de faire
tout ce qu`on pourrait pour eux… Mais sa charité embrassait
toutes les âmes ra-chetées par le Précieux Sang
de Notre Seigneur.»
Peut-être
est-ce Mgr de Laval qui résume le mieux la sainte vie de Mère
Marie de l`Incarnation: «L`ayant choi-sie pour établir
les Ursulines en Nou-velle-France, Dieu lui donna le plein esprit de
son institut. Elle fut une par-faite Supérieure, une excellente
Maî-tresse des Novices, capable d`entreprendre n`importe quelle
en-treprise religieuse. Sa vie extérieure, simple et bien disciplinée,
était animée par une vie intérieure intense, en
sorte qu`elle était une Règle vivante pour sa Communauté.
Son zèle pour le salut des âmes, spécialement pour
la conversion des Indiens, était grand et tellement universel
qu`elle semblait les porter tous dans son cœur. Nous ne pouvons
douter que par ses prières elle a fait descendre du Ciel de nom-breuses
bénédictions divines sur l`Église nouvellement
née.»
Le Pape Jean-Paul
II a béatifié Ma-rie de l`Incarnation le 22 juin 1980,
en même temps que Mgr de Laval. Prions pour qu`elle soit bientôt
canonisée. ?
Bienheureuse
Marie de l`Incarnation,
priez pour nous!