Fraternité Sacerdotale Pie X Canada

Communicantes

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Communicantes: Juillet – Septembre 2004
 

En Fin De Compte, C`Est Contents Qu`On Conte Un Conte Qui Compte

Par Hector Hugh Munro, alias Saki (1870-1916)

Les Rôdeurs

Hector H. Munro était le fils d`un of-ficier de l`armée britannique en poste à Burma (Asie). Envoyé en Angleterre pour y être éduqué par ses tantes à la mort de sa mère, il alla à l`école jusqu`en 1885, quand son père, retraité de l`armée, re-tourna en ce pays pour y diriger l`éducation de son fils. Ils voyagèrent en-semble presque partout en Europe, et plus tard Hugh devint journaliste, et même correspondant à l`étranger d`un journal londonien. Il écrivit plusieurs histoires courtes ayant une bonne intrigue. Mem-bre du 22nd Royal Fusiliers depuis 1914, il fut tué lors d`une bataille en 1916.
Hector Hugh Munro

 

Dans une forêt mixte quelque part sur le versant est de la chaîne des Car-pates, lors d`une nuit d`hiver, un homme se tenait aux aguets, regardant et écoutant. On eût dit qu`il attendait qu`une bête sauvage vienne dans son champ de vision et à portée de sa cara-bine. Mais le gibier pour lequel il se livrait à une veille si patiente ne figu-rait nulle part au carnet du chasseur sportif; Ulrich von Gradwitz patrouil-lait la noire forêt en quête d`une cible humaine.

Les terres forestières de Gradwitz étaient de grande superficie et pleines de gibier; l`étroite langue de forêt le long d`un cap rocheux qui en marquait la bordure n`était remarquable ni par le gibier qu`elle recelait, ni par les oppor-tunités de tirer au fusil, mais c`était la plus jalousement gardée de toutes les possessions du propriétaire. Une pour-suite judiciaire fameuse l`avait, du temps de son grand-père, enlevée à la possession illégale d`une famille voi-sine de petits propriétaires terriens. La partie dépossédée n`avait jamais admis la validité du jugement de la court, et une longue série d`incidents de bracon-nage et autres scandales avaient amené l`amertume dans les relations des deux familles durant trois générations. La vendetta contre les voisins s`était enve-nimée et avait pris un tour personnel lorsque Ulrich devint chef de famille; s`il y avait au monde un homme qu`il détestait et auquel il souhaitait du mal, c`était bien Georg Znaeym, l`héritier de la querelle, et le voleur de gibier et rôdeur de la forêt frontalière disputée.

La vendetta aurait pu, peut-être, cesser ou du moins diminuer, n`eût été de la mauvaise volonté des deux hom-mes; commes jeunes garçons déjà ils étaient assoiffés du sang l`un de l`autre; comme hommes ils espéraient que la malchance s`abattrait sur l`autre; et lors de cette nuit venteuse d`hiver, Ulrich avait ameuté ses forestiers pour qu`ils surveillent la noire forêt, non en quête d`un gibier quadrupède, mais pour rechercher les braconniers qu`il suspectait être dans les parages de l`étroite langue de terre. Les chevreuils, qui normalement se terraient dans les creux de la falaise en temps de grand vent, couraient ce soir un peu partout; et il y avait aussi du mouvement et de l`inquiétude parmi les créatures qui d`habitude dorment durant la nuit. As-surément il y avait un élément déran-geant dans la forêt cette nuit, et Ulrich pouvait deviner qui en était la cause.

Il s`éloigna des veilleurs qu`il avait disposés à la crête de la montagne, et s`aventura loin au bas des pentes es-carpées, à travers le fouillis de la végé-tation, scrutant à travers les troncs d`arbres, écoutant le sifflement du vent et l`incessant bruit des branches, afin de capter l`image ou le son des rôdeurs. Si seulement il pouvait, au milieu de cette nuit sauvage, en cet endroit obs-cur et isolé, rencontrer Georg Znaeym, d`homme à homme, sans témoins – tel était le plus grand désir de son cœur. Et comme il faisait le tour d`un énorme hêtre, il se trouva face à face avec l`homme qu`il recherchait.

