Convictions

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Juillet - Septembre 2006, No. 5
 

Les Vrais Vivants, Les Saints
«Et je vis, mais ce n`est plus moi qui vit, c`est le Christ qui vit en moi.» (Gal. 2 :20)

Bse Marie-Anne Blondin
Fondatrice des Sœurs de Ste Anne
(1809-1890)

Par M. Roger Zielke
Traduit de l’anglais par
m. l’abbé P. Girouard, FSSPX

Roger Zielke

 

           La Bse Marie-Anne, connue sous le prénom d’Esther durant sa jeunesse, fit un jour cet acte d’oblation à Dieu: «Ô Jésus, mon Amour crucifié, je Vous adore en toutes Vos souffrances. Je Vous demande mille fois pardon pour le peu de fruits que j’ai tirés des épreuves qu’il Vous a plues de m’envoyer. Je me rends à l’esprit de la croix, et dans cet esprit j’embrasse, de tout cœur, par amour pour Vous, les croix de l’esprit et du corps qui doivent m’atteindre. Ma joie sera dans la croix, avec toutes ses humiliations, ses privations, et ses souffrances; de plus, je déclare solennellement que je ne désire aucun autre paradis sur terre que Votre sainte Croix.»  Ces mots de la Bienheureuse Marie-Anne mettent son cœur et son âme à nu. Son amour pour la Croix et pour l'Eucharistie fut immense. Durant sa vie elle bénit la divine Providence de parsemer son chemin de croix, et de la guider à travers toutes les tribulations qu'Elle daignait lui envoyer.


Issue d’une Famille Catholique

            Jean-Baptiste Blondin, le père d’Esther, était un fermier prospère de Terrebonne, au Québec. C’était un craignant Dieu à la Foi profonde, résigné à la volonté de Dieu. Rose Blondin, son épouse, était raffinée, avait de bonnes manières et était pleine de vie. Elle parlait et chantait bien, ce qui faisait d’elle une personne remarquable en société. Tant comme hôte que comme invitée, elle savait créer une délicieuse atmosphère autour d’elle. Mais elle était surtout une femme de prière et une adoratrice fidèle du Seigneur au Saint Sacrement. Elle se plaisait à passer la nuit entière du Jeudi Saint devant l’autel où reposait l’Eucharistie. Devenue plus âgée, elle faisait une heure sainte hebdomadaire à l’église où chez elle. Terrebonne avait une belle église depuis 1734, et les vies des colons tournaient autour de deux choses: le culte de Dieu et les travaux des champs.


Un Chemin de Croix

  L’église de Terrebonne
 
L’église de Terrebonne, 1734-1879

           La vie de ce foyer Catholique vit l’alternance des joies et des douleurs. Des douze enfants de M. et Mme. Blondin, huit moururent en bas âge, et deux de leurs filles décédèrent un an à peine après s’être mariées. Seuls deux enfants Blondin atteignirent donc un âge avancé: Esther, et son frère Jean-Baptiste. Esther naquit le 18 avril 1809. Elle était si frêle que ses parents n’osaient même pas respirer au-dessus de son berceau. Mais, malgré sa fragilité, elle atteindra l’âge vénérable de 81 ans. Il n’y avait pas que des funérailles dans cette famille, car elle était visitée aussi par la maladie. C’est ainsi qu’après le naissance d’un de ses enfants, mme Blondin demeura complètement paralysée; seuls lui restaient la vue et l’ouie. Ses grands et beaux yeux se tournaient suppliants vers le Ciel, puis regardaient avec anxiété tantôt un enfant, tantôt l’autre. Comme cette infirmité se prolongeait depuis des mois, Rose Blondin fit un vœu pour obtenir sa guérison de Dieu. Elle avait toujours aimé la dentelle et les beaux tissus, elle fit donc vœu de renoncer à tout ce qui n’était pas nécessaire dans sa tenue vestimentaire. Dieu entendit sa prière: Elle recouvrit la santé, et elle fut fidèle à son vœu. M. Blondin fut quant à lui affligé d’un terrible mal à la figure, et il supporta cette infirmité durant les dernières années de sa vie, avec la patience d’un martyr. Le pire était que cela résultait d’une erreur humaine: Quelqu’un s’était trompé en appliquant un remède contre le rhumatisme, et c’est ce qui avait causé une terrible brûlure des tissus de la figure. Il ne pouvait se coucher, et il devait passer ses nuits et ses jours dans une chaise, la tête appuyée contre le  mur, car un coussin ou un oreiller faisaient empirer sa fièvre. Ses plaies devaient être nettoyées et pansées deux à trois fois par jour. Personne n’a cependant pu surprendre chez lui le moindre murmure ou la plus petite recherche de sympathie. Le coup final assené aux Blondin fut la destruction de leur propriété par le feu. Un jour, la famille s’était absentée durant quelques heures à peine, et lorsqu’elle revint, elle ne trouva plus que désolation. Les granges, les vergers, les champs, et la maison n’étaient plus que des ruines fumantes! Le vieux couple fut alors recueilli par leur fils vivant à Beauharnois. Comme d’habitude, les Blondin virent en cette destruction une bénédiction cachée du bon Dieu. Ils savaient que Dieu pourvoirait à leurs besoins, comme Il l’avait toujours fait, et ils acceptèrent Sa volonté. Malgré toutes ces croix, mme Blondin demeurait gaie et pleine d’entrain. Ses petits-enfants semblaient lui redonner une seconde jeunesse et, tout comme elle avait fait avec ses propres enfants, elle leur enseigna à aimer beaucoup le Christ Crucifié, et à Le voir à travers les pauvres.


