La Bse Marie-Anne, connue sous le prénom d’Esther durant sa
jeunesse, fit un jour cet acte d’oblation à Dieu: «Ô Jésus,
mon Amour crucifié, je Vous adore en toutes Vos souffrances.
Je Vous demande mille fois pardon pour le peu de fruits que
j’ai tirés des épreuves qu’il Vous a plues de m’envoyer. Je
me rends à l’esprit de la croix, et dans cet esprit j’embrasse,
de tout cœur, par amour pour Vous, les croix de l’esprit et
du corps qui doivent m’atteindre. Ma joie sera dans la croix,
avec toutes ses humiliations, ses privations, et ses souffrances;
de plus, je déclare solennellement que je ne désire aucun
autre paradis sur terre que Votre sainte Croix.» Ces
mots de la Bienheureuse Marie-Anne mettent son cœur et son
âme à nu. Son amour pour la Croix et pour l'Eucharistie fut
immense. Durant sa vie elle bénit la divine Providence de
parsemer son chemin de croix, et de la guider à travers toutes
les tribulations qu'Elle daignait lui envoyer.
Issue d’une Famille Catholique
Jean-Baptiste Blondin, le père d’Esther, était un fermier
prospère de Terrebonne, au Québec. C’était un craignant Dieu
à la Foi profonde, résigné à la volonté de Dieu. Rose Blondin,
son épouse, était raffinée, avait de bonnes manières et était
pleine de vie. Elle parlait et chantait bien, ce qui faisait
d’elle une personne remarquable en société. Tant comme hôte
que comme invitée, elle savait créer une délicieuse atmosphère
autour d’elle. Mais elle était surtout une femme de prière
et une adoratrice fidèle du Seigneur au Saint Sacrement. Elle
se plaisait à passer la nuit entière du Jeudi Saint devant
l’autel où reposait l’Eucharistie. Devenue plus âgée, elle
faisait une heure sainte hebdomadaire à l’église où chez elle.
Terrebonne avait une belle église depuis 1734, et les vies
des colons tournaient autour de deux choses: le culte de Dieu
et les travaux des champs.
Un Chemin de Croix
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L’église
de Terrebonne, 1734-1879 |
La vie de ce foyer Catholique vit l’alternance des joies et
des douleurs. Des douze enfants de M. et Mme. Blondin, huit
moururent en bas âge, et deux de leurs filles décédèrent un
an à peine après s’être mariées. Seuls deux enfants Blondin
atteignirent donc un âge avancé: Esther, et son frère Jean-Baptiste.
Esther naquit le 18 avril 1809. Elle était si frêle que ses
parents n’osaient même pas respirer au-dessus de son berceau.
Mais, malgré sa fragilité, elle atteindra l’âge vénérable
de 81 ans. Il n’y avait pas que des funérailles dans cette
famille, car elle était visitée aussi par la maladie. C’est
ainsi qu’après le naissance d’un de ses enfants, mme Blondin
demeura complètement paralysée; seuls lui restaient la vue
et l’ouie. Ses grands et beaux yeux se tournaient suppliants
vers le Ciel, puis regardaient avec anxiété tantôt un enfant,
tantôt l’autre. Comme cette infirmité se prolongeait depuis
des mois, Rose Blondin fit un vœu pour obtenir sa guérison
de Dieu. Elle avait toujours aimé la dentelle et les beaux
tissus, elle fit donc vœu de renoncer à tout ce qui n’était
pas nécessaire dans sa tenue vestimentaire. Dieu entendit
sa prière: Elle recouvrit la santé, et elle fut fidèle à son
vœu. M. Blondin fut quant à lui affligé d’un terrible mal
à la figure, et il supporta cette infirmité durant les dernières
années de sa vie, avec la patience d’un martyr. Le pire était
que cela résultait d’une erreur humaine: Quelqu’un s’était
trompé en appliquant un remède contre le rhumatisme, et c’est
ce qui avait causé une terrible brûlure des tissus de la figure.
Il ne pouvait se coucher, et il devait passer ses nuits et
ses jours dans une chaise, la tête appuyée contre le mur,
car un coussin ou un oreiller faisaient empirer sa fièvre.
Ses plaies devaient être nettoyées et pansées deux à trois
fois par jour. Personne n’a cependant pu surprendre chez lui
le moindre murmure ou la plus petite recherche de sympathie.
Le coup final assené aux Blondin fut la destruction de leur
propriété par le feu. Un jour, la famille s’était absentée
durant quelques heures à peine, et lorsqu’elle revint, elle
ne trouva plus que désolation. Les granges, les vergers, les
champs, et la maison n’étaient plus que des ruines fumantes!
Le vieux couple fut alors recueilli par leur fils vivant à
Beauharnois. Comme d’habitude, les Blondin virent en cette
destruction une bénédiction cachée du bon Dieu. Ils savaient
que Dieu pourvoirait à leurs besoins, comme Il l’avait toujours
fait, et ils acceptèrent Sa volonté. Malgré toutes ces croix,
mme Blondin demeurait gaie et pleine d’entrain. Ses petits-enfants
semblaient lui redonner une seconde jeunesse et, tout comme
elle avait fait avec ses propres enfants, elle leur enseigna
à aimer beaucoup le Christ Crucifié, et à Le voir à travers
les pauvres.
Sa Volonté et ses Vertus
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Esther
flottant sur la rivière |
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Comme tous les saints, Esther avait une très forte volonté.