Les deux ennemis se foudroyèrent du regard en silence pendant un long moment. Chacun avait en main une carabine; chacun avait la haine au cœur et le meurtre à l`esprit. Le hasard ve-nait de fournir à la passion d`une vie entière la chance de se donner libre cours. Mais un homme qui a été formé à l`école d`une civilisation rigide ne pouvait se résoudre à tuer de sang-froid son ennemi, sans d`abord lui adresser quelques mots d`explication. Et avant que ce moment d`hésitation ne laisse place à l`exécution, un acte violent de la nature elle-même vint les en empê-cher. Un hurlement féroce de la tem-pête fut suivi par celui de bois cassé et fendu plus haut dans la falaise; et avant qu`ils aient pu se ranger de côté, la masse d`un énorme hêtre s`abbatttit sur eux. Ulrich von Gradwitz se retrouva étendu sur le sol, un bras paralysé sous lui, et l`autre guère plus utile, car pris dans un amas de branches; ses deux jambes étaient bloquées sous la masse de l`arbre. Ses solides bottes de chasse avaient empêché ses pieds d`être mis en pièces. Mais si ses blessures n`apparurent pas trop graves à Ulrich, il n`en était pas moins conscient d`être immobilisé jusqu`à ce que quelqu`un lui vienne en aide. Les rameaux des branches lui avaient aussi lacéré le vi-sage, et il dut battre des paupières pour être en mesure de regarder, malgré le sang, l`étendue du désastre autour de lui. À son côté, si près qu`en des cir-constances normales il aurait presque pu le toucher, Georg Znaeym était étendu, vivant et se débattant, mais à l`évidence aussi mal pris que lui-même. Tout autour d`eux se voyait un amas informe de branches tordues, dé-chirées, cassées.

Le soulagement d`être toujours vi-vant, joint à l`exaspération de se voir captif, amena sur les lèvres d`Ulrich un curieux mélange de pieuses actions de grâce, et de féroces malédictions. Georg, presque aveuglé par le sang qui lui coulait sur les yeux, cessa de se dé-battre un moment pour écouter, puis il émit un rire court et hargneux.

-«Ainsi tu n`as pas été tué, comme tu l`aurais dû; mais de toutes façons te voilà pris,» cria-t-il; «complètement bloqué. Ho! Quelle bonne blague, Ulrich von Gradwitz piégé dans sa forêt volée. Enfin la justice a sévi!» Et il rit de nouveau, moqueusement et sauvagement.

-«Je suis pris dans ma propre forêt,» répliqua Ulrich. «Quand mes hommes viendront pour nous délivrer, tu souhaiteras, peut-être, t`être trouvé dans une meilleure situation que celle d`être capturé en train de braconner sur la terre de ton voisin. Quelle honte!»

Georg demeura silencieux pour un moment; puis il répondit calmement:

-«Es-tu certain que tes forestiers auront vraiment grand chose à délivrer? J`ai moi aussi des hommes dans la forêt, et ils me suivent de près; ils seront ici les premiers. Lorsqu`ils me retireront de dessous ces branches, ils n`auront pas besoin d`être très maladroits pour que la masse du tronc ne te roule dessus. Tes hommes ne trouveront plus qu`un cadavre sous un hêtre abattu par la tempête. Pour maintenir les conventions j`enverrai mes condoléances à ta famille.»

-«Voilà une suggestion très utile,» dit Ulrich férocement. «Mes hommes avaient ordre de me suivre à dix minutes de distance, et déjà sept ont bien dû s`écouler; et quand ils me sortiront de là je me souviendrai de ton idée. Mais comme tu auras trouvé la mort en braconnant sur mes terres, je ne crois pas qu`il serait décent que j`envoie mes condoléances à ta fa-mille.»

-«Bon,» grogna Georg, «bon. Nous réglerons cette querelle à mort, toi et moi, et nos hommes, sans maudit intermédiaire entre nous. Mort et damnation à toi, Ulrich von Grad-witz!»

-«La même chose pour toi, Georg Znaem, bandit de la forêt, et voleur de gibier!»

Les deux hommes parlèrent avec toute l`amertume d`une défaite possi-ble, car chacun d`eux savait qu`il pou-vait se passer un long temps avant que ses propres hommes se mettent à sa recherche et le trouvent; seule la chance ferait qu`un groupe arrive avant l`autre.

Tous deux avaient cessé leur lutte pour se dégager de sous la masse de l`arbre les emprisonnant; Ulrich limita ses efforts à déplacer son bras partiel-lement libre vers une poche de son manteau pour en retirer une flasque de vin. Mais même lorsque cela fut fait, il lui fallut du temps avant d`être en me-sure de la déboucher et d`en porter le contenu à sa bouche. Mais comme cela lui sembla une gorgée céleste! C`était un hiver sec, et peu de neige était tom-bée, donc les deux captifs ne souf-fraient pas autant du froid que norma-lement à cette époque de l`année; néanmoins le vin avait un effet ré-chauffant et revitalisant sur l`homme blessé, et il regarda avec une impulsion de pitié son ennemi blessé qui gisait et qui parvenait avec peine à retenir des gémissements de douleur.
-«Pourrais-tu atteindre cette flas-que si je la lançais en ta direction?» demanda Ulrich soudainement. «Elle contient du bon vin, et il vaut mieux être aussi confortable que possible. Buvons, même si ce soir l`un de nous est pour mourir.»
-«Non je ne peux presque rien voir, tant il y a de sang séché autour de mes yeux,» dit Georg; «et de toutes façons je ne bois pas avec un enne-mi.»

