EDUCATION
L’éducation
des vertus commence bien avant l’âge de cinq ans
Conférence
aux parents de l’école Saint Dominic, à Post Falls, Idaho, U.S.A., par
les religieuses dominicaines enseignantes,
décembre 2000
Nous remercions
spécialement Mère Thérèse-Joseph, Prieure, de nous permettre de reproduire
cette étude belle et profonde
L'école, Saint
Dominic à Post Falls. On voit l'église, et le bâtiment principal.
Dans l’éducation
des enfants, la famille comme l’école doivent veiller à fonder leur action
sur les lois de la nature et de la grâce et sur les principes de l’Église,
et non pas sur des opinions ou des préférences personnelles qui ne peuvent
qu’engendrer une étroitesse d’esprit, un subjectivisme, une indépendance
par rapport à ces lois de la nature et de la grâce, et finalement des
erreurs de jugement ayant des conséquences terribles pour l’avenir de
nos enfants. Il est très nécessaire que, dans toutes les décisions qu’elles
prennent dans l’éducation, la famille comme l’école s’efforcent de se
conformer aux principes droits tels qu’ils nous sont transmis par deux
millénaires de vie de l’Église, par les enseignements de beaucoup de papes,
en bref, par la sagesse et l’autorité de notre Sainte Mère l’Église qui
a la charge de nous éduquer, de nous gouverner et de nous guider, et à
qui nous devons donc une profonde obéissance. Tant d’erreurs en éducation
proviennent de l’orgueil humain sous la forme d’esprit d’indépendance!
Les enfants sont alors fourvoyés, c.a.d. conduits sur des fausses routes,
de faux efforts, des fausses convictions, un catholicisme étroit d’esprit,
une compréhension individualiste de la vie chrétienne, une échelle de
valeurs erronée. Ne croyons pas que ces déviations, ou du moins le danger
d’y succomber, ne nous concernent pas. Nous sommes aujourd’hui tellement
immergés dans un monde très libéral, dont la caractéristique est cet esprit
d’indépendance par rapport à toute loi ou autorité, que, très facilement,
peut-être inconsciemment mais véritablement, nous inclinons à juger de
toutes choses selon nos propres vues sans nous préoccuper assez de vérifier
si nos pensées sont vraies ou fausses. Très facilement, nous négligeons
de tenir compte de vérités et de principes objectifs, comme de l’autorité
indiscutée des enseignements de l’Église. Et cela est grave. Car l’éducation
n’est pas arbitraire. Elle ne peut l’être. Ce n’est aucun d’entre nous
qui a créé la nature humaine. Il s’en suit que le premier acte d’intelligence
de notre part doit être un acte d’humilité : reconnaître Dieu comme
notre Créateur et notre Sauveur; de là surgira naturellement un esprit
de soumission au plan de Dieu dans la création de l’homme, et à son Église.
Et cet esprit exige, en plus d’une humilité vraie, un désir de savoir,
une soif d’apprendre les lois que Dieu a inscrites dans la nature et dans
la grâce. Un tel état d’esprit est absolument nécessaire à tout homme
pour son progrès intellectuel et spirituel, en vérité, et a fortiori il
est nécessaire à tout éducateur, c.a.d. aux parents à la maison et aux
professeurs à l’école.
Pourquoi rappeler
ces principes au début de cette conférence ? Je vise un double objectif :
d’abord, bien établir, encore une fois, que tous les principes qui guident
notre action à l’école sont fondés sur notre entière soumission à ces
lois de la nature et de la grâce et aux enseignements de l’Église. Le
second objectif est de vous supplier, pour l’amour de Notre Seigneur et
pour l’amour de vos enfants, d’être prêts à réviser certaines de vos opinions
ou même convictions si, en écoutant les arguments que nous allons développer
ce soir, vous découvrez certaines erreurs ou déviations dans votre pensée
ou votre agir. Chacun d’entre nous doit toujours avoir l’humilité de se
dire : peut-être que je ne pense pas tout à fait juste, je ne sais
pas assez, je ne fais pas toujours ce qui est le mieux : je ferais
bien de vérifier. C’est alors que nous pouvons progresser. Nous avons
des maîtres, des critères objectifs définis par des siècles de Chrétienté.