Un jour, lorsqu’elle n’avait que 3 ou 4 ans, elle se rendit
compte que sa sœur se préparait à aller en barque avec des
compagnes. Elle voulut se joindre au groupe, mais on le lui
refusa. Elle se mit alors à pleurer avec toute la force de
son jeune âge. En vain essaya-t-on de la faire rentrer à la
maison; Esther n’en insistait que plus. Exaspérées par cette
crise, les jeunes filles embarquèrent et s’éloignèrent, laissant
la petite Esther sur la rive. C’était mal connaître notre
jeune amie! Celle-ci marcha jusqu’au bord du lac et pénétra
dans l’eau! Elle se retrouva bientôt en eau profonde, mais
ne coula point, car sa robe, s’élargissant et flottant sur
l’eau, lui servit de bouée! Quand les jeunes passagères de
la chaloupe virent ce qui se passait, elles se hâtèrent de
rejoindre Esther et de l’embarquer! Mais notre petite amie
n’avait pas qu’une forte volonté. Elle avait hérité de sa
mère un grand amour de la prière. Dès qu’elle fut en mesure
de marmonner, elle apprit le signe de croix, et les petites
prières des enfants. Après avoir fait ainsi ses dévotions,
Esther suivait celles des plus vieux, soit à genoux, soit
blottie dans les bras de sa mère. Elle surprit un soir toute
la famille lorsque, ayant à peine 4 ans, elle récita seule
le Notre Père, le Je Vous Salue, le Credo, le Confiteor, et
les dix Commandements! Le bon Dieu travaillait déjà sur cette
jeune âme qui allait plus tard produire tant de beaux fruits.
Dès son jeune âge, Esther était d’ailleurs connue pour sa
charité envers les pauvres. Elle était un jour chez un voisin
quand un mendiant cogna à la porte, suppliant avec la formule
traditionnelle: «charité, pour l’amour de Dieu!» Notre
amie expliqua qu’elle n’était pas chez elle, et qu’elle allait
s’informer auprès du propriétaire qui se trouvait derrière
la maison. Puis elle ajouta: «laissez-moi d’abord éponger
votre figure et vous donner à boire, car vous m’avez l’air
d’être épuisé et d’avoir chaud!» L’homme accepta l’hospitalité
de la petite fille, et celle-ci alla retrouver le propriétaire
des lieux. Lorsqu’ils revinrent dans la maison, le vieil homme
avait disparu. On questionna les voisins, mais personne n’avait
vu le vieillard, ni qui que ce soit correspondant à sa description!
On peut se demander si ce n’était pas Notre Seigneur lui-même
qui était apparu sous l’apparence du vieux mendiant et qui
avait donné l’occasion à Esther de renouveler l’acte de charité
de Ste Véronique…
Des Épreuves Spéciales…
Quand Esther avait 12 ans, elle était plus distinguée et pieuse
que les adolescentes plus âgées. C’est à cette époque que
Dieu allait préparer son âme à une grande destinée, en la
plaçant sur la voie royale de la croix, surtout celle des
souffrances intérieures. En effet, la pauvre enfant fut soudainement
plongée en une profonde dépression, sans cause apparente.
Le monde lui apparut comme un vaste piège, rempli d’appeaux
destinés à faire trébucher la vertu. Et la pensée des jugements
de Dieu la remplissait de terreur. Accablée par la considération
des vérités éternelles et par la pensée des souffrances du
Christ crucifié, Esther rechercha de plus en plus la solitude.
Quoique entourée par tout ce qui était plaisant, elle vivait
retirée, méditait, pleurait, faisait pénitence. Elle dormait
sur le plancher, jeûnait et, dans le but de souffrir, elle
brûla sa chair à la flamme d’une chandelle. C’est avec tendresse
que les époux Blondin observèrent la nouvelle conduite de
leur fille. Sa mère disait qu’elle était la sainte de la famille
et, d’accord avec son mari, laissait sa fille libre de suivre
les inspirations du Saint Esprit. Cette épreuve dura trois
ans, et la jeune fille trouvait son soutien dans la prière,
surtout celle du rosaire. Elle faisait de fréquentes visites
au St Sacrement, et recevait la communion aussi souvent qu’on
le lui permettait. Ce temps de purification produisit sur
notre amie une impression si profonde qu’elle allait durer
toute sa vie. Le démon, voyant qu’Esther allait lui arracher
une victoire décisive, employa une tactique très rusée, une
tactique presque infaillible… Esther avait maintenant 16 ans;
les gens parlaient favorablement de ses qualités et de sa
beauté: Oh! Les beaux yeux bruns rêveurs de la jeune Esther!
Oh! Sa démarche digne et noble, montrant son bon caractère!
Les gens du monde lui témoignèrent leur amour et leur appréciation,
et elle se trouva attirée par le monde… Elle voulut être gaie
avec les gais. Elle se joignit aux festivités, aux veillées,
aux danses…
Les Sœurs de Notre Dame
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Couvent
de la Congrégation
à Terrebonne , 1826 |
Cependant, Dieu ne permit pas que la tentation du monde durât
trop longtemps, et Il lui ouvrit de nouveaux horizons. En
1826, notre amie devint en effet pensionnaire chez les Sœurs
de Notre Dame à Terrebonne, Congrégation fondée par Ste Marguerite
Bourgeois en 1657. Esther avait l’intention de compléter son
éducation et de se préparer à devenir institutrice. À sa nouvelle
école, Esther devint une élève modèle. Mis à part son comportement
parfait, elle se gagna les faveurs de son entourage par son
sens de l’humour, son tact, et son sens de la justice. Durant
cette période, une consoeur de classe qui enviait Esther se
plaignit de ce qu’elle était la meilleure au classement parce
qu’elle était plus âgée. Mais une des Sœurs répondit: «est
meilleure, parce qu’elle est une des âmes choisies de Dieu.»
Après deux années passées au couvent, les religieuses réalisèrent
de plus en plus que la vertu d'Esther était authentique, et
la jeune fille comprit davantage l'excellence de la vie religieuse.
Lorsqu'elle demanda aux Sœurs de la recevoir parmi elles,
elle fut reçue à bras ouverts. Les Novices ont tout à apprendre;
par exemple, elles ne sont pas supposées faire plus que ce
que demande la Règle, même quand il s'agit des bonnes œuvres,
comme les pénitences corporelles. Ne sachant pas cela, notre
jeune sainte continua ses pratiques pénitentielles, et elle
en ajouta même quelques-unes. Il est vrai que la prière et
la pénitence vont main dans la main sur la voie étroite menant
au Ciel, mais elles doivent être sagement dirigées. Peut-être
Dieu permit-il ces erreurs de bonne foi pour lui apprendre
la prudence dans la future direction de ses jeunes religieuses.
