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Communicantes: Mai 2001
 

Entretien avec Mgr Bernard Fellay

Principaux extraits d’une interview publiée dans Fideliter No. 140 – mars-avril 2001
Notons que cet entretien est antérieur au refus du Vatican de donner satisfaction à la Fraternité sur ses deux exigences


Après les prêtres, les évêques, toumons-nous vers Rome. Le pèlerinage de la Fraternité, cet été, pour le Jubilé, a-t-il impressionné Rome, à votre avis?

Je pense que oui, je pense que Rome a été, comme on dit aujourd'hui, « interpellée » par ce pèlerinage qui était une splendide démonstration de ce que nous sommes vraiment, des catholiques romains authentiques. Je crois que beaucoup se sont dit qu'ils s'étaient peut-être trompés dans l'estimation qu'ils avaient portée sur nous. Ils ont mieux compris que notre démarche, notre état d'esprit, nos personnes, nos désirs sont exclusivement catholiques et romains. Alors je pense que certains se sont dit: «II y a dans l'Église un certain nombre de personnes qui sont très opposées à la vraie foi catholique, qui sont finalement beaucoup plus loin de l'esprit de Rome que ces pèlerins. Ne faudrait-il pas réviser le jugement qu’on a porté sur la Fraternité ? »

A l'occasion de ce pèlerinage, trois évêques ont déjeuné avec le cardinal Hoyos...

C'est cela, nous étions trois, le quatrième avait dû prendre l'avion. En fait, nous ne voulions pas y aller tous ensemble, pour ne pas donner à cette démarche un caractère trop officiel. Celui qui n'y était pas n'avait pas refusé de venir, mais les circonstances de son absence correspondaient à notre propre analyse. Le cardinal Castrillon-Hoyos, très aimable, très cordial, a exprimé, je crois qu'on peut le dire, beaucoup de sympathie envers la Tradition, Tradition qu'il découvre, en réalité. En tant que responsable d'Ecclesia Dei, il a affaire à la messe traditionnelle, mais je ne suis pas sûr qu'à ce stade il ait déjà compris vraiment le problème.

Avez-vous pu aborder des problèmes de doctrine ?

Ce n'était qu'un premier contact, presque de simple courtoisie. Mais il n'y a pas d'incompréhension, d'impossibilité de contact sur le plan doctrinal : le cardinal est lui-même un thomiste. Comme je l'ai dit, pour l'instant il ne comprend pas la question de la messe, mais je pense que c'est un interlocuteur valable.

Est-ce que ce repas a eu des suites, y a-t-il eu d'autres contacts ? Est-ce qu'actuellement, comme cela se dit ici ou là, il y a quelque chose du côté de Rome ?

Il y a quelque-chose dans l'air. Quelque chose d'assez surprenant d'ailleurs, surtout si l'on compare avec ce qui se passe avec la Fraternité Saint-Pierre. Il y a effectivement une approche romaine que nous devons examiner de près, une ouverture inédite.

C'est une attitude nouvelle ou simplement une évolution de l'attitude antérieure ? Est-ce quelque chose d'assez logique par rapport au passé ?

Non, je ne pense pas que ce soit logique. Ce qui se passe maintenant n'est pas logique, du moins d'une logique humaine : mais il y a la logique du bon Dieu, des trente ans de prières, de sacrifices. C'est pourquoi, il est plus nécessaire que jamais de redoubler de prières.

Cependant, il y a certainement une explication humaine quand même. Le tout est d'arriver à bien apprécier la situation. Il y a plusieurs raisons possibles. La première serait : le pape, avant de mourir, aimerait bien régler ce problème qui fait une tache dans son pontificat. Une autre: la Curie romaine aimerait bien régler le problème avant le prochain pontificat. Une autre encore : à voir le désordre, l'anarchie qui règne dans l'Église aujourd'hui, à voir les réclamations, disons, de la gauche progressiste, certains pourraient se tourner vers nous en se disant : « Pourquoi ne pas leur demander d'entrer en lice de manière à réaliser une sorte de contrepoids ? » Maintenant, laquelle de toutes ces solutions est la vraie, y a-t-il des combinaisons entre elles, y a-t-il encore d'autres explications ? On ne peut le dire absolument.

Cette année qui vient de s'écouler a été très contrastée. D'un côté, on a assisté à la repentance, aux nouveaux martyrs, au renouvellement d'Assise, etc. De l'autre côté, il y a eu des choses assez étonnantes, notamment la déclaration Dominus Jesus, qui a quand même été une douche froide pour les progressistes, puisqu'elle use d'un ton assez classique : « La foi catholique nous interdit de dire, la foi catholique nous oblige à dire, etc. » Ceci constitue-t-il un bon cadre pour une ouverture romaine, ou vous sentez-vous encore très méfiant ?