Nous ne sommes pas sans secours. C’est seulement si nous mettons notre
confiance dans notre seule soi-disant sagesse, sans nous préoccuper de
sa parfaite conformité à la Sagesse de l’Église, que nous perdons tout
recours, parce que nous nous enfermons dans notre propre petit subjectivisme
qui est une source constante d’aveuglement et d’erreur dans notre appréciation
de la vie, du bien et du mal. Voilà pourquoi il est si nécessaire que
nos enfants apprennent pour parvenir à la connaissance de la vérité et
devenir capables de mener une bonne vie. C’est aussi pourquoi leurs études
sont inséparables de leur croissance spirituelle. La conférence de ce
soir essayera de vous donner quelques principes et des moyens pratiques
par lesquels vous pourrez aider vos enfants à mieux comprendre la nécessité
d’apprendre, de devenir cultivés, d’acquérir les vertus, en vue de mûrir
droitement et devenir des femmes saintes, vraiment capables d’accomplir
leur mission providentielle comme femmes, que ce soit au foyer ou dans
un couvent, selon leur vocation.
Voici le plan que
nous suivrons.
I. L’éducation est
un entraînement aux vertus. Principes généraux
A) La
nécessité de développer de bonnes habitudes
B) Le
rôle premier de la raison
C) Comment
l’usage génère une habitude
D) L’apprentissage
de la vertu par les petits
E) La
loi du progrès est intérieure et personnelle à chaque enfant, chaque personne
II. Comment la famille
et l’école doivent unir leurs efforts pour réaliser l’entraînement à la
vertu. Partie qui comportera beaucoup de points très
pratiques
A) L’école
est une partie de la vie familiale
B) Quelques
considérations à propos de la formation intellectuelle
1) Comment nous arrivons à connaître
2) La formation de l’imagination
3) La formation de la mémoire
4) La formation de l’intelligence
5) La nécessité de développer les vertus intellectuelles
III. Quelques mots
sur le rôle majeur joué par trois vertus dans l’éducation des enfants :
la prudence, la tempérance et la force
A. La nécessité
de développer des bonnes habitudes
1. « L’homme
est doté à la naissance d’un splendide éventail de puissances. [3] Aucune autre créature sur la terre n’est aussi
douée que lui. Aucun autre être vivant n’approche même de loin l’étendue
de ses performances. Cependant, il est bien faible et impuissant à la
naissance, si faible, en fait, que s’il n’y avait quelqu’un pour veiller
sur lui, le nourrir et le protéger, il ne pourrait pas survivre. Nous
ne pourrions jamais soupçonner qu’il a la raison et la volonté, si nous
devions juger par son comportement extérieur à ce moment. Il est gauche
et maladroit, ignorant et sans culture. Il n’a pas de connaissances, ni
de conscience du bien et du mal. A regarder les apparences, il n’est qu’un
animal, et très immature. Sa valeur réside plus dans son futur prometteur
que dans ce qu’il accomplit maintenant. »
2. « Qu’est-ce
qui transformera cet enfant faible et chétif en un adulte bien éduqué
et accompli ? Quelle force et quelle énergie donneront à ses puissances
cette grâce et cette aisance, cette assurance et maîtrise que nous admirons
tant chez la personne éduquée ?
Le secret d’une telle
perfection, c’est, bien sûr, les bonnes habitudes.
Qu’est-ce qu’une
habitude ? C’est une qualité permanente qui nous rend capables d’agir
d’une manière non seulement prompte et adroite, mais aussi avec entrain
et plaisir ».
La nouvelle chapelle de style roman provencal
Notre âme possède
des puissances comme l’intelligence et la volonté, que nous devons développer,
grâce aux habitudes bonnes. « Une puissance est quelque-chose qui
fait partie de notre nature. Elle nous appartient comme un droit de naissance.
Une habitude est quelque-chose que nous développons par nos propres efforts ».
Par exemple, notre intelligence est l’une de ces « puissances »
de notre âme. En tant que telle, elle est une potentialité, une possibilité
d’acquérir des connaissances. Mais c’est l’étude, et les habitudes d’apprendre
qui peu à peu vont lui faire acquérir la science, la compréhension, la
sagesse... Cette puissance qu’est notre intelligence exige l’acquisition
d’habitudes de connaissance en vue de réaliser le but de son existence.
Sinon, elle reste inculte, en friche. C’est ce qui explique que l’on peut
rencontrer des enfants qui sont doués par la nature d’une brillante intelligence,
mais qui en perdent une bonne partie par leur inertie. Elle devient atrophiée.
Tandis que d’autres enfants, qui n’ont qu’une intelligence moyenne au
départ, réussissent à devenir plus brillants grâce à leurs efforts persévérants.
La même chose peut arriver pour n’importe quelle autre puissance de notre
âme. Car si « les hommes ont les même puissances, ils différent beaucoup
par les habitudes. Nous avons tous le même genre d’intelligence, mais
nous n’avons pas tous les mêmes connaissances. De même, nous avons tous
le même genre de volonté, mais nous n’avons pas tous les mêmes vertus
morales. Les habitudes viennent perfectionner les puissances ». Quelqu’un
qui n’acquiert pas les habitudes pour apprendre ne développe pas son intelligence;
il demeure un nain intellectuel même s’il est adulte physiquement. Et
ceci est en soi une monstruosité... dont peu se soucient parmi les hommes
modernes, mais qui affecte la plupart d’entre eux. Nous reviendrons à
ceci un peu plus tard.