Se lever avant le reste du monde est une des pénitences les
plus dures, même pour des âmes consacrées, et notre sainte
dira plus tard que cela lui avait demandé un grand effort
à chaque matin durant plus de quarante ans. Le temps passa,
et notre amie reçut avec émotion le saint habit des Sœurs
de Notre Dame, avec le nom de Sœur Ste Christine. La ferveur
d'Esther fut accrue par cette nouvelle étape de sa vie religieuse,
mais avant peu sa santé déclina et empira tellement qu'une
décision devint nécessaire concernant le futur de notre amie.
Les Sœurs ne voulaient pas renvoyer cette novice modèle, alors
elles l'envoyèrent à un de leurs couvents en campagne, espérant
qu'un changement d'air lui ferait du bien. Ce ne fut pas le
cas. C'est ainsi que la pauvre fille dut se résigner à retourner
dans le monde avant la fin de son noviciat. C'est avec une
grande douleur qu'elle reprit ses vêtements civils et laissa
derrière elle son habit religieux. Son frère Jean-Baptiste,
voyant sa tristesse, supplia les Sœurs de la garder, mais
sans résultat. La volonté de Dieu devenait manifeste: Esther
devait retourner dans le monde. Vers la fin de sa vie, Jean-Baptiste
remarquait souvent: «ne me doutais pas, en cette triste
journée, quand mon cœur souffrait tellement de voir la douleur
de ma sœur à quitter le couvent, que Dieu lui préparait de
si grandes choses!» Un jour de 1833, alors que deux Soeurs
de Notre Dame se déplaçaient d'un couvent à un autre, elles
durent s'arrêter pour la nuit à la petite ville de Vaudreuil.
Sachant qu'une de leurs anciennes élèves y demeurait, et qu'elle
y avait même une petite école avec pensionnat, elles allèrent
lui demander l'hospitalité. La jeune femme, nommée Suzanne
Pineault, fut enchantée de les recevoir, et on se mit à échanger
des nouvelles. Suzanne révéla aux Sœurs que l'école demandait
trop de travail pour une personne seule, et elle leur demanda
si elles ne connaissaient pas quelqu'un qui pourrait l'aider.
Les Sœurs répondirent: «Une excellente femme, Mlle Esther
Blondin, a été obligée de quitter notre Noviciat pour cause
de mauvaise santé. Elle a tout ce qu’il faut pour devenir
une bonne enseignante. Elle nous a écrit que son année à la
maison lui a été bénéfique, et qu’elle se sentait capable
d’un emploi. Nous sommes certaines que vous vous entendriez
bien.»
Enseignante…
En effet, les deux jeunes femmes devinrent d’intimes amies.
Mais elle étaient loin de se douter, alors qu’elles vivaient
ainsi comme Directrice et Assistante, qu’elles allaient plus
tard contribuer à la fondation d’une autre communauté religieuse
parmi toutes celles faisant déjà partie de l’Église Catholique.
L’amitié des deux femmes allait bientôt être renforcie par
un lien familial: Nos deux professeurs recevaient régulièrement
la visite de membres de leurs familles respectives. C’est
ainsi qu’une des jeunes sœurs de Suzanne, et Jean-Baptiste,
frère d’Esther, se rencontrèrent et finirent par s’épouser!
Six ans après le début de leur collaboration, Suzanne se retira
pour prendre en mains le ménage d’un de ses oncles, Curé de
la paroisse St Timothée. Elle devait en outre y être en charge
de la petite école paroissiale. Esther continua donc à s’occuper
de l’école de Vaudreuil. Elle voyait grand, et elle visita
les écoles des grands centres tels que Québec, Montréal, et
même «» (aujourd’hui Ottawa). Elle engagea des professeurs
d’anglais et de musique, et des domestiques pour s’occuper
de l’intendance et autres tâches matérielles. C’était à l’époque
toute une réalisation, car bien des endroits demeuraient plutôt
primitifs. L’école de Vaudreuil était donc bien dirigée, et
ses élèves attiraient l’approbation des citoyens, grâce à
leur habillement et à leur comportement irréprochables. Inutile
de dire qu’on parlait en termes dithyrambiques de la Directrice,
notre Esther Blondin! D’ailleurs les talents de notre amie
ne s’exerçaient pas seulement dans le cadre de l’école, Esther
devint en effet le moteur de l’Action Catholique. Le Curé
pouvait se fier à son zèle et à sa piété. En 1843, lorsque
s’organisa l’association des Enfants de Marie, c’est notre
sainte qui fut élue comme première Présidente! Quand le Curé
ne pouvait se présenter aux réunions, c’est elle qui prenait
les choses en mains, et qui savait instiller parmi les membres
l’amour de la prière, de Marie, du Saint Sacrement, ainsi
qu’une charité active comme de visiter les malades, les personnes
âgées, les handicapés, sans oublier les aumônes à faire aux
pauvres.
Un Grand Projet
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La
Mère Marie-Anne
consultant Mgr Bourget |
Après quinze années vouées à l’enseignement et autres actions
sociales, Esther se mit à penser à un plus grand idéal. Elle
était convaincue que la volonté de Dieu était la fondation
d’une communauté religieuse chargée d’enseigner aux enfants
pauvres, ayant dans une même classe tant les garçons que les
filles. Cette idée de l’enseignement mixte était alors perçue
comme subversive, et contraire aux principes d’une saine moralité.
On croyait alors que seules les femmes devaient enseigner
aux filles, et seuls les hommes aux garçons. Il était interdit
d’enseigner à des classes mixtes. Or, à la même époque, un
problème surgissait: Bien que le Québec dans son ensemble
était devenu plus civilisé, ayant des prêtres et des religieuses
pour enseigner le peuple, la situation des campagnes demeurait
précaire. Il devenait impossible d'avoir suffisamment d'hommes
et de femmes pour instruire séparément filles et garçons.
Incapables de créer et soutenir deux écoles séparées, plusieurs
Curés choisissaient de n'en avoir aucune. Les garçons étaient
désavantagés: Il en aurait coûté trop cher de les envoyer
en d'autres villes ou villages afin qu'ils étudient dans une
école de garçons. On en avait d'ailleurs besoin à la maison.