II est normal qu'il y ait une méfiance en voyant ce qui se passe, la persistance dans les erreurs du concile, en voyant aussi tout le passé, les trente ans de combat, enfin en voyant ce qui vient de se produire à la Fraternité Saint-Pierre. On peut légitimement se demander s'il ne s'agit pas d'un piège pour nous casser, pour créer par exemple une dissension entre ceux qui voudraient accepter telle ou telle proposition romaine et ceux qui ne le voudraient pas. Il  est  donc  évident  qu'il  y  a  une  méfiance,  cela  ne  peut  pas  être  autrement.

Donc, d'après vous, plutôt méfiance vis-à-vis d'une éventuelle proposition romaine ?

Je pense qu'à côté de la méfiance, normale vu les circonstances, il faut aussi être suffisamment réaliste pour réussir à apprécier les choses au plus juste, précisément dans leur vérité objective. Nous sommes sûrs (c'est la foi qui nous le dit) qu'une crise de l'Église ne peut pas durer indéfiniment. Y a-t-il aujourd'hui déjà un début de réveil, un signe avant-coureur ? C'est difficile à dire. Car il faut faire attention à ne pas prendre ses désirs pour la réalité.

Dans la situation présente, plusieurs points sont à considérer. Tout d'abord, si ouverture ou proposition était faite, elle proviendrait d'une pure initiative de Rome, sans que nous l'ayons sollicitée. Il me semble que cette seule circonstance nous oblige à examiner avec attention la situation, pour discerner si ce n'est pas la Providence qui se manifeste ainsi à nous.

Ensuite, si le souci de notre unité, le désir de notre préservation est essentiel, il  ne doit  pas nous faire oublier  notre obligation  de servir  l'Église,  selon  nos moyens et nos possibilités. S'il y a une chance, une seule, que des contacts avec Rome puissent faire revenir un peu plus de Tradition dans l'Église, je pense que nous devons saisir l'occasion.

Je ne suis pas sûr qu'une ouverture de Rome, aujourd'hui, puisse mener à un accord complet : trop de points graves nous divisent encore, et nous n'avons aucune intention de modifier nos principes et notre ligne de conduite. Mais je pense qu'il est possible de faire avancer les choses sur plusieurs de ces points. Je suis persuadé qu'un mouvement est lancé, un mouvement qui, peu à peu, va finir par obliger Rome, à long terme, à réviser Vatican II, à abandonner les erreurs que peut receler ce concile, pour revenir à quelque chose de plus solide. Maintenant, combien de temps cela prendra-t-il ? Probablement des décennies, sauf intervention extraordinaire du bon Dieu. Mais chaque étape possède son importance, et aujourd'hui semble se dessiner une de ces étapes.

Je suis donc encore dans l'expectative, j'essaie de voir, d'apprécier les choses comme elles arrivent pour savoir s'il faut partir ou ne pas partir, se lancer ou ne pas se lancer. Tout va dépendre de la manière dont Rome va agir ou réagir.

Quels seraient, à votre sens, les signes de Rome qui pourraient vous redonner confiance ?

Qu'on nous laisse exister librement comme nous sommes, agir comme nous l'avons fait jusqu'ici. Puisque cette vie porte des fruits manifestes, des fruits de grâce, des fruits pour l'Église, eh bien ! qu'on nous laisse continuer ainsi. Je pense qu'il faudrait voir dans une telle liberté donnée publiquement par Rome un signe de bienveillance, d'évolution. Plus concrètement, si la messe traditionnelle était accordée au monde entier (au monde entier, je le souligne, pas seulement à nous), ce serait aussi un signe que Rome essaie de renverser, au moins en partie, la vapeur. Cela suppose évidemment qu'il n'y ait pas une avalanche d'obstacles, de conditions qui neutralisent en fait la permission.

Ce sont des souhaits, des demandes qu'à vue humaine, dans les mois et les années qui viennent, vous croyez possibles ?

Je ne l'exclus pas. Cela semble être totalement à contre-courant, mais la demande de la messe tridentine est un mouvement qui grandit et va continuer à grandir, j'en suis persuadé. Et Rome ne peut rester indéfiniment insensible à cette pression, spécialement du jeune clergé.