Sa Volonté et ses Vertus

Esther flottant sur la rivière  
Esther flottant sur la rivière

 

            Comme tous les saints, Esther avait une très forte volonté. Un jour, lorsqu’elle n’avait que 3 ou 4 ans, elle se rendit compte que sa sœur se préparait à aller en barque avec des compagnes. Elle voulut se joindre au groupe, mais on le lui refusa. Elle se mit alors à pleurer avec toute la force de son jeune âge. En vain essaya-t-on de la faire rentrer à la maison; Esther n’en insistait que plus. Exaspérées par cette crise, les jeunes filles embarquèrent et s’éloignèrent, laissant la petite Esther sur la rive. C’était mal connaître notre jeune amie! Celle-ci marcha jusqu’au bord du lac et pénétra dans l’eau! Elle se retrouva bientôt en eau profonde, mais ne coula point, car sa robe, s’élargissant et flottant sur l’eau, lui servit de bouée! Quand les jeunes passagères de la chaloupe virent ce qui se passait, elles se hâtèrent de rejoindre Esther et de l’embarquer! Mais notre petite amie n’avait pas qu’une forte volonté. Elle avait hérité de sa mère un grand amour de la prière. Dès qu’elle fut en mesure de marmonner, elle apprit le signe de croix, et les petites prières des enfants. Après avoir fait ainsi ses dévotions, Esther suivait celles des plus vieux, soit à genoux, soit blottie dans les bras de sa mère. Elle surprit un soir toute la famille lorsque, ayant à peine 4 ans, elle récita seule le Notre Père, le Je Vous Salue, le Credo, le Confiteor, et les dix Commandements! Le bon Dieu travaillait déjà sur cette jeune âme qui allait plus tard produire tant de beaux fruits. Dès son jeune âge, Esther était d’ailleurs connue pour sa charité envers les pauvres. Elle était un jour chez un voisin quand un mendiant cogna à la porte, suppliant avec la formule traditionnelle: «charité, pour l’amour de Dieu!» Notre amie expliqua qu’elle n’était pas chez elle, et qu’elle allait s’informer auprès du propriétaire qui se trouvait derrière la maison. Puis elle ajouta: «laissez-moi d’abord éponger votre figure et vous donner à boire, car vous m’avez l’air d’être épuisé et d’avoir chaud!» L’homme accepta l’hospitalité de la petite fille, et celle-ci alla retrouver le propriétaire des lieux. Lorsqu’ils revinrent dans la maison, le vieil homme avait disparu. On questionna les voisins, mais personne n’avait vu le vieillard, ni qui que ce soit correspondant à sa description! On peut se demander si ce n’était pas Notre Seigneur lui-même qui était apparu sous l’apparence du vieux mendiant et qui avait donné l’occasion à Esther de renouveler l’acte de charité de Ste Véronique…


Des Épreuves Spéciales…

            Quand Esther avait 12 ans, elle était plus distinguée et pieuse que les adolescentes plus âgées. C’est à cette époque que Dieu allait préparer son âme à une grande destinée, en la plaçant sur la voie royale de la croix, surtout celle des souffrances intérieures. En effet, la pauvre enfant fut soudainement plongée en une profonde dépression, sans cause apparente. Le monde lui apparut comme un vaste piège, rempli d’appeaux destinés à faire trébucher la vertu. Et la pensée des jugements de Dieu la remplissait de terreur. Accablée par la considération des vérités éternelles et par la pensée des souffrances du Christ crucifié, Esther rechercha de plus en plus la solitude. Quoique entourée par tout ce qui était plaisant, elle vivait retirée, méditait, pleurait, faisait pénitence. Elle dormait sur le plancher, jeûnait et, dans le but de souffrir, elle brûla sa chair à la flamme d’une chandelle. C’est avec tendresse que les époux Blondin observèrent la nouvelle conduite de leur fille. Sa mère disait qu’elle était la sainte de la famille et, d’accord avec son mari, laissait sa fille libre de suivre les inspirations du Saint Esprit. Cette épreuve dura trois ans, et la jeune fille trouvait son soutien dans la prière, surtout celle du rosaire. Elle faisait de fréquentes visites au St Sacrement, et recevait la communion aussi souvent qu’on le lui permettait. Ce temps de purification produisit sur notre amie une impression si profonde qu’elle allait durer toute sa vie. Le démon, voyant qu’Esther allait lui arracher une victoire décisive, employa une tactique très rusée, une tactique presque infaillible… Esther avait maintenant 16 ans; les gens parlaient favorablement de ses qualités et de sa beauté: Oh! Les beaux yeux bruns rêveurs de la jeune Esther! Oh! Sa démarche digne et noble, montrant son bon caractère! Les gens du monde lui témoignèrent leur amour et leur appréciation, et elle se trouva attirée par le monde… Elle voulut être gaie avec les gais. Elle se joignit aux festivités, aux veillées, aux danses…