Car les activités principales des campagnards étaient alors
les travaux de la ferme, l'abattage des arbres, etc. On avait
besoin des garçons le matin et le soir. Quand il n'y avait
pas d'école dans le village, on demeurait ignorant, voilà
tout! Comme son impulsion devenait de plus en plus forte,
Esther pria pour obtenir lumière et courage et, lors du Carême
de 1848, Dieu répondit à son appel. Elle comprit qu'elle devait
soumettre son idée à son évêque, Mgr Bourget, de Montréal,
et qu'elle avait donc besoin d'une lettre d'introduction de
son Curé, l'abbé Archambault. Celui-ci s'exécuta le 11 juin
1848, et notre amie alla rencontrer son évêque peu après.
Quand ce dernier arriva au parloir, Esther se jeta à genoux
pour baiser son anneau pastoral, et lui raconter son histoire.
Le prélat écouta attentivement et ne souleva pas d'objection
au projet qu'elle avait tant à coeur. Il lui dit: «vais
y réfléchir, en attendant, priez et patientez.» Notre
sainte s'exclama alors: «’ai prié, tellement, et pendant
si longtemps; et sans l’aide de la prière, je n’aurais jamais
pu me présenter avec cette mission devant votre Seigneurie!»
Le bon évêque fut conquis par la réponse résolue d’Esther.
«pouvez tenter la chose. Mentionnez votre projet à des
compagnes que vous penserez à même de vous suivre dans l’entreprise.
Priez sans répit, avec l’intention que, guidée par une intention
pure, vous fussiez bénie dans votre entreprise. Puisse-t-elle
tendre à Sa gloire et au salut des âmes.» Mlle Blondin
ne perdit pas de temps, et elle s'empressa d'informer son
Curé du résultat de l'entrevue. L'abbé Archambault rencontra
lui-même Mgr Bourget le 25 juillet, et il en profita pour
louanger la jeune femme: «compte sur la débrouillardise,
la distinction, et la piété vraie de Mlle Blondin pour maintenir
le bon esprit dans ma paroisse. Sa noblesse et son activité
en faveur du bien-être de tous lui obtiennent une influence
considérable.»
Une Nouvelle Congrégation
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M. l’abbé Paul-Loup Archambault |
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L’Évêque écrivit au Curé Archambault, lui donnant la permission
de préparer quelques femmes de bonne volonté à vivre selon
une règle commune, et à enseigner aux garçons et aux filles.
Esther rassembla six dames de Vaudreuil qui voulaient bien
faire l’essai de la vie en cette nouvelle communauté. Elles
commencèrent une retraite préparatoire le 4 septembre 1848,
prêchée par le Curé Archambault, lequel serait désormais leur
aumônier. Avec l’approbation de son évêque, il composa donc
une règle temporaire de vie religieuse pour les retraitantes,
et il nomma Esther comme «» de la communauté, et lui donna
le nom de Sr Marie-Anne. «» sera le terme utilisé durant les
premières années pour désigner la Sœur Supérieure. Esther
écrivit alors à sa vieille amie Suzanne Pineault: «sais
que, tout comme moi, vous avez toujours voulu devenir religieuse.
Qui sait si Dieu n’a pas réservé cette grâce de la profession
religieuse pour le milieu de notre vie, et si nos nombreuses
années d’attente ne nous ont pas été données comme préparation
à ce but ultime? Aimeriez-vous venir voir ce que nous faisons,
et peut-être décider d’y rester?» Cette nouvelle remplit
de joie le cœur de Suzanne, et renouvela en elle un espoir
qu'elle avait fini par croire irréalisable. Comme quelqu'un
rappelé d'exil, elle régla toutes ses affaires et se hâta
vers Vaudreuil pour se consacrer, ainsi que toutes ses possessions,
à la nouvelle entreprise. Cette fois Dieu l'accepta, et lorsque
le jour de la première profession arriva, jour où l’Institut
des Sœurs de Ste Anne devait officiellement devenir un institut
de l’Église Catholique, Suzanne fut l’une des cinq pionnières
qui persévérèrent et firent ce pas ultime. La communauté naissante
ne manqua jamais de rien, grâce à une bourse de la municipalité
en faveur des élèves pauvres, aux dons du Curé, et à la générosité
d’une fervente dame Catholique, Lady Marie-Louise de Lotbinière-Harwood.
Celle-ci était l’héritière du Seigneur de Lotbinière, et était
mariée à Robert Unwin Harwood, qui occupa plusieurs postes
importants aux niveaux politique et gouvernemental. Le fardeau
financier de la communauté s’en trouvait donc allégé. Néanmoins
les sœurs durent longtemps pratiquer une stricte économie,
et leurs repas furent souvent à base de betteraves: Tartes
aux betteraves, soupe aux betteraves, betteraves bouillies,
pilées, ou fricassées.
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La
famille Lotbinière-Harwood |
De Nouvelles Supérieures
L’Évêque vint visiter les soeurs le 25 mai 1849. Il y passa
deux jours à Vaudreuil, leur donnant non seulement des conférences
spirituelles, mais discutant en détail leurs périodes d’études
et leurs méthodes d’enseignement. Il fit aussi de nouvelles
nominations: Angèle Lefebvre devenait Directrice, Esther Blondin
était maintenant Économe, relevée de toute charge enseignante,
Suzanne Pineault, Julienne Ladouceur, et Justine Poirier demeuraient
enseignantes. Oui, l’évêque relégua au second rang la fondatrice
de la nouvelle Congrégation. N’oublions pas cet incident,
car il éclairera la suite de l’histoire… Les vacances d’été
de 1849 ne faisaient que commencer lorsque éclata à Vaudreuil
une épidémie de fièvre typhoïde. Souvent la cloche de l’église
sonnait pour les morts, dont plusieurs étaient chers aux Sœurs.