« Les habitudes
sont des principes d’agir et de progrès. Les semences des habitudes sont
semées profondément dans nos puissances. Là elles prennent racine de manière
si profonde qu’elles semblent fusionner avec notre nature même ».
Par exemple, les connaissances que nous avons assimilées deviennent partie
de notre nature; nous les utilisons, nous continuons de bâtir par dessus,
et ceci nous permet d’avancer davantage, d’apprendre d’autres choses,
de comprendre les choses plus profondément, etc... C’est pourquoi « les
philosophes vont jusqu’à décrire nos habitudes comme une ‘seconde nature’.
Cela est très bien vu, non seulement parce que les habitudes sont en contact
avec les profondeurs de notre être, mais aussi parce qu’elles constituent
un élément si important de nos personnalités et de nos caractères ».
C’est pourquoi l’éducation
consiste essentiellement à développer des bonnes habitudes chez les enfants,
en d’autres mots, à les entraîner aux vertus.
3. Mais avant de
donner des détails pratiques de cet entraînement, nous devons considérer
deux autres points majeurs qu’il nous faut garder à l’esprit quand nous
entreprenons cet apprentissage des vertus :
a) A côté de la faiblesse
de l’enfant à sa naissance et pendant quelques années, il y a le fait
que tous viennent en ce monde affligés par les blessures du péché originel.
Dans l’état de justice originelle (l’état de grâce de nos premiers parents
à l’origine), la raison avait un contrôle parfait sur les parties inférieures
de l’âme, et la raison elle-même était parfaitement soumise à Dieu et
perfectionnée par Lui. Cet état de justice originelle a été corrompu par
le péché de nos premiers parents, de telle façon que toutes les puissances
de nos âmes ont perdu leur ordre propre qui faisait qu’elles étaient naturellement
dirigées par les vertus. Ces pertes sont appelées des blessures de notre
nature. En conséquence de la perte de la justice originelle, le désir
et l’impulsion normaux vers Dieu ont laissé la place à une attirance et
un désir désordonnés des biens temporels et changeants. En chacun d’entre
nous, le péché originel est une disposition maladive de notre nature humaine
déchue. C’est une langueur de nature. Il y a quatre blessures infligées
à la nature humaine par suite du péché de nos premiers parents :
‑ La blessure
d’ignorance : en tant que la raison est dépourvue de son
ordre ou de sa soumission à la vérité.
‑ La blessure
de malice : en tant que la volonté est dépourvue de son
ordre ou de sa soumission au vrai bien.
‑ La blessure
de faiblesse : en tant que l’appétit sensible est dépourvu
de son ordre ou de sa soumission au bien ardu.
‑ La blessure
de concupiscence : en tant que l’appétit sensible est dépourvu
de son ordre au bien délectable modéré par la raison.
Il faut tenir compte
de cet état déchu dans l’éducation des enfants si nous voulons éviter
les erreurs les plus graves et les plus sottes. Cet état de chute nous
montre clairement que l’apprentissage des vertus impliquera la correction
des fautes, le redressement des déviations, pour remettre en ordre ce
qui a été corrompu par le désordre originel.
b) L’autre point
qu’il faut garder à l’esprit est qu’il n’existe pas de destinée naturelle
pour l’homme. Nous n’avons qu’une destinée surnaturelle. Notre vraie
fin n’est pas ici sur terre. Nous avons été créés pour partager un jour
la béatitude éternelle de Dieu Lui-même. Malgré la chute, la destinée
de l’homme demeure la même, mais elle ne peut être atteinte qu’à travers
le Christ et son Église.
Les conséquences
de ces principes sont capitales :
i) Nous avons,
à cause du péché originel, une nature déséquilibrée. Donc, ne rendons
pas un culte à nos enfants. Ils sont blessés, ils ont un profond besoin
de guérison.
ii) Nous pouvons
retrouver un équilibre merveilleux, mais seulement dans le Christ, par
sa grâce.
iii) « Nous
n’avons pas ici-bas une demeure permanente. Notre cité est dans les cieux ».
D’où la nécessité
de soumettre l’ordre naturel à l’ordre surnaturel.
D’où ce principe
majeur que c’est seulement par la grâce que la nature peut être guérie.
D’où il suit que
la grâce doit avoir une influence pratique sur l’esprit, la volonté, le
cœur, et dans tous les détails de la vie de nos enfants (et de nous-mêmes,
bien-sûr).