Les Sœurs de Notre Dame

  Couvent de la Congrégation  à Terrebonne
 
Couvent de la Congrégation
à Terrebonne , 1826

            Cependant, Dieu ne permit pas que la tentation du monde durât trop longtemps, et Il lui ouvrit de nouveaux horizons. En 1826, notre amie devint en effet pensionnaire chez les Sœurs de Notre Dame à Terrebonne, Congrégation fondée par Ste Marguerite Bourgeois en 1657. Esther avait l’intention de compléter son éducation et de se préparer à devenir institutrice. À sa nouvelle école, Esther devint une élève modèle. Mis à part son comportement parfait, elle se gagna les faveurs de son entourage par son sens de l’humour, son tact, et son sens de la justice. Durant cette période, une consoeur de classe qui enviait Esther se plaignit de ce qu’elle était la meilleure au classement parce qu’elle était plus âgée. Mais une des Sœurs répondit: «est meilleure, parce qu’elle est une des âmes choisies de Dieu.» Après deux années passées au couvent, les religieuses réalisèrent de plus en plus que la vertu d'Esther était authentique, et la jeune fille comprit davantage l'excellence de la vie religieuse. Lorsqu'elle demanda aux Sœurs de la recevoir parmi elles, elle fut reçue à bras ouverts. Les Novices ont tout à apprendre; par exemple, elles ne sont pas supposées faire plus que ce que demande la Règle, même quand il s'agit des bonnes œuvres, comme les pénitences corporelles. Ne sachant pas cela, notre jeune sainte continua ses pratiques pénitentielles, et elle en ajouta même quelques-unes. Il est vrai que la prière et la pénitence vont main dans la main sur la voie étroite menant au Ciel, mais elles doivent être sagement dirigées. Peut-être Dieu permit-il ces erreurs de bonne foi pour lui apprendre la prudence dans la future direction de ses jeunes religieuses. Se lever avant le reste du monde est une des pénitences les plus dures, même pour des âmes consacrées, et notre sainte dira plus tard que cela lui avait demandé un grand effort à chaque matin durant plus de quarante ans. Le temps passa, et notre amie reçut avec émotion le saint habit des Sœurs de Notre Dame, avec le nom de Sœur Ste Christine. La ferveur d'Esther fut accrue par cette nouvelle étape de sa vie religieuse, mais avant peu sa santé déclina et empira tellement qu'une décision devint nécessaire concernant le futur de notre amie. Les Sœurs ne voulaient pas renvoyer cette novice modèle, alors elles l'envoyèrent à un de leurs couvents en campagne, espérant qu'un changement d'air lui ferait du bien. Ce ne fut pas le cas. C'est ainsi que la pauvre fille dut se résigner à retourner dans le monde avant la fin de son noviciat. C'est avec une grande douleur qu'elle reprit ses vêtements civils et laissa derrière elle son habit religieux. Son frère Jean-Baptiste, voyant sa tristesse, supplia les Sœurs de la garder, mais sans résultat. La volonté de Dieu devenait manifeste: Esther devait retourner dans le monde. Vers la fin de sa vie, Jean-Baptiste remarquait souvent: «ne me doutais pas, en cette triste journée, quand mon cœur souffrait tellement de voir la douleur de ma sœur à quitter le couvent, que Dieu lui préparait de si grandes choses!» Un jour de 1833, alors que deux Soeurs de Notre Dame se déplaçaient d'un couvent à un autre, elles durent s'arrêter pour la nuit à la petite ville de Vaudreuil. Sachant qu'une de leurs anciennes élèves y demeurait, et qu'elle y avait même une petite école avec pensionnat, elles allèrent lui demander l'hospitalité. La jeune femme, nommée Suzanne Pineault, fut enchantée de les recevoir, et on se mit à échanger des nouvelles. Suzanne révéla aux Sœurs que l'école demandait trop de travail pour une personne seule, et elle leur demanda si elles ne connaissaient pas quelqu'un qui pourrait l'aider. Les Sœurs répondirent: «Une excellente femme, Mlle Esther Blondin, a été obligée de quitter notre Noviciat pour cause de mauvaise santé. Elle a tout ce qu’il faut pour devenir une bonne enseignante. Elle nous a écrit que son année à la maison lui a été bénéfique, et qu’elle se sentait capable d’un emploi. Nous sommes certaines que vous vous entendriez bien.»


Enseignante…

            En effet, les deux jeunes femmes devinrent d’intimes amies. Mais elle étaient loin de se douter, alors qu’elles vivaient ainsi comme Directrice et Assistante, qu’elles allaient plus tard contribuer à la fondation d’une autre communauté religieuse parmi toutes celles faisant déjà partie de l’Église Catholique. L’amitié des deux femmes allait bientôt être renforcie par un lien familial: Nos deux professeurs recevaient régulièrement la visite de membres de leurs familles respectives. C’est ainsi qu’une des jeunes sœurs de Suzanne, et Jean-Baptiste, frère d’Esther, se rencontrèrent et finirent par s’épouser! Six ans après le début de leur collaboration, Suzanne se retira pour prendre en mains le ménage d’un de ses oncles, Curé de la paroisse St Timothée. Elle devait en outre y être en charge de la petite école paroissiale. Esther continua donc à s’occuper de l’école de Vaudreuil. Elle voyait grand, et elle visita les écoles des grands centres tels que Québec, Montréal, et même «» (aujourd’hui Ottawa). Elle engagea des professeurs d’anglais et de musique, et des domestiques pour s’occuper de l’intendance et autres tâches matérielles. C’était à l’époque toute une réalisation, car bien des endroits demeuraient plutôt primitifs. L’école de Vaudreuil était donc bien dirigée, et ses élèves attiraient l’approbation des citoyens, grâce à leur habillement et à leur comportement irréprochables. Inutile de dire qu’on parlait en termes dithyrambiques de la Directrice, notre Esther Blondin! D’ailleurs les talents de notre amie ne s’exerçaient pas seulement dans le cadre de l’école, Esther devint en effet le moteur de l’Action Catholique. Le Curé pouvait se fier à son zèle et à sa piété. En 1843, lorsque s’organisa l’association des Enfants de Marie, c’est notre sainte qui fut élue comme première Présidente! Quand le Curé ne pouvait se présenter aux réunions, c’est elle qui prenait les choses en mains, et qui savait instiller parmi les membres l’amour de la prière, de Marie, du Saint Sacrement, ainsi qu’une charité active comme de visiter les malades, les personnes âgées, les handicapés, sans oublier les aumônes à faire aux pauvres.