Le pire pour elles était qu’on leur avait défendu de visiter
les malades. Plusieurs jours plus tard, après la cessation
du fléau, et quand les maisons furent désinfectées, on vit
une chaloupe approcher du rivage. C’était l’évêque auxiliaire
de Montréal qui venait exprimer ses sympathies au Curé et
aux citoyens, et qui allait en profiter pour prêcher une retraite
de huit jours aux Postulantes, retraite préparatoire à leur
prise d’habit. Vers la fin de la retraite, l’évêque déclara
au Curé: «Je crois que nous faisons la volonté de Dieu,
elles sont toutes des saintes!» La retraite prit fin au
jour de l'Assomption, neuf Postulantes reçurent l'habit de
Novice, et huit jeunes filles prirent le voile de Postulantes.
Douze prêtres prirent part à la belle cérémonie. Avant de
quitter Vaudreuil, l'évêque auxiliaire nomma Sr Marie-Elizabeth
comme Directrice. Celle-ci exerça ses fonctions pendant quelques
mois puis retourna dans le monde. Le Curé Archambault choisit
alors pour la remplacer la Sr Marie de la Nativité. La Sr
Marie-Anne se trouva donc éloignée des feux de la rampe. Le
sage aumônier voulait diriger Esther vers le Mont Calvaire;
elle allait en effet le gravir, et elle en atteindrait le
sommet à la fin de sa vie. C'est avec un humble silence que
notre sainte aura donc vu trois jeunes novices prendre sa
place de Directrice en l'espace d'un an. Elle continuera sous
leur direction de s'acquitter avec zèle de ses emplois successifs
d'Économe, de Maîtresse des Novices, et de Surveillante.
Un Grand Évêque comme Guide
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La
Première Profession |
Mgr Bourget arriva à Vaudreuil le 3 septembre 1850 pour prêcher
la retraite de profession de nos cinq premières novices. Durant
cette retraite Monseigneur ne laissa rien de côté, et il communiqua
aux futures Professes les rudiments de la perfection, insistant
particulièrement sur la méditation, l’examen de conscience,
l’esprit de foi, et la sanctification de toutes leurs actions.
C’est le 8 septembre que les Novices reçurent le voile des
Professes. L’Évêque voulut que la cérémonie de Profession
se fasse avec toute la solennité possible, et en présence
des paroissiens assemblés en leur église. Son but était à
la fois d’édifier ces derniers, et aussi d’obtenir leur support
en faveur de la jeune communauté. Après la Profession des
vœux de religion, et la Sainte Messe, Mgr Bourget récita l’acte
de consécration à la Ste Vierge devant son autel. Les sœurs
retournèrent alors à leur couvent où un magnifique banquet
les attendait, avec des serviteurs fournis par Lady Harwood.
La récréation se prolongea jusque vers 15 heures, puis les
sœurs continuèrent leur retraite jusqu’au 10 septembre, jour
où Mgr Bourget fit de nouvelles nominations: Directrice et
Maîtresse des Novices: Mère Marie-Anne; Assistante et Sous-maîtresse
des Novices: Mère Marie de la Conception; Économe: Mère Marie
de l’Assomption; Cuisinière: Mère Marie de la Nativité; Enseignante:
Mère Marie-Michelle. L’Évêque détermina que les élections
auraient lieu à tous les trois ans. Il ne cessa de veiller
sur sa chère communauté, même quand il fut de retour à Montréal.
Les Sœurs de Ste Anne étaient maintenant établies canoniquement,
et Esther avait 41 ans… Chacune des cinq Professes se montra
digne d’occuper son emploi, et fut un pilier de la communauté.
Unies par la prière, la foi, l’humilité, le travail, et la
constance, elles suivaient la voie de la sanctification, et
y incitaient les autres par leur bon exemple. Les sœurs étaient
depuis quelques mois dirigées non plus par le Curé Archambault,
mais par le nouveau Curé de Vaudreuil, l’abbé Chevigny. Le
20 décembre 1850 Mgr Bourget écrivit à Mère Marie-Anne que
ce brave Curé ne pourrait plus continuer à s’acquitter de
sa double tâche. Il demandait donc aux Sœurs de prier «ferveur
pour que la bonne personne puisse tomber du Ciel comme une
rosée rafraîchissante pour fertiliser la Communauté.»
Le bon prélat leur écrivit un mois plus tard, donnant sa bénédiction
à ses «ères filles». En février 1851 il vint même les
visiter pour quelques jours. D’une voix et d’une manière douces
il leur expliqua: «…pour produire des fruits de bénédiction,
vous devez vivre dans l’humilité et mourir à vous-mêmes. Nul
doute qu’il ne vous en coûte d’être oubliées, et d’être piétinées
comme la noix de laquelle naît un grand arbre, mais c’est
précisément par l’humiliation généreusement acceptée que vous
deviendrez dignes de la complaisance divine… Croyez bien que
le présent et le futur de votre communauté dépendent de votre
générosité. Sacrifiez-vous sans cesse dans ce but. Travaillez
jour et nuit, par la pratique de toutes les vertus, à rendre
solides les fondations de votre Institut. Plus vous souffrirez
pour son amour, plus il croîtra riche de grâces et de bénédictions…
Prenez bien soin des enfants qui vous sont confiés. Protégez
leur innocence. Formez leurs jeunes cœurs à la crainte de
Dieu, qui est le début de la sagesse. Croyez qu’en vous dévouant
avec zèle à leur éducation, vous acquerrez la science des
saints… Apprenez aux enfants à sanctifier leurs actions. Développez
en eux les dévotions convenant à leur âge. Élevez-les comme
Ste Anne éleva la Ste Vierge Marie. Par là on a tout dit.»
Plus tard, en septembre 1851, on demanda aux Sœurs de
Ste Anne d’ouvrir un couvent dans la prospère paroisse Ste
Geneviève de Montréal. Malgré la jeunesse de l’Institut, on
y envoya donc trois Sœurs, et ce couvent s’établit solidement.
En 1852, Mgr Bourget encouragea les Sœurs: «Communauté
sera heureuse et parfaite si elle vit selon l’esprit du Christ.
Voilà ce que je souhaite par-dessus tout à chacun de ses membres.