Gardez s’il vous
plaît à l’esprit tous ces aspects au cours de notre exposé. Qu’il soit
entendu que quand nous parlerons de la raison, nous signifierons la droite
raison, soumise à Dieu, même si nous ne le mentionnons pas explicitement
à chaque fois. N’oublions pas non plus que quand nous parlons de l’ordre
naturel, nous en parlons tel qu’il est voulu par Dieu, et tel qu’il doit
être restauré par la grâce. Nous pouvons alors reprendre le fil de notre
sujet qui est de montrer comment l’éducation est un apprentissage des
vertus, et comment le réaliser.
B. Le rôle
primordial de la raison
« Toutes les
puissances de l’homme ne lui sont pas propres. Celles qui permettent les
actes de la vie végétative, l’homme les partage avec les plantes, par
exemple la croissance. Les puissances qui ont rapport aux fonctions de
la vie sensitive, il les partage avec les animaux. Seules sa raison
et sa volonté sont strictement des puissances humaines, mais elles
suffisent à expliquer la distinction et le rang éminent que l’homme occupe
parmi les créatures terrestres. La faculté clef est, bien sûr, la raison.
Dans un degré plus ou moins grand, la raison peut influencer la plupart
des autres puissances. Elle atteint toutes les sphères de l’activité »
(ou le devrait!) « Si nous dressons nos réflexes, c’est la raison
qui est derrière ce conditionnement » (par exemple, le pianiste,
le violoniste, l’artisan...). « Si nous entraînons notre mémoire,
c’est la raison qui dicte les règles » (par exemple, vous devez d’abord
comprendre ce que vous essayez de mémoriser. Vous ne pouvez retenir un
concept, que si vous comprenez d’abord de quoi il s’agit). « Si nous
apprenons à contrôler nos passions et à maîtriser nos instincts, c’est
encore la raison qui guide notre conduite. Si nous acquérons une volonté
forte et réussissons à grandir sur le chemin de la vertu, c’est la raison
qui trace la voie. Finalement, la raison est le fondement des habitudes ».
Maintenant, nous
appelons une bonne habitude, vertu. Pourquoi ? «Le mot vertu vient du
Latin ‘vir’ qui signifie : l’homme. La vertu est donc quelque-chose
de viril, de fort, quelque-chose qui est propre à l’homme. On ne parle
pas de vertu chez l’animal, parce que l’animal n’est pas capable de former
des habitudes de cette sorte. Puisqu’elles appartiennent à l’homme en
tant qu’homme, les vertus doivent découler de ces puissances que seul
l’homme, parmi les créatures terrestres, possède dans sa nature. Ces puissances
sont l’intelligence et la volonté. D’où les vertus sont toujours liées
d’une certaine façon à la pensée et au vouloir de l’homme. Voilà pourquoi
agir vertueusement consiste essentiellement à agir selon la droite
raison, qui est le propre de l’homme. Et c’est pour cette raison
que nous ne sommes ‘humains’ (dignes de ce titre) que si nous agissons
vertueusement, c.a.d. en accord avec la droite raison ».
« La raison
pourquoi notre intelligence et notre volonté doivent être entraînées à
la vertu c’est que, parmi toutes nos puissances, seules la raison et la
volonté sont, par nature, destinées à agir d’une multitude infinie de
façons. Notre raison peut saisir les choses de façon abstraite, et elle
n’est pas comblée par quelque vérité particulière que ce soit. Mais cette
situation rend d’autant plus nécessaire que la raison soit entraînée à
penser selon certaines lignes, de sorte qu’elle puisse devenir parfaite
dans des branches spéciales du savoir, et formée à la vérité. De la même
façon, la volonté est attirée par le bien infini, mais elle n’est pas
déterminée ou nécessitée par aucun bien créé particulier que ce soit.
Cette situation impose également l’obligation d’entraîner la volonté pour
qu’elle agisse selon certaines lignes pour qu’elle puisse acquérir les
différentes sortes de vertus particulières, correspondant aux grandes
catégories de biens que l’homme doit rechercher. Comme le dit saint Thomas
d’Aquin, toute faculté qui peut agir de façon diverse nécessite un habitus
(habitude) de sorte qu’elle soit bien disposée à agir d’une façon particulière.