Un Grand Projet

  La Mère Marie-Anne consultant Mgr Bourget
 
La Mère Marie-Anne
consultant Mgr Bourget

            Après quinze années vouées à l’enseignement et autres actions sociales, Esther se mit à penser à un plus grand idéal. Elle était convaincue que la volonté de Dieu était la fondation d’une communauté religieuse chargée d’enseigner aux enfants pauvres, ayant dans une même classe tant les garçons que les filles. Cette idée de l’enseignement mixte était alors perçue comme subversive, et contraire aux principes d’une saine moralité. On croyait alors que seules les femmes devaient enseigner aux filles, et seuls les hommes aux garçons. Il était interdit d’enseigner à des classes mixtes. Or, à la même époque, un problème surgissait: Bien que le Québec dans son ensemble était devenu plus civilisé, ayant des prêtres et des religieuses pour enseigner le peuple, la situation des campagnes demeurait précaire. Il devenait impossible d'avoir suffisamment d'hommes et de femmes pour instruire séparément filles et garçons.  Incapables de créer et soutenir deux écoles séparées, plusieurs Curés choisissaient de n'en avoir aucune. Les garçons étaient désavantagés: Il en aurait coûté trop cher de les envoyer en d'autres villes ou villages afin qu'ils étudient dans une école de garçons. On en avait d'ailleurs besoin à la maison. Car les activités principales des campagnards étaient alors les travaux de la ferme, l'abattage des arbres, etc. On avait besoin des garçons le matin et le soir. Quand il n'y avait pas d'école dans le village, on demeurait ignorant, voilà tout! Comme son impulsion devenait de plus en plus forte, Esther pria pour obtenir lumière et courage et, lors du Carême de 1848, Dieu répondit à son appel. Elle comprit qu'elle devait soumettre son idée à son évêque, Mgr Bourget, de Montréal, et qu'elle avait donc besoin d'une lettre d'introduction de son Curé, l'abbé Archambault. Celui-ci s'exécuta le 11 juin 1848, et notre amie alla rencontrer son évêque peu après. Quand ce dernier arriva au parloir, Esther se jeta à genoux pour baiser son anneau pastoral, et lui raconter son histoire. Le prélat écouta attentivement et ne souleva pas d'objection au projet qu'elle avait tant à coeur. Il lui dit: «vais y réfléchir, en attendant, priez et patientez.» Notre sainte s'exclama alors: «’ai prié, tellement, et pendant si longtemps; et sans l’aide de la prière, je n’aurais jamais pu me présenter avec cette mission devant votre Seigneurie!» Le bon évêque fut conquis par la réponse résolue d’Esther. «pouvez tenter la chose. Mentionnez votre projet à des compagnes que vous penserez à même de vous suivre dans l’entreprise. Priez sans répit, avec l’intention que, guidée par une intention pure, vous fussiez bénie dans votre entreprise. Puisse-t-elle tendre à Sa gloire et au salut des âmes.» Mlle Blondin ne perdit pas de temps, et elle s'empressa d'informer son Curé du résultat de l'entrevue. L'abbé Archambault rencontra lui-même Mgr Bourget le 25 juillet, et il en profita pour louanger la jeune femme: «compte sur la débrouillardise, la distinction, et la piété vraie de Mlle Blondin pour maintenir le bon esprit dans ma paroisse. Sa noblesse et son activité en faveur du bien-être de tous lui obtiennent une influence considérable.»


Une Nouvelle Congrégation

M. l’abbé Paul-Loup Archambault  
M. l’abbé Paul-Loup Archambault
 

            L’Évêque écrivit au Curé Archambault, lui donnant la permission de préparer quelques femmes de bonne volonté à vivre selon une règle commune, et à enseigner aux garçons et aux filles. Esther rassembla six dames de Vaudreuil qui voulaient bien faire l’essai de la vie en cette nouvelle communauté. Elles commencèrent une retraite préparatoire le 4 septembre 1848, prêchée par le Curé Archambault, lequel serait désormais leur aumônier. Avec l’approbation de son évêque, il composa donc une règle temporaire de vie religieuse pour les retraitantes, et il nomma Esther comme «» de la communauté, et lui donna le nom de Sr Marie-Anne. «» sera le terme utilisé durant les premières années pour désigner la Sœur Supérieure. Esther écrivit alors à sa vieille amie Suzanne Pineault: «sais que, tout comme moi, vous avez toujours voulu devenir religieuse. Qui sait si Dieu n’a pas réservé cette grâce de la profession religieuse pour le milieu de notre vie, et si nos nombreuses années d’attente ne nous ont pas été données comme préparation à ce but ultime? Aimeriez-vous venir voir ce que nous faisons, et peut-être décider d’y rester?» Cette nouvelle remplit de joie le cœur de Suzanne, et renouvela en elle un espoir qu'elle avait fini par croire irréalisable. Comme quelqu'un rappelé d'exil, elle régla toutes ses affaires et se hâta vers Vaudreuil pour se consacrer, ainsi que toutes ses possessions, à la nouvelle entreprise. Cette fois Dieu l'accepta, et lorsque le jour de la première profession arriva, jour où l’Institut des Sœurs de Ste Anne devait officiellement devenir un institut de l’Église Catholique, Suzanne fut l’une des cinq pionnières qui persévérèrent et firent ce pas ultime. La communauté naissante ne manqua jamais de rien, grâce à une bourse de la municipalité en faveur des élèves pauvres, aux dons du Curé, et à la générosité d’une fervente dame Catholique, Lady Marie-Louise de Lotbinière-Harwood. Celle-ci était l’héritière du Seigneur de Lotbinière, et était mariée à Robert Unwin Harwood, qui occupa plusieurs postes importants aux niveaux politique et gouvernemental. Le fardeau financier de la communauté s’en trouvait donc allégé. Néanmoins les sœurs durent longtemps pratiquer une stricte économie, et leurs repas furent souvent à base de betteraves: Tartes aux betteraves, soupe aux betteraves, betteraves bouillies, pilées, ou fricassées.

