Dans la Crise de
l'Eglise
Un Peu de Romanité, la Vraie
par Monsieur l’abbé Michel Simoulin, Supérieur du district d’Italie de
la Fraternité St. Pie X
Malgré l’échec des discussions avec Rome, les idées exposées par l’abbé
Simoulin restent justes, car elles se situent au niveau des principes
et des réalités immuables, qu’il est nécessaire d’avoir toujours bien
en vue, quoiqu’il arrive.
Tout
a-priori, tels que « il n’y a rien à attendre de Rome » ou « Rome
revient à la Tradition », étant à éviter, et chacun devant être toujours
disposé à corriger honnêtement ce qu’il croyait être une certitude, ces
considérations voudraient nous aider simplement à ne pas perdre le sens
de l’Église avec l’amour de Rome, et, avec la grâce de Dieu, aider peut-être
quelques confrères à raison garder.
En
effet, depuis des années, nous avons l’habitude de parler de la Rome éternelle
et de la Rome moderniste, de l’Eglise catholique et de l’Eglise conciliaire,
de la religion catholique et de la religion d’Assise, etc…deux Romes,
deux églises, deux religions qui s’opposent et s’affrontent, n’ayant apparemment
rien de commun entre elles.
Ces
formules sont excellentes. Elles rendent compte avec vigueur du drame
que vit l’Église depuis quarante ans. Elles sont suggestives et justes,
mais dans les limites de l’analogie. Si l’on en force le sens,
elles peuvent en effet devenir source de terribles confusions, et engendrer
un manichéisme dont le sens de l’Église, la foi dans sa divinité et le
simple sens du surnaturel seront les premières victimes.
En
effet, il est évident que ni Rome, ni l’Église ne sont des substances
ou des suppôts, mais elles sont des sociétés, des êtres moraux dont l’unité
consiste dans l’unité de la foi, de l’espérance et de la charité, dans
la communauté de pensée et de vouloir ordonnés à la même fin: le règne
de Notre Seigneur Jésus Christ et le salut des âmes en vue de la gloire
de Dieu.
Nous
ne pouvons donc pas concevoir deux entités parfaitement distinctes, bien
individuées et identifiables, mais plutôt un être moral unique, le seul
réel, l’Église catholique, mais empoisonné aujourd’hui par un esprit étranger
et ennemi qui tend à le corrompre et à le détruire.
De
fait ni la Rome moderniste, ni l’Église conciliaire n’ont un être distinct
et séparé de celui de la Rome éternelle et de l’Église catholique. Elles
ne peuvent en avoir, comme le mal ne peut exister qu’en empruntant son
être au bien qu’il veut détruire, et qu’il ne peut détruire sans se détruire
lui même.
Qu’est-ce
en effet que l’Eglise conciliaire ? Rien d’autre que la défiguration
de l’Église catholique par le Concile et ce qu’il y a d’étranger à l’esprit
catholique dans l’esprit du concile. Sous ce que nous appelons l’Eglise
conciliaire, demeure toujours l’Église catholique, notre mère, ensevelie,
endormie et plus ou moins réduite au silence.
Mais
il est évident – pour qui garde au cœur la foi dans la divinité de l’Église,
corps mystique et épouse de Jésus Christ – que cette « pensée de
type non catholique » dont parlait Paul VI, sera toujours impuissante
à s’emparer de l’âme de l’Église, de sa pensée et de son cœur, et « ne
représentera jamais la pensée de l’Église ». L’esprit du concile
ne peut s’emparer que de ses membres et de sa bouche, pour lui faire professer
ce qu’elle ne peut penser ni croire ; il peut pénétrer ses entrailles,
comme le disait saint Pie X, mais il ne peut et ne pourra jamais s’en
rendre totalement maître. Ne pas croire cela, c’est douter des promesses
faites par Notre Seigneur à son Église. L’Église catholique est submergée
par l’esprit du monde, elle vit son « Exinanivit » dans
la fidélité à son époux, mais cela ne signifie pas qu’elle soit absente
du corps meurtri qui demeure le sien.
L’Église
catholique est à Ecône, c’est vrai. Mais qui, sans tomber dans l’esprit
de secte, osera dire qu’elle n’est qu’à Ecône ? Elle est aussi à
Rome, elle est d’abord à Rome avec la Rome catholique et éternelle.
L’Église
conciliaire est à Rome, c’est vrai. Mais elle est aussi partout dans le
monde là où l’esprit du concile a pu pénétrer l’Église et la domine.