Or, en tant qu’humains, nous avons une double excellence à acquérir :
le perfectionnement de notre esprit, et celui de nos mœurs. Le premier
est le domaine spécial de l’intelligence. Le second est la tâche de la
volonté. Nous travaillons au premier en cultivant les vertus intellectuelles,
au second en cultivant les vertus morales. Les deux sont nécessaires
si nous voulons grandir et atteindre le plein développement de notre nature
humaine. Et si quelque autre puissance est capable de recevoir la forme
d’une habitude (vertu), c’est seulement parce qu’elle est soumise au commandement
de la raison et de la volonté, dont elle partage la liberté d’une façon
limitée. C’est pourquoi le mot vertu peut être pris dans un sens plus
large pour embrasser aussi les habitudes bonnes qui sont greffées par
la raison et la volonté sur nos appétits animaux, comme nous le verrons ».
C ‑ Comment
les habitudes sont engendrées par l’usage et la répétition
L'intérieur
de la chapelle: la beauté
élève
les âmes
vers Dieu
« Maintenant
que nous savons à quoi rattacher la notion de vertu, regardons plus en
détail comment elles sont engendrées en nous.
1. « La première
chose à noter est que la vertu commence normalement à exister par la répétition
d’une action bonne. C’est comme pour tracer un nouveau chemin dans la
forêt. C’est seulement lorsque le sol a été battu par de nombreux passants
que le chemin devient plus profond, plus sûr et plus égal. Il en est de
même pour acquérir des vertus. Au début, il n’y guère rien de plus qu’une
éraflure sur la surface. Mais peu à peu les traces d’aujourd’hui s’ajoutent
à celles d’hier. Graduellement naît une disposition à agir d’une certaine
façon. Parce qu’une puissance peut profiter d’un agir passé, elle commence
à constituer une mémoire durable ». Voilà pourquoi il est de la
plus grande importance que les parents et les éducateurs soient conséquents,
constants, logiques, dans les demandes à leurs enfants. Les vertus
s’acquièrent par la répétition des actes.
2. « Car la
vertu est quelque-chose de permanent. Il n’y a pas de vertu sans cette
permanence. Il peut y avoir quelques actes bons isolés, mais ce n’est
pas de la vertu. Une bonne action isolée ne crée pas une habitude. Mais
il est encourageant de penser que lorsque nous faisons des efforts pour
acquérir des vertus, quelque-chose de permanent en est le fruit. Nous
pouvons nous endormir le soir avec l’assurance que ce fruit sera encore
nôtre le lendemain matin ».
3. « La troisième
chose à noter à propos des habitus est la manière dont ils modifient la
productivité d’une puissance, lui donnant la capacité d’accomplir des
choses qu’elle ne pouvait pas auparavant. Ce quelque-chose de nouveau
qui vient d’être acquis est une qualité, une tendance à agir d’une certaine
façon. Grâce à elle, la faculté (ou puissance) est capable d’agir avec
une facilité, une promptitude et une adresse qui sont en même temps source
de plaisir. Quel bonheur de regarder l’artisan manier ses outils, ou le
peintre manipuler ses pinceaux ou l’acteur jouer sur la scène! Quel délice
d’écouter un chanteur accompli ou un pianiste bien entraîné! Quelle grande
inspiration de lire les biographies des grands docteurs et des grands
saints et contempler comment ils excellaient par les habitus de sagesse
et de sainteté ! »
4. « Mais les
habitus bons ne sont pas uniquement source de plaisir à être regardés,
ils sont surtout source de joie à être possédés. Voilà une autre marque
de tout habitus bon : il est source de joie et de bonheur
pour son possesseur. Nous avons tous ressenti la joie d’un travail bien
accompli. » Combien il est important de bien comprendre cette vérité
en éducation. Ce ne sont pas les gâteaux et les jouets que vous offrez
à un enfant qui le rendent heureux; c’est plutôt la satisfaction d’avoir
bien fait son travail. Seuls les enfants paresseux, non vertueux,
qui n’acquièrent jamais l’habitude d’étudier, demeurent grincheux et malheureux.
Quand vous les voyez devenir studieux, et de manière persévérante, vous
pouvez lire leur bonheur sur leur visage. Et n’ayez crainte, ils resteront
capables d’apprécier les récréations et les vacances, mais d’une façon
vertueuse!
D. L’éducation
des petits enfants à la vertu
Puisque être vertueux
consiste à agir selon la droite raison, et comme les petits n’ont pas
encore l’usage de leur raison qui ne se développe que petit à petit, devons-nous
attendre, et ne rien faire, ne rien demander, jusqu’à ce qu’ils soient
capables de comprendre ?