Admettons que la messe traditionnelle soit donnée sans condition, à tous ceux qui le veulent. Pensez-vous qu'un nombre significatif de prêtres la reprendraient, au moins en partie ?

Il me semble qu'il faut distinguer dans le clergé. Le clergé plus âgé, je ne crois pas ; ils sont contents avec leur nouvelle messe, ils en resteront là. Il me semble que c'est du côté du jeune clergé qu'on verra quelque chose d'intéressant. Mais il ne faut pas rêver. Ce serait de l'ordre miraculeux s'il y avait tout d'un coup une masse de prêtres qui retournaient à l'ancienne messe ; il me semble que ce n'est pas ainsi que les choses se passeront. Mais je crois vraiment qu'il y en a beaucoup qui aspirent à la messe tridentine et qui, s'ils avaient la possibilité de la dire, la diraient.

L'un des dangers d'une permission donnée à la messe traditionnelle serait que personne ne s'y intéresse et que Rome puisse dire : « Vous voyez, vous êtes les derniers, nous avons bien eu raison de supprimer cette messe ! »

Non, les choses ne sont pas ainsi. Je sais qu'un cardinal, à Rome même, a dit : « Attention, il n'y a pas que la Fraternité, il y a pas mal de prêtres qui veulent cette messe. » Non, c'est un mouvement assez général. Aux États-Unis, par exemple, il y a plus de cent diocèses où la messe traditionnelle est célébrée « officiellement », alors que la Fraternité Saint-Pierre n'est implantée que dans une trentaine d'endroits. Il y a un désir des fidèles. Est-ce que le désir des prêtres correspond absolument à celui des fidèles ? On peut le supposer, mais je ne peux me prononcer avec certitude. Il est toutefois évident qu'une vraie liberté donnée à chaque prêtre accélérerait cette vague de retours.

Quelle serait la place de la Fraternité dans ce mouvement de retours ?

Je pense que, dans l'Église, on peut considérer la Fraternité comme le trésor encore caché. C'est un véritable trésor de l'Église, un trésor pour l'Église, d'une richesse absolument extraordinaire, que nous avons reçu des mains de Mgr Lefebvre, ne l'oublions pas. Ce trésor n'est pas nous-mêmes, évidemment, mais les biens que nous conservons, que nous cultivons, qui sont les biens de l'Église : la sainte messe par-dessus tout, le sacerdoce, la foi. Jusqu'ici, par la force des choses, en raison de la crise, ce trésor a été cultivé dans un enclos fermé. Est-ce le moment ? Faut-il encore attendre pour que toute l'Église puisse bénéficier de ce trésor ? La réponse est entre les mains du bon Dieu. Mais je pense que la diffusion de ces trésors va pouvoir intervenir plus largement dans les années qui viennent.

Si la liberté de la messe traditionnelle était accordée universellement, vous verriez la Fraternité orientée pour former les prêtres à cette messe, ou bien se recentrant sur le combat doctrinal ?

Ce sera forcément les deux. La messe est un point de cristallisation, mais c'est loin d'être le tout de la crise actuelle. La doctrine est encore plus importante que la messe, si l'on peut dire, donc le combat doctrinal va continuer. Les jeunes prêtres, souvent mal formés, ont soif d'une connaissance juste et vraie. Je pense qu'il y aurait les deux : la messe et encore plus la doctrine. Peut-être devrons-nous faire passer la doctrine à travers la connaissance de la messe.

Puisque cet entretien coïncide avec les dix ans de la mort de Mgr Lefebvre, pensez-vous que le fondateur de la Fraternité soit encore une figure forte ?

II me semble qu'il est toujours présent, mais le danger que sa figure ne s'estompe avec le temps est évidemment réel. Il nous appartient donc de rendre sa présence toujours actuelle en rappelant ses enseignements, les exemples de sa vie. J'espère que les travaux de Mgr Tissier de Mallerais sur sa biographie pourront bientôt être partagés pour la grande joie, non seulement des séminaristes, mais aussi des fidèles.

La personnalité de Mgr Lefebvre a beaucoup marqué son époque : je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui une personnalité qui marque le monde comme Mgr Lefebvre a marqué son époque. Alors, bien entendu, nous n'avons pas sa personnalité, son aura personnelle. En revanche, je pense que la Fraternité Saint-Pie X, qui est son héritière, continue par sa fidélité à représenter quelque chose d'important, d'essentiel dans la vie de l'Église : sa Tradition. "     

(Entretien recueilli par Monsieur l'abbé Grégoire Celier)

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