En mars 1853, le saint évêque écrivit à Mère Marie-Anne:
«ce qui arrive, ma bonne Mère, survient par la Volonté
de Dieu, pour notre plus grand bien. …Formez bien les novices.
En un mot, soyez l’âme de cette société nouvellement née.
Continuez, avec votre communauté et les élèves, à offrir le
sacrifice de vos souffrances et de vos bonnes œuvres pour
les nombreuses âmes qui sont sur le chemin de la perdition,
et pour moi aussi, qui ai la responsabilité de les sauver
toutes.» Durant ces premières années, la Règle fut écrite
et clarifiée, et lorsqu'elle fut bien complétée, Mgr Bourget
demanda à la Mère Marie-Anne de l'expliquer aux Novices. A
travers ses efforts et avec l'aide du St Esprit, celles-ci
apprirent donc la Règle, et elles avancèrent de plus en plus
sur la voie de la perfection. Mère Marie-Anne avait besoin
de toutes les grâces possibles pour s’acquitter parfaitement
de son double fardeau de Directrice et Maîtresse des Novices.
Elle devait en effet à la fois superviser le personnel, les
classes, les dépenses, et la bonne marche de la communauté
en général. Il fallait aussi tenir la correspondance à jour,
et recevoir au parloir les prêtres, les amis, les bienfaiteurs,
etc. Une bonne administration était requise pour s’assurer
qu’on joignait les deux bouts. Malgré les dons de leur généreux
Curé et de Lady Harwood, les Sœurs se devaient d’être aussi
actives aux travaux des champs qu’en classe, si elles voulaient
que tout le monde ait assez de nourriture. On raconte qu’un
soir où des sœurs étaient revenues assez tard d’une journée
passée à récolter les pommes de terre, elles virent Mère Marie-Anne
les attendant debout sur le porche d’entrée du Couvent. La
bonne Mère leur fit déposer leurs sacs lourdement chargés,
les envoya se nettoyer, puis les conduisit au réfectoire où
elle les régala d’un bon souper qu’elle avait elle-même préparé!
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L’église
St Michel à Vaudreuil,
berceau de l’Institut des Soeurs de Ste Anne
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La Communauté Déménage
En 1853, le couvent de Vaudreuil était devenu trop étroit
pour la communauté florissante. Bien que Mgr Bourget avait
à quelques reprises demandé aux gens de l’endroit de se cotiser
pour la construction d’un plus grand couvent, ils avaient
refusé sa requête. C’est pourquoi le 23 août 1853, les Sœurs
de Ste Anne déménagèrent leurs pénates au village St Jacques,
à environ 60 km de Montréal, où elles occupèrent l’ancien
couvent des Sœurs du Sacré-Cœur. Le voyage fut rempli d’incidents:
Il fallut d’abord attendre sept jours pour voir le bateau
à vapeur accoster à Vaudreuil. Puis, peu de temps après l’appareillage,
l’embarcation entra en collision avec une barge, ce qui cassa
le mât du vapeur et faillit le faire chavirer. Après avoir
réparé le petit navire, on dut y combattre un incendie qui
causa plusieurs dommages aux biens des Sœurs! Finalement,
le bateau arriva à St Sulpice, où la généreuse population
se rassembla au quai, et où elle fournit aux Sœurs 24 charrettes
pour la continuation du périple jusqu’à St Jacques.
Les
bonnes Sœurs du Sacré-Cœur avaient laissé leur chapelle avec
tous les ornements nécessaires, incluant même un magnifique
ostensoir fait en France. Elles avaient aussi laissé une belle
horloge «-père» dans le parloir, et un service à vaisselle
de porcelaine au réfectoire.
Quelques Ennuis
M. l’abbé Barrette, véritable homme de Dieu, ayant l’expérience
de la direction des religieuses, fut donc le nouveau Curé
et aumônier des Sœurs de Ste Anne, et il sut rapidement gagner
leur confiance. Mais le 30 août, sept jours à peine après
leur arrivée à St Jacques, les sœurs apprirent qu’il y avait
un nouveau venu au Presbytère, m. l’abbé Louis Maréchal. Le
dimanche suivant, 4 septembre, celui-ci se présenta au couvent
en compagnie du Curé Barrette. Les deux prêtres furent alors
reçus au parloir par Sr Marie-Anne et son Assistante. Après
les civilités d’usage, l’abbé Maréchal dit aux Sœurs: «suppose
que vous savez, mes sœurs, que l’Évêque m’a nommé aumônier
de cette communauté?» Il leur montra alors ses lettres
d'accréditation. L'information les troubla comme un coup de
tonnerre. Sous l'effet de la surprise, Mère Marie-Anne répondit:
«’Évêque ne nous a pas informées de votre venue. J’ai une
lettre de lui datée du 7 août, dans laquelle il désignait
m. l’abbé Barrette comme devant être notre aumônier. J’attendrai
un nouvel avis de Monseigneur avant de vous recevoir comme
notre aumônier.» Notre sainte écrivit le même jour à Mgr
Bourget, et celui-ci lui répondit rapidement: «. l’abbé
Barrette est nommé Curé de St Ligouri. De ce fait vous devriez
conclure qu’il n’est plus votre aumônier. Vous auriez dû recevoir
cordialement m. l’abbé Maréchal, puisqu’il venait au nom de
Dieu, dont la volonté s’était fait connaître par la voix de
l’Évêque. Veuillez faire comprendre à vos filles que la simplicité
religieuse leur demande d’accorder toute leur confiance au
nouveau venu, puisqu’il vient au nom de Jésus-Christ, représenté
par l’Évêque.» Après une retraite le même mois, Mère Marie-Anne
assura l’Évêque de sa filiale obéissance. Cet acte de soumission
de la Directrice (et sa cordiale réception par Mgr Bourget)
aurait dû ramener la paix au sein de la communauté. Ce ne
fut pas le cas. Certaines religieuses préféraient l’abbé Barrette,
et d’autres l’abbé Maréchal. Cette atmosphère troublée allait
perdurer pendant toute l’année scolaire… Parlons maintenant
de l’école: Il fallait préparer les lieux! C’est ce que les
Sœurs avaient commencé à faire dès leur arrivée à St Jacques.