La famille Lotbinière-Harwood
La famille Lotbinière-Harwood


De Nouvelles Supérieures

            L’Évêque vint visiter les soeurs le 25 mai 1849. Il y passa deux jours à Vaudreuil, leur donnant non seulement des conférences spirituelles, mais discutant en détail leurs périodes d’études et leurs méthodes d’enseignement. Il fit aussi de nouvelles nominations: Angèle Lefebvre devenait Directrice, Esther Blondin était maintenant Économe, relevée de toute charge enseignante, Suzanne Pineault, Julienne Ladouceur, et Justine Poirier demeuraient enseignantes. Oui, l’évêque relégua au second rang la fondatrice de la nouvelle Congrégation. N’oublions pas cet incident, car il éclairera la suite de l’histoire… Les vacances d’été de 1849 ne faisaient que commencer lorsque éclata à Vaudreuil une épidémie de fièvre typhoïde. Souvent la cloche de l’église sonnait pour les morts, dont plusieurs étaient chers aux Sœurs. Le pire pour elles était qu’on leur avait défendu de visiter les malades. Plusieurs jours plus tard, après la cessation du fléau, et quand les maisons furent désinfectées, on vit une chaloupe approcher du rivage. C’était l’évêque auxiliaire de Montréal qui venait exprimer ses sympathies au Curé et aux citoyens, et qui allait en profiter pour prêcher une retraite de huit jours aux Postulantes, retraite préparatoire à leur prise d’habit. Vers la fin de la retraite, l’évêque déclara au Curé: «Je crois que nous faisons la volonté de Dieu, elles sont toutes des saintes!» La retraite prit fin au jour de l'Assomption,  neuf Postulantes reçurent l'habit de Novice, et huit jeunes filles prirent le voile de Postulantes. Douze prêtres prirent part à la belle cérémonie. Avant de quitter Vaudreuil, l'évêque auxiliaire nomma Sr Marie-Elizabeth comme Directrice. Celle-ci exerça ses fonctions pendant quelques mois puis retourna dans le monde. Le Curé Archambault choisit alors pour la remplacer la Sr Marie de la Nativité. La Sr Marie-Anne se trouva donc éloignée des feux de la rampe. Le sage aumônier voulait diriger Esther vers le Mont Calvaire; elle allait en effet le gravir, et elle en atteindrait le sommet à la fin de sa vie. C'est avec un humble silence que notre sainte aura donc vu trois jeunes novices prendre sa place de Directrice en l'espace d'un an. Elle continuera sous leur direction de s'acquitter avec zèle de ses emplois successifs d'Économe, de Maîtresse des Novices, et de Surveillante.


Un Grand Évêque comme Guide

  La Première Profession
 
La Première Profession

            Mgr Bourget arriva à Vaudreuil le 3 septembre 1850 pour prêcher la retraite de profession de nos cinq premières novices. Durant cette retraite Monseigneur ne laissa rien de côté, et il communiqua aux futures Professes les rudiments de la perfection, insistant particulièrement sur la méditation, l’examen de conscience, l’esprit de foi, et la sanctification de toutes leurs actions. C’est le 8 septembre que les Novices reçurent le voile des Professes. L’Évêque voulut que la cérémonie de Profession se fasse avec toute la solennité possible, et en présence des paroissiens assemblés en leur église. Son but était à la fois d’édifier ces derniers, et aussi d’obtenir leur support en faveur de la jeune communauté. Après la Profession des vœux de religion, et la Sainte Messe, Mgr Bourget récita l’acte de consécration à la Ste Vierge devant son autel. Les sœurs retournèrent alors à leur couvent où un magnifique banquet les attendait, avec des serviteurs fournis par Lady Harwood. La récréation se prolongea jusque vers 15 heures, puis les sœurs continuèrent leur retraite jusqu’au 10 septembre, jour où Mgr Bourget fit de nouvelles nominations: Directrice et Maîtresse des Novices: Mère Marie-Anne; Assistante et Sous-maîtresse des Novices: Mère Marie de la Conception; Économe: Mère Marie de l’Assomption; Cuisinière: Mère Marie de la Nativité; Enseignante: Mère Marie-Michelle. L’Évêque détermina que les élections auraient lieu à tous les trois ans. Il ne cessa de veiller sur sa chère communauté, même quand il fut de retour à Montréal. Les Sœurs de Ste Anne étaient maintenant établies canoniquement, et Esther avait 41 ans… Chacune des cinq Professes se montra digne d’occuper son emploi, et fut un pilier de la communauté. Unies par la prière, la foi, l’humilité, le travail, et la constance, elles suivaient la voie de la sanctification, et y incitaient les autres par leur bon exemple. Les sœurs étaient depuis quelques mois dirigées non plus par le Curé Archambault, mais par le nouveau Curé de Vaudreuil, l’abbé Chevigny. Le 20 décembre 1850 Mgr Bourget écrivit à Mère Marie-Anne que ce brave Curé ne pourrait plus continuer à s’acquitter de sa double tâche. Il demandait donc aux Sœurs de prier «ferveur pour que la bonne personne puisse tomber du Ciel comme une rosée rafraîchissante pour fertiliser la Communauté.» Le bon prélat leur écrivit un mois plus tard, donnant sa bénédiction à ses «ères filles». En février 1851 il vint même les visiter pour quelques jours. D’une voix et d’une manière douces il leur expliqua: «…pour produire des fruits de bénédiction, vous devez vivre dans l’humilité et mourir à vous-mêmes. Nul doute qu’il ne vous en coûte d’être oubliées, et d’être piétinées comme la noix de laquelle naît un grand arbre, mais c’est précisément par l’humiliation généreusement acceptée que vous deviendrez dignes de la complaisance divine… Croyez bien que le présent et le futur de votre communauté dépendent de votre générosité. Sacrifiez-vous sans cesse dans ce but. Travaillez jour et nuit, par la pratique de toutes les vertus, à rendre solides les fondations de votre Institut. Plus vous souffrirez pour son amour, plus il croîtra riche de grâces et de bénédictions… Prenez bien soin des enfants qui vous sont confiés. Protégez leur innocence. Formez leurs jeunes cœurs à la crainte de Dieu, qui est le début de la sagesse. Croyez qu’en vous dévouant avec zèle à leur éducation, vous acquerrez la science des saints… Apprenez aux enfants à sanctifier leurs actions. Développez en eux les dévotions convenant à leur âge. Élevez-les comme Ste Anne éleva la Ste Vierge Marie. Par là on a tout dit.» Plus tard, en septembre 1851, on demanda aux Sœurs de Ste Anne d’ouvrir un couvent dans la prospère paroisse Ste Geneviève de Montréal. Malgré la jeunesse de l’Institut, on y envoya donc trois Sœurs, et ce couvent s’établit solidement. En 1852, Mgr Bourget encouragea les Sœurs: «Communauté sera heureuse et parfaite si elle vit selon l’esprit du Christ. Voilà ce que je souhaite par-dessus tout à chacun de ses membres. En mars 1853, le saint évêque écrivit à Mère Marie-Anne: «ce qui arrive, ma bonne Mère, survient par la Volonté de Dieu, pour notre plus grand bien. …Formez bien les novices. En un mot, soyez l’âme de cette société nouvellement née. Continuez, avec votre communauté et les élèves, à offrir le sacrifice de vos souffrances et de vos bonnes œuvres pour les nombreuses âmes qui sont sur le chemin de la perdition, et pour moi aussi, qui ai la responsabilité de les sauver toutes.» Durant ces premières années, la Règle fut écrite et clarifiée, et lorsqu'elle fut bien complétée, Mgr Bourget demanda à la Mère Marie-Anne de l'expliquer aux Novices. A travers ses efforts et avec l'aide du St Esprit, celles-ci apprirent donc la Règle, et elles avancèrent de plus en plus sur la voie de la perfection. Mère Marie-Anne avait besoin de toutes les grâces possibles pour s’acquitter parfaitement de son double fardeau de Directrice et Maîtresse des Novices. Elle devait en effet à la fois superviser le personnel, les classes, les dépenses, et la bonne marche de la communauté en général. Il fallait aussi tenir la correspondance à jour, et recevoir au parloir les prêtres, les amis, les bienfaiteurs, etc. Une bonne administration était requise pour s’assurer qu’on joignait les deux bouts. Malgré les dons de leur généreux Curé et de Lady Harwood, les Sœurs se devaient d’être aussi actives aux travaux des champs qu’en classe, si elles voulaient que tout le monde ait assez de nourriture. On raconte qu’un soir où des sœurs étaient revenues assez tard d’une journée passée à récolter les pommes de terre, elles virent Mère Marie-Anne les attendant debout sur le porche d’entrée du Couvent. La bonne Mère leur fit déposer leurs sacs lourdement chargés, les envoya se nettoyer, puis les conduisit au réfectoire où elle les régala d’un bon souper qu’elle avait elle-même préparé!