1. Certains, dans
leur ignorance des lois de la nature et de la grâce le pensent, et donc,
ne dirigent et ne corrigent pas leurs enfants sous le prétexte faux qu’ils
ne peuvent pas comprendre. Ceci est une erreur considérable, une erreur
dont les conséquences sont incalculables ! Car en refusant d’inculquer
des bons habitus à leurs enfants, ils ouvrent la porte à l’acquisition
de mauvais habitus. Les enfants vont nécessairement contracter les
uns ou les autres. Si leurs caprices ne sont jamais contredits, ils contractent
l’habitude d’être toujours obéis et servis, d’avoir toujours le dernier
mot sur l’autorité. Il est facile de voir les conséquences radicales de
cela. Commencez à éduquer un enfant seulement à partir de l’âge de cinq
ans, après l’avoir laissé vivre dans la plus grande liberté avant cet
âge, vous verrez que c’est impossible. Il aura contracté l’habitude d’être
obéi et servi, c’est comme une seconde nature en lui. Le jour où ses parents
jugent nécessaire de commencer son éducation, il est trop tard ! Toute
demande ou exigence des parents paraîtra insupportable à ce enfant qui
a été habitué à ne faire que ce qui lui plaît, à crier et pleurer autant
qu’il le veut pour faire céder ses parents, à intervenir dans les conversations
des adultes sans même être remis à sa place, à manger chaque fois qu’il
en ressent la moindre envie, sans restriction imposée à sa gourmandise,
etc.
2. Quelle est donc
la bonne réponse à cette question ? Puisque les enfants n’ont pas encore
l’usage de la raison, il appartient aux parents d’utiliser la leur pour
diriger les pas de leurs petits. Les parents savent pourquoi les enfants
ont besoin de ceci ou de cela. Ceux-ci ne peuvent comprendre le ‘pourquoi’,
mais ils apprennent de fait à agir selon la vertu, selon la droite raison.
Pour le moment, c’est la droite raison de leurs parents jusqu’à ce qu’ils
deviennent capables petit à petit de comprendre quelques concepts avec
leur propre raison. Mais il est très important que les parents obligent
leurs enfants à agir vertueusement. Plus tard, quand les enfants commenceront
à réfléchir sur ce qu’ils font, sur ce qu’ils ont appris étant petits,
ils pourront comprendre que c’était bon, vertueux. Ils auront déjà commencé
de contracter des bonnes habitudes dans leurs facultés, grâce auxquelles
ils peuvent déjà poser ‘naturellement’ beaucoup de bonnes actions et jouir
d’un certain équilibre. Mais lorsque les parents négligent cette formation
des petits, ils abandonnent leurs enfants à une anarchie, à un chaos mortels;
et ils rendent le développement des vertus chez leurs enfants beaucoup
plus difficile, si non impossible. Les ennemis du Christ le savent :
« Un homme est formé à l’âge de cinq ans », disent les Communistes;
voulant dire que les habitudes qu’il a acquises pendant ses cinq premières
années ont des conséquences les plus profondes sur sa vie entière.
3. Soyons donc profondément
conscients de l’importance exceptionnelle de l’entraînement des petits
à la vertu. Apprenons-leur à obéir, à respecter les adultes, à penser
aux autres, à manger vertueusement, à accomplir leurs petites tâches,
etc. Inculquons leur ces vertus qui fleuriront en eux d’autant plus aisément
qu’elles auront été apprises dès la première enfance. Nous devons obtenir
qu’ils fassent ce qui est bien, et donc nous devons les corriger quand
ils font mal. Par cela ils apprendront aussi le réalisme de la grâce;
c.a.d. comment la grâce doit pénétrer leur vie en étant la source d’un
agir saint. Ils ne le savent pas encore, mais ils sont en train d’apprendre
une des principales leçons de leur vie : « Ce n’est pas celui
qui dit : ‘Seigneur, Seigneur’, qui sera sauvé, mais celui qui accomplit
la volonté du Père ». Il s’agit d’agir bien, et non pas de rêver
de devenir un saint. L’éducation est un agir, non pas une potentialité.
Elle doit amener les enfants à agir droitement. En dehors de cela, il
n’y a qu’illusion, mais nous, parents et enseignants, nous en porterons
la responsabilité.
4. C’est le simple
bon sens qui nous dit qu’un petit enfant est démuni : d’abord par
la nature, en ce qu’il n’a pas l’usage de sa raison avant assez longtemps;
et ensuite comme le péché originel encline sa nature au mal, s’il est
laissé à ses impulsions, l’enfant ne choisira pas spontanément et de façon
constante ce qui est bien. Il est donc évident que bien avant que l’enfant
aille à l’école, dés la petite enfance, les parents doivent l’entraîner
aux vertus.
5. Cette éducation
inclut également l’entraînement des puissances inférieures de l’homme.