Mais on ne peut
trouver l’Église conciliaire sans trouver, ensevelie sous elle, son support
et sa victime tout à la fois, l’Église catholique.
Il
arrive parfois que Jésus Christ permette à son Église de l’emporter et
de faire entendre clairement sa voix (sacerdoce des femmes, morale naturelle...).
Il arrive hélas que l’Église conciliaire se fasse entendre avec plus de
force, dans de grandes occasions (Assise, demandes de pardon, cérémonies
oecuméniques ou inter-religieuses…). Mais le plus souvent, le pain quotidien
que nous distribue l’Église est un mélange au dosage variable de l’une
et l’autre voix, insipide et insignifiant, sentimental et philanthrope,
sans vigueur pour le bien ni contre le mal, pour le vrai ni contre le
faux. C’est notre Église défigurée, trop humaine, trop mondaine, ni franchement
catholique et anti-moderniste, ni franchement moderniste et anti-catholique.
Tout
cela n’empêche que, malgré l’orientation générale donnée à l’Église par
ses prélats conciliaires, l’Église demeure plus forte, et que quelque
chose de bon puisse toujours venir de l’Église à travers l’Église conciliaire,
à son insu ou contre son gré. C’est cela seul qui nous explique pourquoi
Monseigneur n’a jamais hésité à se rendre à Rome, ou à demander à la Rome
moderniste de laisser faire l’expérience de la Tradition, ou à demander
la reconnaissance de la Fraternité et la permission de faire les sacres,
etc…parce qu’il croyait que l’Église vivait encore à Rome et pouvait user
des organes conciliaires pour faire du bien.
En
outre, nous ne pouvons pas oublier que l’Église n’est pas un être purement
spirituel. Elle est une réalité incarnée. Elle a besoin d’une constitution
juridique, plus ou moins développée, pour s’incarner et incarner Jésus
Christ. Elle a besoin d’institutions et d’hommes pour rendre visible,
agissante et accessible sa réalité spirituelle et divine. C’est là précisément,
dans cette seule dimension humaine que peut intervenir concrètement et
dominer cet esprit du concile pour constituer cette Église conciliaire,
au rebours de l’esprit catholique. Mais les organes et les autorités qu’utilise
cet esprit du concile pour faire de l’Église catholique l’Église conciliaire
sont ceux de l’Église catholique. C’est le mystère des permissions divines,
symbolisé par la parabole de la zizanie : deux esprits, deux religions,
deux églises…mêlés inextricablement dans l’unique réalité que constitue
l’Église catholique, ma mère sans laquelle je ne peux vivre et pour laquelle
je veux bien souffrir et supporter ce qu’elle souffre et supporte.
Cela étant, si nous
considérons précisément ces réalités dans leur incarnation, nous avons
affaire à des hommes, êtres de chair et de sang, dotés d’intelligence
et de volonté , de sentiments et de passions, d’émotions, de qualités
et de défauts, de péchés et de vertus, capables des pires trahisons mais
toujours accessibles à la grâce.
Les réalités de l’Église
ne sont pas des abstractions sur lesquelles on peut travailler à son aise.
Dire que deux églises, deux Romes, deux religions sont en présence est
vrai, mais concrètement que signifie une telle affirmation? Elle ne peut
rien pouvoir dire de plus que ce fait de la pénétration dans l’Église
d’un esprit qui n’est pas catholique qui cherche à la dominer pour mieux
la détruire. Signifier davantage serait succomber à la tentation de ce
manichéisme subtil et simplificateur qui veut que tout soit pur et bon
à droite, tout impur et mauvais à gauche (sans connotation politique !).
Les réalités sont plus subtiles et moins simplistes, et partant moins
faciles à saisir, il est vrai.
Face
à un pape, un cardinal, un évêque, un prêtre, un fidèle…un être de chair
et de sang, qui saura me dire en toute vérité que tel ou tel est absolument
conciliaire au point de n’être plus catholique, ou qu’il est absolument
catholique au point de n’avoir rien de conciliaire ? Où se situe
précisément la frontière entre les deux esprits, les deux églises, les
deux Romes ? A partir de quand est-on vraiment conciliaire ou ne
l’est-on pas du tout ?
Il
est peut-être facile de répondre avec assez de probabilité pour un petit
nombre : d’une part les conciliaires authentiques, docteurs en hérésie,
conscients et volontaires destructeurs de l’Eglise… et les saints manifestes
d’autre part. Mais avouons que ces deux catégories ont toujours été le
petit nombre dans l’Eglise. Dieu seul connaissant les secrets des cœurs,
il est seul à savoir s’ils sont plus nombreux que ce que nous en savons.