L’église St Michel à Vaudreuil
L’église St Michel à Vaudreuil,
berceau de l’Institut des Soeurs de Ste Anne


La Communauté Déménage

            En 1853, le couvent de Vaudreuil était devenu trop étroit pour la communauté florissante. Bien que Mgr Bourget avait à quelques reprises demandé aux gens de l’endroit de se cotiser pour la construction d’un plus grand couvent, ils avaient refusé sa requête. C’est pourquoi le 23 août 1853, les Sœurs de Ste Anne déménagèrent leurs pénates au village St Jacques, à environ 60 km de Montréal, où elles occupèrent l’ancien couvent des Sœurs du Sacré-Cœur. Le voyage fut rempli d’incidents: Il fallut d’abord attendre sept jours pour voir le bateau à vapeur accoster à Vaudreuil. Puis, peu de temps après l’appareillage, l’embarcation entra en collision avec une barge, ce qui cassa le mât du vapeur et faillit le faire chavirer. Après avoir réparé le petit navire, on dut y combattre un incendie qui causa plusieurs dommages aux biens des Sœurs! Finalement, le bateau arriva à St Sulpice, où la généreuse population se rassembla au quai, et où elle fournit aux Sœurs 24 charrettes pour la continuation du périple jusqu’à St Jacques.

Les bonnes Sœurs du Sacré-Cœur avaient laissé leur chapelle avec tous les ornements nécessaires, incluant même un magnifique ostensoir fait en France. Elles avaient aussi laissé une belle horloge «-père» dans le parloir, et un service à vaisselle de porcelaine au réfectoire.


Quelques Ennuis

            M. l’abbé Barrette, véritable homme de Dieu, ayant l’expérience de la direction des religieuses, fut donc le nouveau Curé et aumônier des Sœurs de Ste Anne, et il sut rapidement gagner leur confiance. Mais le 30 août, sept jours à peine après leur arrivée à St Jacques, les sœurs apprirent qu’il y avait un nouveau venu au Presbytère, m. l’abbé Louis Maréchal. Le dimanche suivant, 4 septembre, celui-ci se présenta au couvent en compagnie du Curé Barrette. Les deux prêtres furent alors reçus au parloir par Sr Marie-Anne et son Assistante. Après les civilités d’usage, l’abbé Maréchal dit aux Sœurs: «suppose que vous savez, mes sœurs, que l’Évêque m’a nommé aumônier de cette communauté?» Il leur montra alors ses lettres d'accréditation. L'information les troubla comme un coup de tonnerre. Sous l'effet de la surprise, Mère Marie-Anne répondit: «’Évêque ne nous a pas informées de votre venue. J’ai une lettre de lui datée du 7 août, dans laquelle il désignait m. l’abbé Barrette comme devant être notre aumônier. J’attendrai un nouvel avis de Monseigneur avant de vous recevoir comme notre aumônier.» Notre sainte écrivit le même jour à Mgr Bourget, et celui-ci lui répondit rapidement: «. l’abbé Barrette est nommé Curé de St Ligouri. De ce fait vous devriez conclure qu’il n’est plus votre aumônier. Vous auriez dû recevoir cordialement m. l’abbé Maréchal, puisqu’il venait au nom de Dieu, dont la volonté s’était fait connaître par la voix de l’Évêque. Veuillez faire comprendre à vos filles que la simplicité religieuse leur demande d’accorder toute leur confiance au nouveau venu, puisqu’il vient au nom de Jésus-Christ, représenté par l’Évêque.» Après une retraite le même mois, Mère Marie-Anne assura l’Évêque de sa filiale obéissance. Cet acte de soumission de la Directrice (et sa cordiale réception par Mgr Bourget) aurait dû ramener la paix au sein de la communauté. Ce ne fut pas le cas. Certaines religieuses préféraient l’abbé Barrette, et d’autres l’abbé Maréchal. Cette atmosphère troublée allait perdurer pendant toute l’année scolaire… Parlons maintenant de l’école: Il fallait préparer les lieux! C’est ce que les Sœurs avaient commencé à faire dès leur arrivée à St Jacques. Elles dessinaient des plans pour aménager leur école, elles aidaient les ouvriers à démolir et à monter des murs et des partitions, n’hésitant pas à donner du marteau! La nuit venue, elles nettoyaient les lieux des gravats et autres saletés. Il leur fallait aussi nourrir les travailleurs et vaquer aux travaux de la ferme. Leur zèle fut productif, puisque le 1er octobre tout était prêt pour l'ouverture de l'école! Mais revenons à m. l'abbé Maréchal. C'était un homme au zèle excessif qui n'avait jamais vraiment connu ni douleur ni souffrance, et qui ne pouvait donc comprendre les souffrances authentiques des autres. Un jour il ordonna à trois sœurs malades et confinées à l'infirmerie de se lever et de retourner à leur travail. Quelque temps après, l'abbé Maréchal fut lui-même atteint d'un accès de rhumatisme inflammatoire: c'était à son tour de souffrir. Il eut alors l'humilité de dire aux sœurs: «-moi, je ne savais pas ce qu’était la vraie souffrance. Dieu me l’a fait comprendre!» Malgré cela, il faut dire ici que Dieu à permis, pour la sanctification d’Esther, que m. l’abbé Maréchal ne l’aimât point, et qu’il eut d’elle une pauvre opinion. Notre amie a bien reconnu le mépris du prêtre à son endroit, et elle essaya à plusieurs reprises d’améliorer leurs relations mutuelles; elle ne lui garda d’ailleurs jamais rancune. Ce fut très dur à accomplir, surtout que notre amie faisait alors face à de multiples difficultés, mais elle réussit à maîtriser ses émotions, avec la grâce de Dieu. Mère Marie-Anne devint un modèle d’humilité et d’obéissance, et elle se servit de toutes ses croix comme d’autant de barreaux l’aidant à grimper l’échelle de la sainteté.