« Il est vrai que nous avons la vie en commun avec les plantes, et
les sens avec les animaux. Mais nos puissances inférieures sont toutes
plus ou moins soumises à l’influence de la raison. Quoi de plus naturel,
alors, que la raison imprime des habitus en elles ! La raison peut conditionner
nos simples réflexes. Par exemple en vue de faciliter les rapports sociaux,
spécialement lorsqu’il s’agit de l’acte de manger, il est important d’éduquer
les réflexes pour manger de façon polie et civilisée. Si nous continuions,
adultes, à manger comme des gloutons, la bouche ouverte, à roter, etc.
comme nous faisions quand nous étions bébés, nous indisposerions fortement
nos commenseaux et les gens nous inviteraient rarement. Donc nous apprenons
à être polis en disciplinant ces mouvements naturels ». Qu’un cochon
mange comme un cochon, c’est bien. Mais qu’un être humain mange comme
cela, c’est mal. Cela va contre sa dignité. Même les fonctions que nous
partageons avec les animaux doivent porter la marque de la raison, à cause
de la noblesse de notre âme rationnelle qui est le principe de vie de
notre être tout entier, à tous les niveaux. Tout ce que nous faisons,
au niveau le plus bas comme le plus élevé doit être humain, c.a.d. vertueux,
selon la droite raison. Nous ne pouvons manger comme des animaux.
« La puissance
de nous déplacer de lieux en lieux, peut (et doit) également être façonnée
par la raison. Des bonnes habitudes pour parler, un port de notre corps
convenable et discipliné sont des fruits communs de l’intelligence. En
brèf, les appétits que nous partageons avec les animaux doivent se conformer
aux exigences d’une bonne vie ».
E. La loi du
progrès est intérieure et personnelle à chaque enfant, chaque personne.
1. Ceci est vrai
pour l’acquisition de toute vertu, et donc premièrement pour l’acquisition
de la connaissance au niveau intellectuel puisque le fondement des vertus
est la droite raison qui ne peut être formée que par l’acquisition de
connaissances. Comme l’écrit R.F. White (O.P.) : « L’acquisition
de connaissances vraies est une croissance immanente, un processus
actif et intérieur, c.a.d. qui part de l’intérieur et s’épanouit
à l’intérieur de l’âme de celui qui connait. Personne ne peut apprendre
pour moi. Je ne sais pas que x est y si je ne fais que me rappeler que
mon père ou mon professeur l’affirme. Je ne connais véritablement cette
vérité que si je vois qu’elle découle de ce que je sais déjà, lorsque
je déduis logiquement cette vérité de ce que je connais déjà, ou si
au moins je peux la rattacher à ce que je connais déjà, et l’intégrer
avec ordre à l’ensemble de mes connaissances. C’est ce que aucun professeur
humain ne peut faire à ma place ». « La connaissance, la sagesse,
la vérité ne peuvent être assimilées que de l’intérieur. C’est
seulement par l’activité de son propre esprit que l’enfant peut
transformer la matière première de l’expérience en ses propres
idées. C’est seulement par l’activité et la réceptivité de son propre
esprit que l’enfant en vient à posséder, assimiler, développer, coordonner,
affirmer et nier les idées, et à les faire siennes. Le rôle du
professeur, comme celui des parents, est de coopérer avec la lumière de
la raison implantée par Dieu dans leurs enfants. Les professeurs ne sont
qu’une cause qui dispose, dirige, assiste l’esprit des enfants, comme
les médecins ne font qu’aider la nature dans le processus de guérison
du malade. Ils peuvent conduire les enfants à la fontaine de la science
et de la sagesse, mais ils ne peuvent boire à leur place. Ils peuvent
présenter à l’intelligence des enfants les meilleurs mets intellectuels
(les idées, les connaissances) : ils ne peuvent manger et assimiler
ces mets à la place des enfants. Un effort actif et personnel, intérieur,
est requis de ceux-ci. »
2. Ceci signifie
que sans la coopération active, volontaire et constante de l’enfant à
son éducation, il n’apprendra rien véritablement, même s’il a les meilleurs
parents et professeurs autour de lui. De plus, cette coopération personnelle,
active et volontaire doit grandir avec l’enfant, avec le développement
de sa conscience et de son intelligence. C’est pourquoi nos Constitutions
disent (a. 272) : « L’enfant sera invité à coopérer à sa propre
éducation d’une façon active et graduellement plus consciente ».