Elles dessinaient des plans pour aménager leur école, elles
aidaient les ouvriers à démolir et à monter des murs et des
partitions, n’hésitant pas à donner du marteau! La nuit venue,
elles nettoyaient les lieux des gravats et autres saletés.
Il leur fallait aussi nourrir les travailleurs et vaquer aux
travaux de la ferme. Leur zèle fut productif, puisque le 1er
octobre tout était prêt pour l'ouverture de l'école! Mais
revenons à m. l'abbé Maréchal. C'était un homme au zèle excessif
qui n'avait jamais vraiment connu ni douleur ni souffrance,
et qui ne pouvait donc comprendre les souffrances authentiques
des autres. Un jour il ordonna à trois sœurs malades et confinées
à l'infirmerie de se lever et de retourner à leur travail.
Quelque temps après, l'abbé Maréchal fut lui-même atteint
d'un accès de rhumatisme inflammatoire: c'était à son tour
de souffrir. Il eut alors l'humilité de dire aux sœurs: «-moi,
je ne savais pas ce qu’était la vraie souffrance. Dieu me
l’a fait comprendre!» Malgré cela, il faut dire ici que
Dieu à permis, pour la sanctification d’Esther, que m. l’abbé
Maréchal ne l’aimât point, et qu’il eut d’elle une pauvre
opinion. Notre amie a bien reconnu le mépris du prêtre à son
endroit, et elle essaya à plusieurs reprises d’améliorer leurs
relations mutuelles; elle ne lui garda d’ailleurs jamais rancune.
Ce fut très dur à accomplir, surtout que notre amie faisait
alors face à de multiples difficultés, mais elle réussit à
maîtriser ses émotions, avec la grâce de Dieu. Mère Marie-Anne
devint un modèle d’humilité et d’obéissance, et elle se servit
de toutes ses croix comme d’autant de barreaux l’aidant à
grimper l’échelle de la sainteté.
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Le premier couvent de St Jacques |
Les Élections
C’est le 29 juillet 1854 que Mgr Bourget fit sa première visite
aux sœurs de Ste Anne à St Jacques. Il officia aux cérémonies
de Vêture et de Profession, et il profita du lendemain pour
rencontrer personnellement plusieurs Sœurs. Le 18 août il
écrivait de Montréal à la Sœur Marie-Anne, pour qu’elle demande
aux religieuses de se préparer par la prière pour les élections
devant avoir lieu bientôt. Il continuait ainsi: «à vous,
ma bonne Mère, vous vous démettrez de bon cœur, et vous direz
à vos Sœurs que vous ne serez plus jamais autorisée à assumer
le supériorat, même si elles désiraient vous en confier la
charge!» Esther accepta très humblement cette rebuffade,
et elle écrivit à son évêque: «…Me voici finalement libérée
du poids si lourd du Supériorat. J’ai pitié à l’avance de
la pauvre Sœur sur les épaules de laquelle on le mettra. …J’espère
que la Sœur qui me succédera dans ma charge remplira mieux
que moi ses devoirs…» Le 30 août, Mgr Bourget venait à
St Jacques pour y présider les élections en personne. Ayant
nommé Supérieure Générale celle qu'il croyait la plus capable,
il nomma Mère Marie-Anne Directrice de la maison de Ste Geneviève.
Notre amie eut beaucoup à souffrir à son nouveau poste. Souvent
on entendait la sainte Fondatrice pleurer durant la nuit.
Mais pendant le jour elle continuait son travail de manière
angélique, s'affairant à bien gouverner sa maison. Elle resta
à Ste Geneviève durant quatre ans, et elle y fit de nouveau
la preuve de ses capacités d'administratrice. Elle fit en
sorte de rembourser la dette du couvent, et sa bonne supervision
des classes lui gagna les cœurs des enseignantes et des élèves,
et lui valut la bonne opinion des villageois et des mandataires.
Même si la dette de Ste Geneviève était payée, il fallait
quand même vivre modérément. C'est pourquoi Mère Marie-Anne
dut refuser à plusieurs reprises d’aider financièrement le
couvent de St Jacques.
Nouvelles Fondations
Les souffrances et les prières d’Esther et des autres sœurs
anciennes finirent par porter fruit. En 1855, un couvent fut
ouvert à St Ambroise de Kildare, et un autre le fut à St Cyprien
de Napierville en 1857. Un an plus tard, la Supérieure Générale
rappela Mère Marie-Anne à St Jacques, pour y occuper le poste
de sacristine et de lingère. Notre Sainte apporta à ces tâches
tout son souci du détail et de l’ouvrage bien fait. La chapelle
brillait de propreté, les linges d’autel étaient d’une blancheur
immaculée, les habits des sœurs leur allaient comme un gant.
De celles qui l’aidaient dans ses travaux autour de l’autel,
elle exigeait ni plus ni moins que la perfection, ayant comme
devise: «acte de culte, même le plus infime, devrait être
fait avec précision.» Durant cette période, les Sœurs
de Ste Anne décidaient l’ouverture d’une école sur l’île de
Vancouver. Notre amie se porta volontaire pour le dangereux
et long périple, mais l’évêque lui en refusa la permission.
Esther voulait voir du pays? Pas de problème, se dirent ses
Sœurs. On l’envoya donc au couvent de St Ambroise de Kildare,
à environ 120 km au nord de Montréal, autrement dit en pleine
brousse à l’époque! Son obédience ne précisait pas quel devrait
être son poste. On voulait simplement l’envoyer le plus loin
possible de St Jacques!
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Couvent et Pensionnat de Lachine |
Obéissance, Humilité, Charité
Lorsqu’en 1864 la Maison généralice fut déménagée au couvent
de Lachine, près de Montréal, on y nomma Mère Marie-Anne.