Le
plus grand nombre se situe entre les deux. C’est cette belle masse de
l’humanité « velléitaire », dont je fais sans doute partie,
qui voudrait choisir, qui choisit parfois, qui navigue d’un bord à l’autre,
incertaine d’elle même et de Dieu, et cherche toujours l’impossible troisième
voie où l’on pourrait aimer Dieu de tout son coeur sans cesser de s’aimer
un peu soi-même…, plus ou moins catholique ou conciliaire selon les circonstances.
C’est l’Église dans toute sa misère humaine, vrai miracle de la grâce
de Jésus Christ pour demeurer unique voie de salut et de sainteté.
Mais
l’Église conciliaire, en tant que telle, ne se concrétise que dans un
tout petit nombre d’idéologues, hérétiques formels, ceux qui ont formellement
rejeté l’Église catholique. Qui sont-ils ? C’est le secret de Dieu.
J’ajoute à cela qu’il
me semble que nous ne sommes plus en 1970, ni même en 1988. Je dirais
volontiers comme Mgr. Williamson qu’il ne faut pas faire du septantisme
ou du quatre-vingt huitisme! D’un côté, si nous n’avons plus avec nous
Monseigneur, avec toute sa sainteté, sa sagesse, son expérience de Rome
et son sens profond de l’Eglise, nous avons tout ce qui est nécessaire
à notre survie et nous sommes aussi plus nombreux, plus forts et plus
unis (je l’espère, du moins). Nos chapitres généraux, réunions de supérieurs,
ont manifesté cette vigueur et cette unanimité. Dernier en date, notre
pèlerinage à Rome l’a fait avec éclat, tout en redonnant à nos prêtres
et aux meilleurs de nos fidèles le sens et l’amour de la Rome éternelle.
Par ailleurs, il
me semble que l’heure du concile « triomphant » des années 70
est passée. Nous en sommes à celle du concile « titubant »,
à l’image du Souverain Pontife. Les « docteurs » du concile
sont en voie de disparition. A part le Pape lui-même et son fidèle Ratzinger,
nous avons affaire aujourd’hui aux disciples du concile, ceux qui n’ont
rien reçu d’autre que le concile. Ils en ont été nourris et y sont plus
ou moins fidèles, par conviction, par obéissance, par intérêt ou simplement,
disciples naïfs, parce qu’ils ne connaissent rien d’autre. Ils sont en
tout cas plus ouverts, ne serait-ce que par curiosité, à d’autres pensées.
Ils ne disent plus « obéissez » et écoutent plus volontiers
un discours catholique! Ils ne le comprennent pas forcément, mais ils
n’y sont pas hostiles a-priori. Toujours est-il qu’à Rome, même si rien
n’est changé officiellement sur la route à suivre et suivie avec acharnement
par les idéologues du concile, on ressent moins d’enthousiasme pour les
idéaux conciliaires, répétés comme une leçon bien apprise, mais avec moins
d’illusion peut-être que naguère. Nous n’en sommes pas encore à la remise
en cause du concile, mais il n’est pas dit qu’une faille ne s’introduise
bientôt qui permette d’introduire le germe de cette remise en question.
En bref, Rome se débarrasse peu à peu des ultimes « reliques vivantes »
du Concile. Demeure le petit nombre des profiteurs de tout poil, des
hérétiques réels, des ennemis secrets, et le grand nombre des disciples
du concile, plus ou moins convaincus, qui ont le désir et le sentiment
de travailler pour l’Église catholique.
Enfin,
nous le constatons tous, et cela se voit jusque dans les bureaux des congrégations
romaines, le jeune clergé est désireux plus que ses prédécesseurs, d’une
vie sacerdotale à la hauteur du Cœur de Notre Seigneur.
Alors,
faut-il ou ne faut-il pas accepter un accord avec Rome ?
On
me dit que notre « excommunication » par l’Eglise conciliaire
est la meilleure garantie de catholicité que nous puissions donner aux
fidèles. Cela est vrai, et c’est pourquoi nous avons demandé en 1988 à
partager « l’excommunication » de nos évêques. Cela étant, treize
ans après, devons-nous persister à réclamer cette étiquette ? Nos
fidèles savent ce qu’elle signifie, et j’espère qu’ils auront été formés
à en conserver la signification malgré son éventuelle disparition. J’ose
espérer que pour eux, la substance compte plus que l’étiquette. Quant
aux autres fidèles, ceux qui sont effrayés par cette étiquette, il me
semble que ceux-là ne font pas la distinction Église catholique – Église
conciliaire. Pour eux, nous sommes excommuniés, et cela suffit à les effrayer.