3. Mais vous pouvez
demander : si l’apprentissage est ce processus intérieur et personnel,
comment les parents et les éducateurs peuvent-ils le stimuler chez leurs
enfants ? Comment peuvent-ils disposer, aider les enfants à aquérir et
assimiler les connaissances ? La première et la principale tâche des parents
en ce regard est d’éveiller la vie de l’esprit chez les enfants;
le premier pas consiste à encourager, développer et diriger la curiosité
naturelle chez les petits. Notre esprit est fait pour savoir. Sa tendance
naturelle est donc de chercher à savoir. Voyez combien souvent vos petits
posent des questions comme : qu’est-ce que ceci ? Qu’est-ce que cela
? Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? N’esquivez pas ces questions. Cela est
très bon, et vous devez encourager, développer, et bien sûr diriger cette
curiosité. « C’est Aristote qui a dit : ‘L’étonnement est
la mère de la sagesse’. Nous ne pouvons jamais apprendre quelque-chose
si nous ne posons pas des questions. Et pas seulement les questions que
posent les professeurs ou les livres, mais les questions que nous nous
posons à propos de nous-mêmes, de la réalité, de la vie, de Dieu. Là où
il n’y a pas de surprises, d’étonnement, d’inquiétude, de soif de connaître
les créatures et le Créateur, il est impossible qu’existe un processus
immanent de croissance des connaissances. Les leçons de catéchisme, d’histoire,
de n’importe quel sujet ne peuvent alors être autre chose qu’une structure
morte imposée à l’esprit de l’extérieur, au lieu d’être une réponse intérieure
et vitale à une soif, une interrogation, un besoin intérieur. S’il est
vrai qu’une curiosité excessive, incontrôlée, est un vice, l’absence de
curiosité saine, d’étonnement, de soif de connaître et encore davantage
la répression positive du désir naturel de savoir de l’intelligence ne
peuvent avoir d’autres fruits que la stérilité intellectuelle ».
Ici le rôle des parents est primordial. Car bien avant que leurs enfants
aillent à l’école, pendant environ cinq ans, les parents ont presque seuls
la tâche d’éveiller l’esprit de leurs enfants, de diriger et de stimuler
leur curiosité, de répondre à leurs questions en profondeur, selon leur
âge. Car leurs questions sont souvent plus profondes que nous le pensons
d’abord. Et quand ils posent des questions superficielles, ou ont des
fausses idées, c’est le rôle des parents d’orienter les enfants vers des
questions plus importantes. On voit ainsi comment cette première éducation
demande la présence des parents aux côtés de leurs enfants. Les parents
doivent passer du temps avec leurs enfants, être déterminés à les enseigner,
les diriger, leur montrer le chemin, les encourager à faire un nouveau
pas, les assister dans leurs progrès, corriger leurs déviations, etc.
On voit en un mot comment tout dépend de l’activité des parents envers
leurs enfants qui sont complètement sous leur tutelle pendant les 4, 5
ou 6 premières années de leur vie, ces années pendant lesquelles, qu’on
le veuille ou non, les orientations majeures de leurs vies seront imprimées
en eux. Ce qu’un enfant aura appris durant les premières années de sa
vie devient en lui une seconde nature. C’est à ce point que les parents
qui ne commencent à enseigner et éduquer leurs enfants qu’à partir de
5 ans, sous le faux prétexte qu’ils ne peuvent pas comprendre plus tôt,
font, comme nous l’avons expliqué, la douloureuse découverte que leurs
enfants se révoltent très facilement contre les ‘nouvelles’ directives
qui leur sont données. Si les enfants n’ont pas entendu parler de Dieu,
Jésus, Marie avant l’âge de 4 ou 5 ans, alors Dieu, Jésus et Marie seront
pour eux des étrangers, des importuns qui dérangent leur vie. S’ils n’ont
pas été entraînés à agir vertueusement très tôt, ils se révoltent fortement
contre le commencement d’un tel entraînement à l’âge de 5 ans, entraînement
qui est, par la nature des choses, si contraire à la complète liberté
et anarchie auxquelles ils ont été abandonnés depuis la naissance !
F. Conclusion
Pour résumer cette
première partie, je vous réfère simplement au principe qui dit :
« La famille est la première responsable de l’éducation des enfants »;
c.ad. première responsable pour imprimer le commencement des bonnes habitudes,
des vertus, d’un désir de savoir bien dirigé et toujours plus grand. La
famille n’est pas la première responsable seulement au point de vue du
temps, mais aussi et surtout du point de vue de l’influence. Car l’homme
est né naturellement dans une famille, et est donc influencé par ses parents
de la façon la plus puissante. Cela est naturel. C’est dans ses ‘viscères’
pour parler comme l’Ecriture Sainte. Cette responsabilité primordiale
des parents non seulement ne cesse pas quand l’enfant va à l’école, mais
même elle augmente lors de cette nouvelle étape. Car l’enfant ne bénéficiera
vraiment de l’enseignement donné à l’école que si ses parents veulent
cet enseignement, et le soutiennent, le suivent et obligent l’enfant à
y correspondre, au meilleur de ses capacités. Nous allons maintenant
considérer et analyser en profondeur les aspects pratiques de cette question.
(Suite dans le prochain
numéro)
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