Elle y occupera jusqu’en 1890 les fonctions de sacristine
et de couturière, exception faite de l’année 1865-1866, où
elle redevint Directrice du couvent Ste Geneviève. Les sœurs
qui vécurent en sa compagnie admiraient sa régularité, la
perfection avec laquelle elle accomplissait les plus petites
actions, et la dignité et le recueillement dont étaient empreints
tous ses gestes. Quand notre sainte voyait quelqu’un transporter
un fardeau quelconque, elle lui offrait son aide, même s’il
s’agissait de la plus jeune sœur du Couvent. Mère Marie-Anne
disait souvent, au sujet des Postulantes et des Novices:«Aimons
ces chères petites, elles sont l’espoir de la communauté!»
Et quand elle devait les réprimander pour quelque manquement
au règlement, elle le faisait toujours avec une grande charité,
conformément à l’esprit de l’Évangile. C’est au sous-sol de
la Maison Mère de Lachine, où se trouvait la buanderie, que
plusieurs générations de Postulantes et de Novices reçurent
de Sr Marie-Anne de nombreux exemples d’obéissance, d’humilité,
et de charité. Combien de pieuses maximes n’y ont-elles pas
apprises des lèvres de la fondatrice, tout en lavant ou en
repassant le linge avec elle? En voici quelques-unes: «en
premier, Dieu par-dessus tout, Dieu seul.» «Chaque religieuse
devrait être une sainte.» «Dieu est avec nous dans le temps,
nous serons avec Lui dans l’Éternité.» «tout pour Dieu, et
que ce ‘tout’ soit bien fait» «croix font partie de la vie.
Dieu en destine de très lourdes pour certaines religieuses,
mais jamais sans les envelopper de son amour. Avec elles vient
aussi l’assurance que mieux elles seront portées, plus riche
en sera la récompense.»
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Sanctuaire de Ste Anne à Lachine |
Les Dernières Années
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Les cinq dernières années de la vie d’Esther se passèrent
à travailler à l’infirmerie. Elle se tenait toujours occupée,
malgré ses souffrances causées par le rhumatisme et l’arthrite.
On la voyait souvent une aiguille à la main et, sans qu’elle
eut besoin de lunettes, sa broderie, ses motifs, sa couture
étaient si parfaits que beaucoup de ses travaux furent préservés
et même exposés à l’occasion. Sa politesse vis-à-vis des malades
était charmante. Elle les visitait durant la récréation de
midi, réarrangeant leurs oreillers, leur procurant tout le
confort possible, et leur donnant avec tact de bons conseils
et de précieux encouragements. En décembre 1899, alors qu’une
chapelle dédiée à Ste Anne était presque complétée, la fin
de la vie terrestre de notre sainte approchait. Un trouble
des bronches, qui la faisait souvent tousser, s’ajouta à ses
autres maladies. Le jour de Noël, Esther assista à six Messes,
et passa la plus grande partie de la journée à la nouvelle
chapelle. À cause de l’humidité, elle attrapa un rhume, et
cela amena aussi de la fièvre et une dyspnée. Le jour du Nouvel
An, les Novices et Postulantes, auxquelles Sr Marie-Anne avait
tant démontré d’affection, allèrent dans sa chambre lui tenir
compagnie. Notre amie leur tendit les mains et les bénit,
d’une voix brisée par l’effort requis pour respirer: «et
heureuse Année! Soyez de bonnes religieuses! Petites Sœurs,
vous êtes le futur de la Communauté!» Mère Marie-Anne
avait toujours réagi à la persécution en pardonnant sans restriction,
convaincue qu'elle était qu'il y avait «de joie dans le
pardon que dans la revanche.» Notre sainte laissa aussi
en héritage à ses sœurs une Règle d'Or: «l’Eucharistie
et l’abandon à la volonté de Dieu être votre paradis sur terre.»
Un peu plus tard, à deux heures de l'après-midi, Soeur Marie-Anne
Blondin quittait cette terre pour obtenir sa récompense éternelle.
Notre sainte quittait donc sa communauté après l'avoir édifiée
par ses vertus. Elle avait toujours cherché à faire la volonté
de Dieu. Après avoir été démise de ses fonctions de Supérieure,
alors qu'elle était la Fondatrice de la communauté, elle choisit
d'obéir à son évêque, pour que son institut puisse survivre.
Elle fut privée de ses droits les plus légitimes: Les sœurs
qui lui furent fidèles se virent interdites de l'appeler «ère».
Néanmoins, notre amie ne renonça pas à sa mission de «ère
spirituelle» de la communauté. Elle s'offrit à Dieu pour expier
les péchés commis dans l'institut, et elle pria quotidiennement
Ste Anne «’obtenir pour ses filles spirituelles toutes
les vertus nécessaires pour être de bons éducatrices de la
jeunesse chrétienne.» Des témoins ont affirmé que Sr Marie-Anne
disait toujours la vérité, sans aucune rancœur toutefois.
Même si Mgr Bourget lui avait retiré sa confiance, Esther
lui conserva toujours la sienne.
Les Sœurs de Ste Anne se développèrent merveilleusement et,
en 1939, moins de cent ans après leur fondation, elles étaient
plus de 2000. De nos jours on les retrouve non seulement au
Canada et aux États-unis, mais aussi à Haïti, au Chili, et
au Cameroun. Le 14 mai 1991, le Pape Jean-Paul II déclara
Mère Marie-Anne Vénérable, et il la béatifia le 29 avril 2001.
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Bienheureuse
Marie-Anne Blondin,
Priez Pour Nous!
Nota Bene:
L’école fondée en 1858
à Victoria, C-B, par les Sœurs de Ste Anne existe
toujours, et est devenue un musée (Voir photo ci-contre).
De 1871 à 1910, les sœurs construisirent
une école plus spacieuse appelée ‘St.
Ann’s Academy’. Depuis 1974, ce magnifique édifice
abrite des bureaux du Gouvernement Provincial, et un Centre
d’Interprétation. Un fait très intéressant:
La chapelle de l’Académie est utilisée
mensuellement pour la célébration de la Messe
de St Pie V en latin. Surpris? Pas tant que cela, quand vous
saurez qu’elle est dite par le Rév. Père
Greuter, un ami de la FSSPX! Oui! C’est bien vrai! Voyez
l’adresse de cette chapelle en page 31 de ce numéro!