Le premier couvent de St Jacques
Le premier couvent de St Jacques


Les Élections

            C’est le 29 juillet 1854 que Mgr Bourget fit sa première visite aux sœurs de Ste Anne à St Jacques. Il officia aux cérémonies de Vêture et de Profession, et il profita du lendemain pour rencontrer personnellement plusieurs Sœurs. Le 18 août il écrivait de Montréal à la Sœur Marie-Anne, pour qu’elle demande aux religieuses de se préparer par la prière pour les élections devant avoir lieu bientôt. Il continuait ainsi: «à vous, ma bonne Mère, vous vous démettrez de bon cœur, et vous direz à vos Sœurs que vous ne serez plus jamais autorisée à assumer le supériorat, même si elles désiraient vous en confier la charge!» Esther accepta très humblement cette rebuffade, et elle écrivit à son évêque: «…Me voici finalement libérée du poids si lourd du Supériorat. J’ai pitié à l’avance de la pauvre Sœur sur les épaules de laquelle on le mettra. …J’espère que la Sœur qui me succédera dans ma charge remplira mieux que moi ses devoirs…» Le 30 août, Mgr Bourget venait à St Jacques pour y présider les élections en personne. Ayant nommé Supérieure Générale celle qu'il croyait la plus capable, il nomma Mère Marie-Anne Directrice de la maison de Ste Geneviève. Notre amie eut beaucoup à souffrir à son nouveau poste. Souvent on entendait la sainte Fondatrice pleurer durant la nuit. Mais pendant le jour elle continuait son travail de manière angélique, s'affairant à bien gouverner sa maison. Elle resta à Ste Geneviève durant quatre ans, et elle y fit de nouveau la preuve de ses capacités d'administratrice. Elle fit en sorte de rembourser la dette du couvent, et sa bonne supervision des classes lui gagna les cœurs des enseignantes et des élèves, et lui valut la bonne opinion des villageois et des mandataires. Même si la dette de Ste Geneviève était payée, il fallait quand même vivre modérément. C'est pourquoi Mère Marie-Anne dut refuser à plusieurs reprises d’aider financièrement le couvent de St Jacques.


Nouvelles Fondations

            Les souffrances et les prières d’Esther et des autres sœurs anciennes finirent par porter fruit. En 1855, un couvent fut ouvert à St Ambroise de Kildare, et un autre le fut à St Cyprien de Napierville en 1857. Un an plus tard, la Supérieure Générale rappela Mère Marie-Anne à St Jacques, pour y occuper le poste de sacristine et de lingère. Notre Sainte apporta à ces tâches tout son souci du détail et de l’ouvrage bien fait. La chapelle brillait de propreté, les linges d’autel étaient d’une blancheur immaculée, les habits des sœurs leur allaient comme un gant. De celles qui l’aidaient dans ses travaux autour de l’autel, elle exigeait ni plus ni moins que la perfection, ayant comme devise: «acte de culte, même le plus infime, devrait être fait avec précision.» Durant cette période, les Sœurs de Ste Anne décidaient l’ouverture d’une école sur l’île de Vancouver. Notre amie se porta volontaire pour le dangereux et long périple, mais l’évêque lui en refusa la permission. Esther voulait voir du pays? Pas de problème, se dirent ses Sœurs. On l’envoya donc au couvent de St Ambroise de Kildare, à environ 120 km au nord de Montréal, autrement dit en pleine brousse à l’époque! Son obédience ne précisait pas quel devrait être son poste. On voulait simplement l’envoyer le plus loin possible de St Jacques!