Le retrait de cette étiquette, sans rien changer au fond, serait pour
eux une libération.
A un niveau plus
substantiel, si demain l’Église conciliaire, par méprise ou même par calcul,
mais toujours par disposition providentielle, nous donnait le moyen, sans
que nous ayons rien à renier, rien à changer, rien à promettre – sinon
de servir l’Église et la vérité – de servir l’Église catholique ensevelie
sous elle pour l’aider à revivre avec toutes ses forces surnaturelles
(Messe, sacrements, doctrine, morale, discipline) et à se débarrasser
peu à peu de l’esprit du concile, serons-nous vraiment obligés de refuser
d’entrer en contact et d’envisager un règlement de notre situation, sous
prétexte qu’ils sont tous des bandits ?
L’Église
catholique serait-elle à ce point privée des secours divins pour n’avoir
plus assez de vigueur pour se servir des organes de l’Église conciliaire,
qui sont aussi les siens, pour se débarrasser de ses ennemis et se manifester
au monde avec toute sa vigueur retrouvée ? Ne devons-nous pas l’y
aider, si la possibilité nous en est offerte ?
Il est bien vrai
que nous travaillons déjà pour l’Église catholique. Nous avons gardé pour
la servir tout ce que nous avons reçu d’elle, tous ses plus beaux trésors.
Mais pourquoi les avons-nous gardés ? Pour nous ? Non, pour
elle. Et nous devons reconnaître que toutes les limitations qui nous sont
mises par l’Église conciliaire créent de réels obstacles à notre zèle
pour l’Église. Si nous obtenons que la Rome moderniste retire ces obstacles
à notre action, sans que nous ayons rien à changer, pouvons-nous refuser
de considérer cette possibilité d’un service plus généreux et plus large
de la Rome éternelle ? Si la Rome moderniste, par exemple nous accorde
une reconnaissance canonique, il est clair que cela ne sera pour nous
que le moyen de travailler à rétablir la doctrine au sein de l’Église
avec la plénitude de la vérité catholique. Cela se fera-t-il sans nous ?
Dieu pourrait le faire, c’est clair, au regard de tant de prières, de
sacrifices, de vies offertes depuis tant d’années pour l’Église. Mais
ce serait de l’ordre du miracle moral, et nous ne pouvons pas compter
sur cela. Dieu se sert le plus souvent de causes secondes pour accomplir
ses oeuvres. Ne voulons-nous pas être au nombre de celles-ci pour
le service de la plus noble des causes, et ajouter notre part à l’œuvre
de la grâce dans l’Église et dans les âmes ?
On me dit aussi :
que Rome se convertisse, et ensuite nous verrons. Ma réponse est identique :
il n’est pas catholique de s’en remettre au miracle. Rome ne se convertira
pas si personne n’y travaille, si personne n’est reconnu comme « interlocuteur
valable » dans un vrai débat théologique, pour ramener la vérité
sur son trône. Par ailleurs, il y a tant de chemins qui mènent à Damas.
« Il y a des âmes qui vont par la lumière à l’amour, d’autres qui
vont par l’amour à la lumière » écrivait si bellement le saint abbé
Berto. Les unes se convertissent par l’intelligence ; avides de vérité
elles veulent lui appartenir pour lui rendre hommage en faisant dépendre
d’elle toute leur vie, puis leur science se tourne à aimer, parce que
la lumière qui est en elles veut se répandre sur d’autres et ainsi les
leur fait aimer. Mais d’autres aiment d’abord et aspirent à donner, mais
à donner plus qu’elles-mêmes car elles sentent leurs limites et ne peuvent
se satisfaire de donner moins que l’Infini. Elles se font alors mendiantes
de vérité pour pouvoir donner le seul Don en mesure de contenter leur
amour et de rassasier la faim de ceux qu’ils aiment, l’Esprit de Vérité.
Les écrits des Docteurs de l’Eglise, des grands mystiques, de St Thomas
à Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus en passant par St Jean de la Croix sont
unanimes sur ce point. Avons-nous le droit d’attendre de tous une conversion
doctrinale sans essayer de les conduire à la lumière, par le coeur ou
par l’intelligence ? "
Albano
du 13 au 16 février 2001.
Abbé
Michel Simoulin
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