Ulrich demeura silencieux pendant quelques minutes, écoutant le hurle-ment fatigant du vent. Lentement une idée germa et se développa dans son esprit, une idée qui gagnait en force à mesure qu`il se tournait du côté de l`homme qui luttait si courageusement contre la douleur et l`épuisement. Res-sentant lui-même souffrance et lan-gueur, Ulrich voyait sa vieille haine diminuer.

-«Voisin,» dit-il alors, «tu feras ce que tu voudras si tes hommes arrivent les premiers. C`était un pacte juste. Mais en ce qui me concerne, j`ai changé d`idée. Si mes hommes arri-vent les premiers, tu seras le premier à être secouru, comme si tu étais mon invité. Nous nous sommes querellés comme des démons toute notre vie au sujet de cette stupide parcelle de terre où les arbres ne sont même pas capa-bles de se tenir droit quand il y a un souffle de vent. Étendu ici ce soir, et réfléchissant, j`en suis venu à penser que nous avons agi comme des idiots; il y a bien mieux dans cette vie que de gagner une dispute de ligne de par-tage. Voisin, si tu m`aides à enterrer la vieille querelle, je te demanderai de devenir mon ami.»

Georg Znaeym demeura silencieux si longtemps qu`Ulrich crut qu`il s`était évanoui à cause de la douleur de ses blessures. Mais finalement il parla len-tement et par saccades:

-«Comme toute la région nous dé-visagerait et jacasserait si nous che-vauchions ensemble sur la place du marché. Personne de mémoire d`homme ne se rappelle avoir vu un Znaeym et un Von Gradwitz parlant amicalement ensemble. Et quelle paix cela mettrait entre nos forestiers si nous mettions fin à notre querelle cette nuit. Et si nous décidions de faire la paix parmi nos gens, il n`y aurait personne pour s`interposer, aucun intrus du dehors… Tu vien-drais fêter la saint Sylvestre sous mon toit, et je viendrais à ton château pour célébrer une grande fête ou une au-tre… Je ne tirerais pas un coup de feu sur tes terres, sauf en tant qu`invité; et tu pourrais venir dans la vallée avec moi pour chasser le canard sur les étangs. Dans toute la campagne il n`y a personne qui puisse nous empêcher de faire la paix. Je n`aurais jamais cru que je pourrais désirer autre chose que de te haïr toute ma vie; mais je pense que j`ai une autre opi-nion moi aussi, et que j`ai évolué de-puis la dernière demi-heure. Et puis tu m`as offert ta flasque de vin… Ulrich von Gradwitz, je serai ton ami.»

Pendant un certain temps les deux hommes demeurèrent silencieux, voyant en esprit les changements mer-veilleux que cette réconciliation drama-tique allait produire. Dans la forêt froide et noire, avec le vent se frayant rudement un passage entre les branches nues, et autour des troncs d`arbres, ils étaient étendus, attendant l`aide qui viendrait au secours des deux hommes. Et chacun pria silencieusement pour que ses hommes arrivassent les pre-miers, de façon à pouvoir rendre les honneurs à son ennemi devenu mainte-nant son ami.

Pendant un moment le vent souffla moins fort, et Ulrich brisa le silence.

-«Crions au secours,» dit-il; «du-rant cette accalmie nos voix ont une chance d`être entendues à quelque distance.»

-«Elles ne porteront pas très loin avec tous les buissons et les arbres,» dit Georg; «mais on peut essayer. En-semble, donc.»

Les deux unirent leurs voix en un appel de chasse prolongé.

-«Ensemble à nouveau,» dit Ulrich quelques minutes plus tard, après avoir écouté en vain pour percevoir un cri de réponse.

-«Je crois que cette fois-ci j`ai entendu quelque chose,» dit Ulrich.
-«Je n`ai entendu que ce vent de peste,» dit Georg rauquement.

Ils demeurèrent en silence pendant quelques minutes, puis Ulrich cria joyeusement.

-«Je peux voir des formes qui vont à travers les bois. Ils suivent le chemin que j`ai pris pour descendre la fa-laise.»

Les deux hommes unirent leurs voix pour pousser un cri le plus fortement possible.

-«Ils nous entendent! Ils se sont arrêtés. Maintenant ils nous voient. Ils descendent la pente vers nous en se hâtant,» cria Ulrich.

-«Combien sont-ils?» demanda Georg.

-«Je ne peux pas encore les voir distinctement,» dit Ulrich; «neuf ou dix.»
-«Alors ce sont tes hommes,» dit Georg; «j`en avais seulement sept avec moi.»

-«Ils vont aussi vite qu`ils le peu-vent, les braves gars,» dit Ulrich joyeusement.

-«Sont-ce tes hommes?» demanda Georg. «Sont-ce tes hommes?» répéta-t-il impatiemment comme Ulrich ne répondait pas.

-«Non,» dit Ulrich avec un rire, le rire jacassant et stupide d`un homme rendu nerveux par un horrible effroi.

-«Qui sont-ils?» demanda Georg rapidement, forçant ses yeux pour voir ce que l`autre aurait été heureux de ne pas avoir vu.

-«Des loups!»

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