Couvent et Pensionnat de Lachine
Couvent et Pensionnat de Lachine


Obéissance, Humilité, Charité

            Lorsqu’en 1864 la Maison généralice fut déménagée au couvent de Lachine, près de Montréal, on y nomma Mère Marie-Anne. Elle y occupera jusqu’en 1890 les fonctions de sacristine et de couturière, exception faite de l’année 1865-1866, où elle redevint Directrice du couvent Ste Geneviève. Les sœurs qui vécurent en sa compagnie admiraient sa régularité, la perfection avec laquelle elle accomplissait les plus petites actions, et la dignité et le recueillement dont étaient empreints tous ses gestes. Quand notre sainte voyait quelqu’un transporter un fardeau quelconque, elle lui offrait son aide, même s’il s’agissait de la plus jeune sœur du Couvent. Mère Marie-Anne disait souvent, au sujet des Postulantes et des Novices:«Aimons ces chères petites, elles sont l’espoir de la communauté!» Et quand elle devait les réprimander pour quelque manquement au règlement, elle le faisait toujours avec une grande charité, conformément à l’esprit de l’Évangile. C’est au sous-sol de la Maison Mère de Lachine, où se trouvait la buanderie, que plusieurs générations de Postulantes et de Novices reçurent de Sr Marie-Anne de nombreux exemples d’obéissance, d’humilité, et de charité. Combien de pieuses maximes n’y ont-elles pas apprises des lèvres de la fondatrice, tout en lavant ou en repassant le linge avec elle? En voici quelques-unes: «en premier, Dieu par-dessus tout, Dieu seul.» «Chaque religieuse devrait être une sainte.» «Dieu est avec nous dans le temps, nous serons avec Lui dans l’Éternité.» «tout pour Dieu, et que ce ‘tout’ soit bien fait» «croix font partie de la vie. Dieu en destine de très lourdes pour certaines religieuses, mais jamais sans les envelopper de son amour. Avec elles vient aussi l’assurance que mieux elles seront portées, plus riche en sera la récompense.»

Sanctuaire de Ste Anne à Lachine
Sanctuaire de Ste Anne à Lachine


Les Dernières Années

 

            Les cinq dernières années de la vie d’Esther se passèrent à travailler à l’infirmerie. Elle se tenait toujours occupée, malgré ses souffrances causées par le rhumatisme et l’arthrite. On la voyait souvent une aiguille à la main et, sans qu’elle eut besoin de lunettes, sa broderie, ses motifs, sa couture étaient si parfaits que beaucoup de ses travaux furent préservés et même exposés à l’occasion. Sa politesse vis-à-vis des malades était charmante. Elle les visitait durant la récréation de midi, réarrangeant leurs oreillers, leur procurant tout le confort possible, et leur donnant avec tact de bons conseils et de précieux encouragements. En décembre 1899, alors qu’une chapelle dédiée à Ste Anne était presque complétée, la fin de la vie terrestre de notre sainte approchait. Un trouble des bronches, qui la faisait souvent tousser, s’ajouta à ses autres maladies. Le jour de Noël, Esther assista à six Messes, et passa la plus grande partie de la journée à la nouvelle chapelle. À cause de l’humidité, elle attrapa un rhume, et cela amena aussi de la fièvre et une dyspnée. Le jour du Nouvel An, les Novices et Postulantes, auxquelles Sr Marie-Anne avait tant démontré d’affection, allèrent dans sa chambre lui tenir compagnie. Notre amie leur tendit les mains et les bénit, d’une voix brisée par l’effort requis pour respirer: «et heureuse Année! Soyez de bonnes religieuses! Petites Sœurs, vous êtes le futur de la Communauté!» Mère Marie-Anne avait toujours réagi à la persécution en pardonnant sans restriction, convaincue qu'elle était qu'il y avait «de joie dans le pardon que dans la revanche.» Notre sainte laissa aussi en héritage à ses sœurs une Règle d'Or: «l’Eucharistie et l’abandon à la volonté de Dieu être votre paradis sur terre.» Un peu plus tard, à deux heures de l'après-midi, Soeur Marie-Anne Blondin quittait cette terre pour obtenir sa récompense éternelle. Notre sainte quittait donc sa communauté après l'avoir édifiée par ses vertus. Elle avait toujours cherché à faire la volonté de Dieu. Après avoir été démise de ses fonctions de Supérieure, alors qu'elle était la Fondatrice de la communauté, elle choisit d'obéir à son évêque, pour que son institut puisse survivre. Elle fut privée de ses droits les plus légitimes: Les sœurs qui lui furent fidèles se virent interdites de l'appeler «ère». Néanmoins, notre amie ne renonça pas à sa mission de «ère spirituelle» de la communauté. Elle s'offrit à Dieu pour expier les péchés commis dans l'institut, et elle pria quotidiennement Ste Anne «’obtenir pour ses filles spirituelles toutes les vertus nécessaires pour être de bons éducatrices de la jeunesse chrétienne.» Des témoins ont affirmé que Sr Marie-Anne disait toujours la vérité, sans aucune rancœur toutefois. Même si Mgr Bourget lui avait retiré sa confiance, Esther lui conserva toujours la sienne.

            Les Sœurs de Ste Anne se développèrent merveilleusement et, en 1939, moins de cent ans après leur fondation, elles étaient plus de 2000. De nos jours on les retrouve non seulement au Canada et aux États-unis, mais aussi à Haïti, au Chili, et au Cameroun. Le 14 mai 1991, le Pape Jean-Paul II déclara Mère Marie-Anne Vénérable, et il la béatifia le 29 avril 2001. ←

Bienheureuse Marie-Anne Blondin, Priez Pour Nous!

 
 
Nota Bene:

L’école fondée en 1858 à Victoria, C-B, par les Sœurs de Ste Anne existe toujours, et est devenue un musée (Voir photo ci-contre).

De 1871 à 1910, les sœurs construisirent une école plus spacieuse appelée ‘St. Ann’s Academy’. Depuis 1974, ce magnifique édifice abrite des bureaux du Gouvernement Provincial, et un Centre d’Interprétation. Un fait très intéressant: La chapelle de l’Académie est utilisée mensuellement pour la célébration de la Messe de St Pie V en latin. Surpris? Pas tant que cela, quand vous saurez qu’elle est dite par le Rév. Père Greuter, un ami de la FSSPX! Oui! C’est bien vrai! Voyez l’adresse de cette chapelle en page 31 de ce numéro!

 


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